American dirt

roman de Jeanine Cummins

traduit de l’anglais par Françoise Adelstain et Christine Auché

2020 (Editeur : Philippe Rey)

L’auteur

Jeanine Cummins est une écrivaine américaine née en 1974. Elle vit aux Etats-Unis, dans l’état de New York. Elle connait avec American dirt son premier grand succès littéraire.

Le livre

Lydia vit à Acapulco, avec son mari Sebastian, journaliste, et son fils Luca, 8 ans. Elle tient une petite librairie où elle partage sa passion des livres avec quelques clients. Cette vie construite patiemment, amoureusement, s’effondre en quelques secondes, quand des tueurs font irruption dans une fête familiale et massacrent ses proches. En cause : un article de Sebastian sur le chef du cartel local.

Seule rescapée de la tuerie avec Luca, elle n’a d’autre choix, pour survivre, que de se fondre dans le flot des migrants qui traversent le Mexique pour rejoindre les Etats-Unis.

Avec son fils, elle entreprend de remonter vers le nord, clandestinement, en voyageant sur le toit de trains de marchandise. Elle doit se méfier de tous : des autres migrants qui pourraient lui voler l’argent pour le passeur ; des membres des cartels, omniprésents ; des hommes, simplement parce qu’elle est une femme …

Lydia et Luca vivent avec la hantise de tomber entre les mains de la migra, la police qui traque les réfugiés pour les expulser, les rançonner ou les livrer à des réseaux mafieux.

Ils doivent aussi composer avec la souffrance, le manque lancinant des êtres aimés et le souvenir atroce de leur mort.

Quelques moments d’humanité viennent cependant adoucir cette traversée de l’enfer : l’amitié de deux soeurs, la solidarité d’anonymes croisés sur leur route … Raisons d’espérer ou simples sursis avant une fin inéluctable ?

Commentaire

American dirt est un superbe thriller. Dès les premières lignes, on est happé par la spirale de violence qui emporte Lydia et son fils. En phrases courtes, hachées, Jeanine Cummins nous associe à leur fuite, au plus près. Elle nous projette dans un univers dont personne ne maîtrise les règles, où la moindre erreur peut être fatale : un pied qui glisse, un regard mal interprété, un sac perdu … L’angoisse est notre compagnon de voyage tout au long du livre.

Ce roman est un témoignage glaçant sur la violence de la société sud-américaine. Il décrit un monde dans lequel policiers et membres des cartels – ce sont parfois les mêmes – ont un droit de vie et de mort sur leurs semblables, un monde où même le rêve d’une vie simple est impossible.

C’est aussi un très bel hommage aux hommes et aux femmes qui refusent cette violence, qu’ils aient choisi de partir ou de rester.

Lors de la sortie du livre aux Etats-Unis, plusieurs journalistes et écrivains d’origine latina ont accusé Jeanine Cummins « d’appropriation culturelle » : n’étant pas d’origine hispanique, elle ne serait pas habilitée à parler des migrants sud-américains. Ils ont même lancé une fatwa contre elle pour dissuader les librairies de vendre son livre.

Cette accusation est grotesque : elle revient à condamner toute création littéraire (autant reprocher à Flaubert d’avoir écrit Madame Bovary). Elle parait particulièrement ridicule après la lecture de la postface du livre dans laquelle Jeanine Cummins explique pourquoi elle a écrit ce roman.

L’extrait

Luca saute. Et chaque molécule dans le corps de Lydia saute avec lui. Cette chose, cette si petite chose ramassée, ses muscles et ses os, sa peau et ses cheveux, ses pensées, ses mots et ses idées, l’immensité de son âme même, c’est tout cela qu’elle voit au moment où son corps échappe à la sécurité du pont et s’envole, juste quelques secondes, d’abord vers le haut, si grand est l’effort, jusqu’à ce que la pesanteur s’en saisisse et le projette vers le toit de la Bestia. Lydia le suit des yeux, des yeux si agrandis par la peur qu’ils lui sont presque sortis de la tête. Ensuite il atterrit à quatre pattes comme un chat, la vélocité de son saut affronte la vélocité du train, et il roule sur lui-même, une jambe s’échappe vers le rebord du toit, l’entraînant avec elle, et Lydia essaie de hurler son nom, mais sa voix s’est cassée et s’éteint et puis l’un des migrants l’attrape. Une grande main rugueuse sur le bras de Luca, l’autre qui l’empoigne par le fond du pantalon. Et Luca, en sécurité dans les bras robustes de cet étranger au sommet du train, lève la tête et cherche sa mère. Capte les yeux de sa mère. Hurle :

– Je l’ai fait, Mami ! Mami ! Saute !

Déserté de toute pensée, si ce n’est que Luca est là, Lydia saute.