Terrorisme mode d’emploi

En Occident, les dirigeants politiques mentent parfois, sur un peu tout : l’état des hôpitaux, le déficit budgétaire, les violences policières … Mais pas en Russie. En Russie, il n’y a pas de divergence entre la parole officielle et la réalité, car la parole officielle EST la réalité. A l’instar du héros de 1984, les russes auront demain indifféremment quatre ou six doigts si Poutine le décide. Pendant deux ans, la Russie a mené une « opération spéciale » en Ukraine : parler de guerre était un crime. Depuis le vendredi 22 mars, la Russie fait officiellement la guerre en l’Ukraine …

L’attentat du Crocus City Hall à Moscou a été revendiqué par L’Etat islamique au Khorassan (EI-K). Poutine a reconnu qu’il était l’œuvre d’islamistes mais affirme contre toute évidence que l’Ukraine en est l’instigateur. Et nos médias de s’interroger : comment peut-on mentir à ce point ? Mais Poutine ne ment pas ! Il ne fait que décrire la réalité russe.

Quand Poutine parle, y compris devant la presse internationale, il ne s’adresse qu’aux russes. Peu importe si ses propos nous paraissent absurdes : il n’a que faire de l’opinion publique internationale, occidentale en particulier. Son seul souci, c’est d’inscrire son action dans le grand roman national qu’il déroule depuis son arrivée au pouvoir.

Dire aux russes que Poutine leur ment ne sert à rien. Ils vivent depuis deux ans dans une bulle : les nazis sont au pouvoir à Kiev, les troupes de l’OTAN combattent dans le Donbass, les ukrainiens se sont bombardés eux-mêmes à Marioupol et les charniers de Boutcha ne sont qu’une mise en scène orchestrée par les médias occidentaux. Il faut prendre cependant ce récit fictionnel au sérieux, car il nous éclaire sur les intentions du maître du Kremlin.

Écoutons donc ce que dit Poutine sur l’attentat du Crocus City Hall. Il ne s’attarde pas sur les exécutants, ceux-ci n’étant pas ukrainiens ; il préfère dénoncer le commanditaire, situé bien sûr à Kiev (d’où la relocalisation officiellement de l’interception du commando à la frontière ukrainienne).

Sa présentation de l’attentat, bien qu’incohérente, s’inscrit dans le prolongement de l’assassinat de Navalny, de son auto réélection triomphale et de l’officialisation de l’état de guerre (bizarrement, le même jour que l’attentat). Elle alimente la fable de la « monstruosité » du pouvoir de Kiev ; elle annonce tout simplement l’intensification de la guerre. Loin d’affaiblir Poutine, l’attentat le conforte dans son discours.

Malgré les crimes qu’il a commis en Ukraine, malgré les menaces de guerre nucléaire qu’il brandit régulièrement, les responsables occidentaux continuent à considérer Poutine comme un chef d’état « normal ». Macron lui a proposé «une coopération accrue» pour lutter contre le terrorisme islamiste : comme si Poutine se préoccupait de la sécurité des russes, lui qui en a déjà sacrifiés 150 000 en Ukraine !

La Russie a subi une vingtaine d’attentats « islamistes » depuis 2000. Les deux plus meurtriers sont la prise d’otage au théâtre Doubrouska à Moscou en octobre 2002 et celle de l’école de Beslam en Ossetie du Nord en septembre 2004. Dans les deux cas la plupart des victimes ont été tuées par la police. A Beslam, elle a même utilisé des chars pour « libérer » les otages. L’important pour Poutine, c’était de liquider les assaillants.

Son arrivée au pouvoir a été précédée par cinq attentats, entre le 31 août et le 16 septembre 1999. Les plus meurtriers visaient de simples immeubles d’habitation à Moscou. Ils ont fait en tout plus de 300 morts. Leurs auteurs se sont officiellement enfuis en Tchétchénie, désignant ainsi (déjà) le commanditaire. Ces attentats ont servi de prétexte au déclenchement de la deuxième guerre de Tchétchénie, à la faveur de laquelle Poutine a été élu Président.

Pour la petite histoire, la vigilance d’un habitant a permis de déjouer un sixième attentat le 23 septembre 1999 à Riazan  : ses auteurs étaient membres du FSB.

Concernant l’attentat du Crocus City Hall, plus le gouvernement russe accumulera de preuves contre l’Ukraine, plus la probabilité que l’attentat ait été piloté par le FSB sera forte.

Poutine a appris la manipulation des masses au KGB. Il a mis son talent et son expérience au service d’un vaste projet maffieux. Il a fait main basse sur la Russie en plaçant ses hommes aux postes-clés, en faisant de la corruption le mode de fonctionnement normal de l’état, en rackettant les entreprises, en terrorisant les opposants et en éliminant impitoyablement les traitres (le dernier en date étant Prigojine). Poutine, c’est Toto Riina Président de la Fédération de Russie.

Beaucoup en Occident attendent avec impatience qu’il accepte de négocier pour que la paix revienne en Europe. Ils se leurrent. Il n’y aura pas de paix tant que Poutine sera au pouvoir : il a besoin d’entretenir un état de guerre permanent pour maintenir son emprise sur la société russe.

Il y aura peut-être demain des négociations à la demande des ukrainiens, s’ils sont lâchés par les États-Unis ou découragés par les errements de Macron et par les atermoiements de Scholz. Mais ces négociations permettront seulement de geler le conflit. La guerre se poursuivra ailleurs ou sous une autre forme et reprendra en Europe dès que Poutine l’aura décidé. Les occidentaux sont engagés dans un tunnel dont ils ne sortiront qu’avec l’effondrement du régime russe.

Ukraine : l’enfumage macronien

A l’issue d’un sommet réunissant une vingtaine de chefs d’état à Paris le 26 février dernier, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des soldats occidentaux en Ukraine (1).

Pourtant, s’il y a un scénario exclu par les alliés de l’Ukraine, c’est bien celui-là : participer directement au conflit, ce serait prendre le risque de déclencher une guerre mondiale. Zelensky d’ailleurs n’a jamais demandé à l’OTAN d’envoyer des troupes sur le terrain.

Pourquoi donc Macron a-t-il fait cette déclaration, qui plus est sans l’aval de ses pairs ?

Selon ses proches, ce serait à des fins dissuasives, pour signifier à Poutine que les occidentaux n’avaient pas de ligne rouge. L’argument prête à rire, concernant un homme qui déclarait il y a quelques mois que la France ne bougerait pas si la Russie utilisait des armes atomiques tactiques sur le champ de bataille : russes et ukrainiens savent à quoi s’en tenir sur la détermination de Macron.

Quelques chiffres permettent d’apprécier tout le sel des propos macroniens : les russes utilisent quotidiennement entre 15 000 et 20 000 obus (les ukrainiens 10 fois moins). La France produit actuellement 30 000 obus par an, soit la consommation de deux jours de combat intensif ; de quoi effectivement effrayer le maître du Kremlin …

Une autre interprétation a été avancée par certains commentateurs politiques. Emmanuel Macron aurait voulu obliger le RN et LFI à « sortir du bois », à se disqualifier en affichant leur soutien à la Russie (on connaît la complaisance de ces partis pour la Russie de Poutine). Si c’est le cas, utiliser la guerre en Ukraine à des fins politiciennes est assez misérable.

Connaissant le goût de notre Président pour les provocations verbales, on pourrait ne voir dans sa déclaration qu’une énième disruption à destination des médias … Mais en l’occurrence il s’agit d’autre chose : l’extrémisme verbal de Macron est un rideau de fumée destiné à masquer la faiblesse de l’engagement français.

En valeur absolue, la France n’arrive qu’au 15ème rang des donateurs de l’Ukraine, derrière la Finlande (2). Les seuls armements modernes qu’elle lui a livrés sont des missiles à longue portée « Scalp » et les fameux canons « Caesar » que les ukrainiens ne peuvent pas utiliser faute de munitions.

L’Europe n’a fourni à Zelensky jusqu’à présent qu’un tiers des munitions qu’elle lui a promises. Lors de la réunion du 26 février, les chefs d’états européens devaient débattre du projet tchèque d’acheter 800 000 obus à divers pays, dont l’Afrique du Sud, sur des fonds européens. La France s’y est opposée jusqu’à présent, sous prétexte semble-t-il que ces obus n’étaient pas produits en Europe (3) …

En réalité, Macron propose à Zelensky une aide qu’il ne demande pas pour mieux lui refuser celle qu’il réclame.

La déclaration de Macron a eu des effets désastreux. Elle a suscité un débat qui n’a pas lieu d’être ; elle a divisé les alliés de l’Ukraine et semé le trouble dans les opinions publiques occidentales. Elle a surtout conforté le discours de Poutine en donnant corps à ses accusations : ne prétend-il pas combattre en Ukraine  les soldats de l’OTAN ?

L’urgence aujourd’hui est de fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin : des moyens antiaériens pour sanctuariser son territoire, des drones et des missiles à longue portée pour frapper la Russie en profondeur et bien sûr des munitions en quantité suffisante. Il faut l’aider à fabriquer des munitions sur son sol (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) et sanctionner durement les entreprises occidentales qui continuent à livrer des composants électroniques aux russes. C’est de cela dont devraient se préoccuper nos dirigeants.

Malgré toutes leurs déclarations, ils ne semblent pas avoir bien compris les enjeux de la guerre en Ukraine : il s’y joue bien sûr la survie de l’Ukraine en tant que nation, mais aussi celle de l’Europe. Poutine a engagé une lutte à mort, « civilisationnelle », contre l’Occident. Ce ne sont pas les « va-t-en-guerre » de Bruxelles qui l’affirment, mais Poutine lui-même. Depuis un an, la Russie a basculé en économie de guerre. La guerre est devenue la raison d’être de ses dirigeants, leur seul objectif.

La probable victoire de Trump à l’élection présidentielle américaine va laisser les européens seuls face aux russes à partir de 2025 : il serait temps que Macron s’occupe de réarmement, lui qui affectionne tant ce mot …


(1) « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu ».


(2) Au 19 février 2024, selon l’Institut Kiel qui fait référence en la matière, la France aurait fourni 1,98 milliard d’euros d’aide à l’Ukraine (880 millions d’aide financière, 700 millions d’aide militaire et 400 millions d’aide humanitaire). A titre de comparaison : les États-Unis 74,3 milliards et l’Allemagne  19,4 milliards. Si l’on considère l’aide en pourcentage de PIB, la France arrive au 27ème rang (0,07%), derrière la Grèce (0,09%) (source : « Le Monde ») . Le gouvernement français affirme de son côté avoir fourni pour 2,615 milliards d’euros de matériel militaire à l’Ukraine entre le 24 février 2022 et le 31 décembre 2023. Quel que soit le montant exact de son aide, la France arrive très loin derrière les grandes puissances occidentales.


(3) Au dernières nouvelles, la France serait sur le point de rallier la coalition constituée autour de la république tchèque pour acquérir ces obus.

Peur, Paix, Poutine

La proposition d’Anne Hidalgo d’exclure les athlètes russes des jeux olympiques a été très mal accueillie en France. Manifestement, nos dirigeants n’ont pas envie de mécontenter Poutine. Que craignent-ils ? Si l’on en croit le maître du Kremlin, la Russie est déjà en guerre contre l’Occident : l’Europe n’a pas été atomisée pour autant.

Notre Président, en particulier, se montre très conciliant avec l’autocrate russe :

Déjà en juin 2022, il appelait « à ne pas humilier la Russie » quand les autres chefs d’état occidentaux dénonçaient les massacres de Boutcha et de Marioupol.

Le 12 octobre 2022, il déclarait que la France ne considèrerait pas une frappe atomique tactique de la Russie en Ukraine comme une attaque nucléaire. C’est quasiment une invitation au crime (heureusement pour les ukrainiens, les États-Unis sont autrement plus dissuasifs).

Emmanuel Macron affirme aujourd’hui qu’il souhaite la défaite de la Russie, mais pas son écrasement : les exégètes de la pensée élyséenne prétendent qu’il veut ménager Poutine par peur de l’arrivée au pouvoir d’un Prigojine (1). De fait, cela revient à interdire aux ukrainiens de gagner la guerre.

La peur de la Russie apparait aussi en filigrane dans les commentaires de nos médias quand ils qualifient « d’escalade » chaque fourniture d’armes nouvelles à l’Ukraine : ce faisant, les occidentaux ne font pourtant que répondre (souvent avec retard) aux demandes de Kiev. Les seules escalades dans ce conflit sont le fait des russes, qui ont franchi en un an toutes les étapes qui les mènent au crime contre l’humanité.

Depuis février 2022, les occidentaux n’ont de cesse de s’inventer des lignes rouges.

Ainsi celle concernant la fourniture d’armes « offensives ». La distinction entre armes offensives et défensives est absurde : un char est une arme offensive quand il avance et défensive quand il recule.

Une autre ligne rouge concerne l’utilisation par les ukrainiens d’armes occidentales pour frapper des cibles en Russie. Pourquoi les ukrainiens s’interdiraient-ils d’être efficaces, alors que la Russie, elle, se permet tout ? Comment peut-on à la fois affirmer que les ukrainiens défendent notre liberté et leur refuser les armes pour le faire ?

En droit international, livrer des armes à un belligérant – quelle que soit la nature de ces armes – n’a jamais constitué un acte de cobelligérance. Poutine peut dire ce qu’il veut : de toute façon, il n’a que faire du droit international …

La seule ligne rouge qui vaille, c’est la participation directe des occidentaux aux combats, qui déclencherait un conflit mondial.

La peur de la Russie, sur laquelle joue bien sûr Poutine, motive les appels à la négociation qui fleurissent ici et là en Occident, souvent d’ailleurs à l’initiative des amis du Kremlin (2).

Que signifierait l’ouverture de négociations aujourd’hui ? Imagine-t-on Poutine restituer spontanément les territoires qu’il a conquis alors qu’il a sacrifié plusieurs dizaines de milliers d’hommes pour s’en emparer ?

Demander aux ukrainiens de négocier maintenant, c’est leur demander d’accepter les exigences de Poutine : la perte définitive des territoires annexés par les russes, la renonciation à intégrer l’Europe et l’OTAN et la vassalisation de leur pays. Le comble serait de partir des accords de Minsk, comme le suggèrent certains à gauche. Ce serait une honte absolue, connaissant le contenu de ses accords (3).

Allons jusqu’au bout de ce scénario « pacifiste » : imaginons l’Ukraine devenue raisonnable et Poutine conforté à la tête d’une Russie « non humiliée ». Quelle crédibilité aurait l’Europe, et quel avenir, après s’être soumise aux diktats du maître du Kremlin ? Et pour quelle paix, avec une Russie prête à repartir à l’offensive dès qu’elle aurait reconstitué ses forces ?

Poutine a échoué dans sa tentative de conquête de l’Ukraine. Son seul objectif aujourd’hui est de rester au pouvoir : il n’y parviendra qu’en maintenant la Russie dans un état de guerre permanent. Il s’y emploie en mettant l’économie et la population (4) au service de la machine de guerre russe.

La seule façon de rétablir la paix en Europe, c’est d’aider les ukrainiens à remporter une bataille décisive pour provoquer l’implosion du régime russe et l’élimination de Poutine. Avec le risque que la Russie sombre dans le chaos.

Face à tout cela, que pèsent les jeux olympiques ?


(1) Ancien délinquant devenu oligarque, Prigojine s’est enrichi en tant que restaurateur au service du Kremlin, d’où son surnom de « cuisinier de Poutine ». Il est aujourd’hui l’exécuteur des basses œuvres du régime : il contrôle plus d’une centaine de médias russes et dirige la milice privée Wagner dont environ 40 000 hommes combattent dans le Donbass. Malgré ses critiques de l’armée russe, il reste très utile à Poutine : il lui sert d’épouvantail vis-à-vis des occidentaux et lui permet de « tenir » les ultra nationalistes.


(2) Dernière initiative en date : la publication le 20 mars 2023 d’une tribune dans le Monde signée par 300 universitaires appelant à un « compromis supportable » sous l’égide de l’ONU. Supportable pour qui ? Poutine ?


(3) Les accords de Minsk 1 et 2 ont été imposés à l’Ukraine par la Russie en 2014 suite à sa défaite face aux séparatistes du Donbass épaulés par plusieurs milliers de soldats russes. Ces accords prévoyaient le gel du front, l’échange des prisonniers et le départ des combattants étrangers (c’est-à-dire des russes). A terme, ils prévoyaient le retour des territoires dissidents dans le giron ukrainien après transformation de l’Ukraine en état fédéral. Dans ce cadre, les provinces pro-russes auraient disposé de leur propre administration et aurait eu un droit de veto au niveau fédéral pour les décisions importantes (par exemple, l’adhésion à l’Union Européenne). Ces accords n’ont été respectés par aucun des deux partis ; ils  sont aujourd’hui caducs suite à l’annexion du Donbass par la Russie.


(4) Une simple comparaison entre les guerres d’Afghanistan et d’Ukraine en dit long sur l’ état de « zombification » de la société russe. Dans les années 1980, les pertes soviétiques en Afghanistan  (15 000 hommes en 9 ans) ont puissamment contribué au discrédit du régime soviétique et à la chute de l’URSS. Aujourd’hui la Russie a déjà perdu entre 60 000 et 70 000 soldats en Ukraine sans que cela suscite de réaction notable dans la population : hormis ceux qui ont fui à l’étranger pour échapper à la mobilisation, les russes semblent accepter les sacrifices imposés par la nouvelle « grande guerre patriotique » menée par le régime. Pire : ils assument les crimes commis par leur armée.

L’Ukraine selon Mélenchon


Jean-Luc Mélenchon a appelé « chaque conscience de gauche progressiste, humaniste » à le soutenir : c’est audacieux, considérant son alignement sur Moscou dans le conflit ukrainien.

Déjà en 2014, il traitait les manifestants pro-européens de la place Maïdan de fascistes (c.f. son Blog du 25 février 2014) ; Poutine ne fait rien d’autre aujourd’hui quand il parle de « dénazifier » l’Ukraine.

La révolution de 2014 (qualifiée de « coup d’état » par Mélenchon) s’est traduite par l’éviction du président pro-russe Ianoukovytch, provoquant en retour l’occupation de la Crimée par la Russie. Ce n’est pas un problème pour Mélenchon, car « la Crimée est russe » (il l’a réaffirmé récemment dans un entretien avec le Monde le 17 janvier 2022) : propos étonnant pour un adepte de la gouvernance mondiale, sachant que l’intangibilité des frontières est un des principes fondamentaux de l’ONU.

Fin 2021 – début 2022, les Russes mobilisent à la frontière ukrainienne : « qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil (l’Ukraine), un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » déclare Jean-Luc Mélenchon au Monde le 17 janvier 2022.

Manque de chance, ce sont les russes qui attaquent. Mais si Mélenchon s’est trompé, ce n’est pas de sa faute : « Je me suis référé à ce que disaient les plus hautes autorités de mon pays. J’ai eu tort de les croire » (samedi 26 février, meeting à Saint Denis de la Réunion) : pour une fois qu’il fait confiance à Macron ….

Dans un premier temps, il ne parle que « d’escalade insupportable » on l’a connu plus virulent pour dénoncer une agression impérialiste. Il demande « un cessez-le-feu immédiat et un retrait de toutes les troupes étrangères d’Ukraine », comme s’il y avait en Ukraine d’autres troupes que russes … (le 24 février, à la Réunion).

Mélenchon ne dénonce clairement l’agression russe que début mars : « quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine, rien ne peut l’excuser ni la relativiser » (déclaration à l’Assemblée Nationale, le 1er mars 2022) ; « stop à la guerre, stop à l’invasion de l’Ukraine, à bas l’armée qui envahit l’Ukraine » (meeting du 6 mars à Lyon).

Paradoxalement, il regrette que l’Europe soit « hors jeu » et il la qualifie de « ridicule, nulle et qui ne vaut rien » (Jeudi 10 mars sur RMC) alors qu’elle a fait preuve (pour une fois) d’unité et de fermeté. Il n’a pas non plus de mot assez dur pour Emmanuel Macron (« un garçon avec ses arcs et ses flèches » – La Réunion, samedi 26 fevrier), alors que celui ci semble « faire le job » du propre point de vue de Mélenchon, en maintenant ouvert un canal de communication avec Poutine.

Que propose-t-il donc, pour obtenir un cessez-le-feu ?

« Frapper au centre du processus », c’est à dire sur les oligarques russes. S’il était président, il aurait pris l’initiative « de réquisitionner les villas et les yachts des milliardaires russes » (déclaration le jeudi 10 mars sur RMC) : on imagine Poutine arrêtant de bombarder Marioupol pour sauver les vacances de ses amis sur la Côte d’Azur ….

Jean-Luc Mélenchon prône une solution diplomatique dans le cadre de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), car « notre plus grande force c’est la politique, la capacité des ukrainiens à résister et la capacité du peuple russe à s’opposer à la guerre » (Jeudi 10 mars sur RMC).

« Notre force », c’est surtout la volonté de résistance des ukrainiens ; les russes sont sous le contrôle étroit du pouvoir et ceux qui manifestent le font à leurs risques et périls.

Mais pas question pour autant d’aider les ukrainiens : « Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations ? » (La Réunion, samedi 26 fevrier). Mélenchon s’oppose aussi aux sanctions économiques contre la Russie : « l’embargo sur le gaz russe, ce serait une aberration ». « Les seuls qui seraient frappés par ça, c’est nous » (marche pour le climat, le 12 mars).

En clair, Mélenchon propose d’organiser une grande négociation internationale … après avoir laissé Poutine gagner la guerre.

A aucun moment depuis le 24 février, il n’a eu un mot de soutien ou de sympathie pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky (attend-il sa liquidation par Poutine pour se manifester ?)

Concernant la sécurité de la France, Mélenchon a livré sa pensée le 26 février à la Réunion :

Il prône un « non-alignement » sur les Américains et les Russes et une sortie de l’Otan : « nous n’avons rien à faire dans un équipage pareil », car « l’Otan abandonne les gens en cours de route »… C’est la raison pour laquelle la Suède et la Finlande se préparent à y adhérer.

Mélenchon préfère s’adresser directement aux Russes pour leur demander « le retrait de tous les matériels offensifs en état de frapper la France, s’ils les installaient sur les territoires conquis ». Poutine doit être ému par autant de candeur.

Le maître du Kremlin traverse aujourd’hui des moments difficiles : son armée piétine devant Kiev. Espérons que son service de presse lui traduit régulièrement les discours du leader des insoumis, pour mettre un peu de gaité dans sa vie.

Arrêter Poutine

L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous ramène 85 ans en arrière.

Russes et ukrainiens sont proches culturellement. Ils ont une longue histoire commune : ils ont subi ensemble la répression stalinienne et les massacres nazis. Beaucoup ont de la famille, des amis, de part et d’autre de la frontière.

La guerre déclenchée par Poutine est monstrueuse et absurde.

Il est temps que l’Occident regarde le régime russe en face. On prête à Poutine une enfance de délinquant ; il a mis très tôt son âme de voyou au service du KGB, puis du FSB, dont il a gravi tous les échelons. Il s’est fait élire président en 2000 à la faveur de la deuxième guerre de Tchétchénie qu’il a déclenchée après une campagne d’attentats orchestrée par le FSB.

Il n’a pas lâché le pouvoir depuis, en usant de méthodes apprises dans les services secrets : manipulation de l’information, liquidation des journalistes indépendants (assassinat d’Anna Politkovskaïa en 2006) et des opposants les plus virulents (assassinat de Boris Nemtsov en 2015, tentative d’empoisonnement d’Alexeï Navalny en 2020), musèlement des médias et des organismes non gouvernementaux (dissolution de Mémorial), criminalisation de l’opposition démocratique (qualifiée de « terroriste »), truquage des élections.

Poutine est à la tête d’une clique d’oligarques qui a fait main basse sur la rente gazière et qui rackette l’économie russe. Malgré ses richesses naturelles et le haut niveau d’instruction de sa population, la Russie (146 millions d’habitants) a le PIB de l’Espagne.

La Russie est un état maffieux, une cleptocratie.

En politique étrangère, Poutine ne connait que la force et n’hésite pas à recourir à la guerre chaque fois qu’elle sert ses intérêts : en Tchétchénie (2000), Géorgie (2008), Syrie (2017) ; aujourd’hui en Ukraine. Il combat des génocides imaginaires en commettant des crimes de guerre bien réels (bombardement massif de la population, ciblage des hôpitaux et des infrastructures civiles à Grozny, Alep, Marioupol ; utilisation d’armes chimiques en Syrie, de bombes à sous-munitions à Kharkiv…).

Dans son discours halluciné du 23 février, il a laissé tomber le masque : il veut détruire l’Ukraine en tant que nation.

Le risque d’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine apparait du coup pour ce qu’il est : un prétexte. Il serait bon d’ailleurs de s’interroger pourquoi tous les anciens états de l’URSS souhaitent entrer dans l’OTAN …

Au delà du rêve fou de reconstituer l’empire de Pierre le Grand, Poutine reproche surtout à l’Ukraine d’être un état démocratique. Il veut effacer le souvenir de Maïdan. Il craint que les russes suivent l’exemple des ukrainiens et qu’une « révolution de couleur » le chasse un jour du pouvoir.

Il faut bien sûr soutenir les ukrainiens par la fourniture d’armes et une aide économique et humanitaire massive ; il faut faire pression sur la Russie par des sanctions économiques draconiennes pour l’obliger à stopper son offensive.

Aucun pays limitrophe de la Russie comportant une minorité russophone (la Géorgie, la Biélorussie, la Moldavie, les trois états baltes) ne sera en sécurité tant que Poutine sera au pouvoir. Il a engagé une lutte à mort contre l’Occident, ne lui laissant d’autre choix en retour que de provoquer l’effondrement de son régime.

In fine, l’issue de ce conflit est entre les mains des russes eux-mêmes : ils sont les seuls à pouvoir chasser Poutine du pouvoir, d’où l’importance pour les occidentaux de les dissocier de leurs dirigeants.

Pour l’instant l’opinion publique russe semble soutenir le régime. Elle changera peut-être d’avis devant les restrictions économiques et l’accumulation des morts en Ukraine …

Emmanuel Macron l’a évoqué à demi mots : la crise qui s’ouvre sera longue et douloureuse ; nous n’en percevons pas encore toutes les conséquences : sécuritaires, économiques, politiques. En 1940, Churchill promettait aux anglais « du sang, du labeur, des larmes ». Il est à craindre que cette prédiction soit de nouveau d’actualité.