Le mythe de la 6ème République

Analyse du volet institutionnel du programme de Jean-Luc Mélenchon (chapitre 1 de son livre-programme « L’avenir en commun »)


En préambule de son programme, Jean-Luc Mélenchon fait un bilan sévère – mais fondé – de l’état de la démocratie en France : abstention massive aux élections, perte de confiance des français dans les institutions, exercice solitaire du pouvoir par un président-monarque, poids des lobbys, impuissance du Parlement … (ce à quoi il aurait pu ajouter : incapacité de la classe politique à réformer le pays en profondeur).

Il impute tous ces maux au caractère présidentiel de la 5ème République et à l’usage pervers que fait Emmanuel Macron des institutions. La panacée selon lui : changer de république pour mettre en place un régime parlementaire.

Son projet de 6ème République appelle trois remarques :

– Un changement de régime « à froid » ne peut pas être réalisé sans un fort consensus politique. On voit mal un parti aussi clivant et controversé que LFI mener à bien une modification radicale de nos institutions. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon qui se pique d’histoire le sait parfaitement : les changements de constitution se sont toujours faits en France sous la contrainte, suite à un drame national : la défaite de 1870, l’Occupation, la guerre d’Algérie. Il n’est pas sûr que l’arrivée de LFI au pouvoir soit une catastrophe suffisante à cet égard.

– Le processus imaginé par Jean-Luc Mélenchon est long et incertain (enchaînement d’un référendum, d’une élection constituante, puis d’élections législatives, le tout sur plus de deux ans) ; il engagerait le pays dans une campagne électorale interminable. Compte tenu du contexte international (guerre en Ukraine ; crise économique et écologique) La France a peut-être mieux à faire.

– Ce scénario n’est pas réalisable, sauf à faire un coup d’état juridique. Jean-Luc Mélenchon veut organiser son referendum constitutionnel en s’appuyant sur l’article 11 de la Constitution, qui n’est pas applicable dans ce cas précis. Il faudrait passer par l’article 89, qui exige l’accord des deux chambres. Même si demain la gauche était majoritaire à l’Assemblée, elle aurait le Sénat contre elle (1).

En conséquence, la 6eme République de Mélenchon, c’est du vent.

Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon propose des mesures démagogiques (le droit de vote à 16 ans) ou carrément irréalistes (la révocation des élus par referendum – un phantasme datant de la Commune), mais il fait aussi des propositions pertinentes :

– élection des députés au scrutin proportionnel départemental,

– reconnaissance du vote blanc,

– recours à des assemblées de citoyens pour élaborer la loi dans certains domaines avec l’aide d’experts (cf la convention citoyenne pour le climat) – ces projets de lois étant bien sûr ensuite repris et votés par le Parlement,

– instauration d’une procédure de parrainages citoyens pour l’élection présidentielle,

– instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) (2).

La plupart de ces mesures ne nécessiteraient pas de modifier la constitution ou pourraient être réalisées avec l’appui d’autres forces politiques ; nul besoin donc de se lancer dans un projet pharaonique de changement de république pour restaurer la démocratie en France (3).


(1) Comme par hasard, Marine Le Pen veut elle aussi passer par l’article 11 pour inscrire ses dispositifs anti-immigrés dans la constitution.


(2) Un « petit » bémol concernant le RIC : comme le RN, LFI voudrait pouvoir modifier directement la constitution par ce moyen. Chez Marine Le Pen, il s’agit d’une stratégie subtile pour contourner les garde-fous constitutionnels afin de faire évoluer le régime vers un système à la hongroise. Mélenchon lui bien sûr ne fait pas ce genre de calcul …


(3) Deux mesures – non citées par Jean-Luc Mélenchon – pourraient contribuer aussi à re-dynamiser la vie politique tout en restant dans le cadre de la 5ème République :

– le retour à un mandat présidentiel de 7 ans – non renouvelable, qui permettrait au président de conduire des projets dans la durée sans se préoccuper de sa réélection.

– l’inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle : cela éviterait que le seul enjeu des législatives soit de fournir une majorité parlementaire au Président.

Darmanin, innocent d’Etat

Emmanuel Macron s’en est assuré, « d’homme à homme » : Gérald Darmanin est innocent.

Il n a pas commis de viol. Il a juste négocié une relation « librement consentie » en échange d’une petite intervention auprès du ministère de la justice (on imagine la valeur d’un consentement obtenu dans ces conditions).

Il n’appartient pas au Président (ni à quiconque d’ailleurs) de décider de l’innocence – ou de la culpabilité – de Gérald Darmanin. En toute logique, ce serait à la justice de le faire.

Seulement voilà, Emmanuel Macron a mis tout son poids dans la balance. Qui peut croire aujourd’hui qu’un juge osera le contredire ? L’affaire Darmanin est devenu l’affaire Sophie Patterson-Spatz contre l’Etat français.

La nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur est incompréhensible. Quelle autorité peut avoir un ministre trainant derrière lui un « soupçon avéré » d’abus sexuel ? Quelle crédibilité peut-il avoir dans la lutte contre les violences sexuelles ?

On ne sait si sa nomination est due à un calcul politique (séduire l’électorat de droite) ou à la difficulté à pourvoir le poste, compte tenu de la foule de talents qui se pressent autour du Président…


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Municipales toulousaines : arrêt sur image

A Toulouse, comme dans la plupart des villes françaises, le confinement a figé les candidats aux municipales dans la plus mauvaise position qui soit : en plein envol.

Toulouse, état des lieux

Toulouse a beaucoup d’atouts : Airbus (dont le succès masque cependant la fragilité du tissu économique local), le métro (autour duquel se structurent les transports publics), des terrasses de bistrot animées (c’est la 2ème ville universitaire de France) et quelques pôles d’excellence dont l’existence surprend, compte tenu du culte local pour le bordel : le secteur médical, TSE (Toulouse School of Economics) et le Stade Toulousain.

En contrepartie, Toulouse connaît les problèmes inhérents à toute métropole : des déplacements de banlieue à banlieue problématiques, des quartiers en déshérence (Bagatelle, les Isards, Empalot) et pas mal de délinquance. A cela s’ajoutent quelques problèmes spécifiques : la saleté (c’est un des marqueurs de la ville), la difficulté à faire cohabiter cyclistes, piétons et automobilistes dans ses rues étroites (sans parler des poussettes et des fauteuils roulants) et … le manque de charisme de son maire, Jean-Luc Moudenc.

Moudenc, le trou noir de la droite

Jean-Luc Moudenc est devenu maire un peu par hasard : en s’asseyant dans le fauteuil laissé libre par le clan Baudis. Certes, il souffre d’un déficit de notoriété (les agents municipaux ne le reconnaissent pas toujours quand il fait son jogging), mais il a acquis une bonne connaissance des rouages du pouvoir local pendant les années passées à servir ses prédécesseurs.

Il a organisé la gestion de la ville autour du seul objectif qui vaille, conserver le pouvoir. Il bichonne sa base électorale, la bonne bourgeoisie toulousaine, frileuse et conformiste, qui a placé son fric dans l’immobilier. Il a parfaitement compris ses attentes : les abords du marché Victor Hugo nettoyés et quelques policiers municipaux en faction place du Capitole.

Pourquoi changer une recette qui marche ? Dans son programme, Jean-Luc Moudenc propose de recruter des policiers supplémentaires, de mettre un peu plus de caméras dans le centre ville et, pour électriser les foules, de réaliser trois projets pharaoniques. Il veut ériger une verge végétalisée près de la gare (la tour Occitanie), construire une troisième ligne de métro (conformément à la règle des 3 « trop » : trop peu, trop cher, trop tard) et planter 100 000 arbres (Té couillon, cent milleuh !) .

Edile médiocre, Jean-Luc Moudenc s’est montré par contre très fin tacticien. Il s’est fait adouber à la fois par LR et LREM et il tient solidement la droite toulousaine. Ce n’est pas un tueur, il n’assassine pas ses concurrents au berceau : il les étouffe in utero.

La gauche atomisée

La gauche toulousaine est allé à l’abattoir électoral en ordre dispersé : elle a produit trois listes concurrentes (sans compter quelques listes d’extrême gauche, qui ont surtout vocation à témoigner). Ces trois listes sont pleines de socialistes, ce qui est déjà mauvais signe.

En Haute Garonne, le Parti Socialiste a passé un accord tacite avec Jean-Luc Moudenc (à la Gauche, le département, à la Droite, Toulouse et la Métropole). Du coup, les apparatchiks du PS ont écarté celui parmi eux qui était le plus motivé pour conquérir la ville. C’est à ce genre de subtilité que l’on peut mesurer « leur ambition pour tous ».

A gauche, sont donc en lice :

La liste officielle du PS (soutenue par le PC). Elle a fait un nombre raisonnable de promesses intenables (« 200 policiers nationaux en plus ») et pratique l’écriture inclusive dans ses tracts, signe de radicalité.

La liste « Archipel citoyen » : c’est un peu la cour des miracles. Y figurent : le postulant socialiste malheureux, le parti pirate, le parti occitan, EELV, la France Insoumise, Place Publique, etc… Son discours est à l’avenant : on y retrouve tout le bric à brac idéologique accumulé par la Gauche depuis Nuit Debout. Son programme laisse songeur : création de 20 000 emplois climat (financés comment ?), des assemblées citoyennes décisionnaires (sur quelle base légale ?), un plan d’urgence pour les transports (oui, mais encore ? ) …. S’il gagne, l’ « Archipel citoyen » risque de se transformer rapidement en triangle des Bermudes.

La liste de Pierre Cohen (l’ancien maire socialiste). C’est la plus audacieuse des trois : intituler « pour la cohésion » une candidature de division, c’est gonflé ! Pierre Cohen a repris son programme de la mandature précédente, et pour montrer qu’il n’est pas psychorigide, il prône aujourd’hui le prolongement du métro jusqu’à Labège.

Retour à la réalité

Tout cela était avant … avant que le covid-19 ne s’invite dans le débat. Dans quelques semaines, lorsque la vie aura repris son cours, cahin-caha, nos candidats vont devoir redescendre sur terre et trouver rapidement des solutions pour faire face à la crise qui vient.


Le Grand Debat, un jeu de com

Nous connaissons tous ces séminaires où on planche par petits groupes sur l’optimisation des relations dans l’entreprise avec en fin de journée, débriefing, synthèse et remerciements du PDG en visioconférence.

C’est en général le signe d’une prochaine restructuration. Quand nos managers nous font réfléchir sur le fonctionnement de l’entreprise, c’est qu’ils veulent changer notre façon de fonctionner. Le Grand Débat s’inscrit dans ce cadre.

Dans les faits, c’est un vaste fumisterie (qui a coûté 12 millions d’euros, tout de même).

Les deux dispositifs mis en place, les réunions locales et la consultation via internet, ont produit des propositions contradictoires. Cela n’a pas empêché Édouard Philippe de marier allègrement la carpe et le lapin lors de sa « grande » restitution du 8 avril, sans attendre d’ailleurs que l’intégralité des propositions soit dépouillée.

Le bidonnage est patent quand on se penche sur l’organisation et le déroulement de la consultation.

La multiplicité des réunions publiques ne doit pas faire illusion : la participation a été faible, particulièrement en zone urbaine.

Les réunions à l’initiative des élus ont respecté le cadre de la consultation, mais pas toujours celles organisées par des entreprises, associations, voire lobbies (on a ainsi eu droit à Toulouse à « un grand débat national équestre », un débat organisé par le Conseil National de l’Automobile, un débat « pour répondre à la lettre des évêques de France sur la crise » … tous référencés sur le site gouvernemental granddebat.fr).

Là où nous pouvons légitimement nous interroger, c’est sur l’exploitation des contributions : qui a réalisé les synthèses ? suivant quelle méthode ? qui les a vérifiées ? Sans parler de la synthèse des synthèses…

Concernant la consultation internet, les choses sont plus simples : les militants de LREM ont beaucoup contribué (voir à ce sujet l’analyse faite dans « Le Monde » du 8 avril), et les synthèses ont été réalisées par un robot sur la base de mots clés (!)

Évidemment, dans ces conditions, les préoccupations des français recoupent les priorités du gouvernement (moyennant une petite manipulation consistant à traduire l’exigence de justice fiscale par une demande de réduction des impôts).

En définitive, avec le Grand Débat, Macron s’est offert deux mois et demi de campagne électorale sans opposition et sans élection à la clé : elle n’est pas belle la vie ?


Le grand débat : un succès de dingue

Après sa clôture le 15 mars, les médias ont titré sur le succès du « grand débat national ». La réalité est beaucoup plus contrastée.

Voici un (petit) retour d’expérience. Je me suis greffé sur quelques réunions toulousaines pour distribuer un tract « critique ». Selon le site granddebat.fr, 95 réunions ont été organisées à Toulouse. En fait, moins de 90, si on élimine les réunions citées deux fois, les réunions fermées au public et celles qui ont été localisées par erreur à Toulouse. J’ai participé à 9 d’entre elles …

Samedi 2 février 18 h maison de la citoyenneté de la Roseraie : c’est mon premier débat. Je trouve porte close, avec un panneau indiquant que la réunion était reportée « vu le trop grand nombre d’inscrits » (!!!). Sur le site granddebat.fr, cette réunion apparaît aujourd’hui avec la mention « compte rendu non publié. Motif : présence de données personnelles ».

Mercredi 6 février 20 h maison de la citoyenneté Centre : grille fermée, aucune information. Juste un malheureux participant attendant désespérément sur le trottoir.

Jeudi 7 février 19 h salle Limayrac à la Côte Pavée. Le débat est organisé par Corinne Vignon, députée de la troisième circonscription de la Haute-Garonne. Les gilets jaunes sont présents, ainsi que deux voitures de police garées à l’écart. 80 participants environ (il est vrai que les gilets jaunes toulousains avaient annoncé la réunion sur leur page Facebook).

Vendredi 15 février 19 h salle Ernest Renan, aux Trois Cocus : l’organisateur arrive à la bourre ; il n’a pas les bonnes clés. 3 participants (dont moi). Je suis parti au bout de 5 minutes sans distribuer mes tracts.

Lundi 18 février 18 h, de retour à la Roseraie pour un débat organisé par une association du quartier. une vingtaine de participants.

Vendredi 22 février, 19 h salle Osète près de la place occitane. Réunion organisée par un parti centriste. Je suis arrivé à 18 h 55. Je n’ai vu passer que 2 participants.

Lundi 25 février 19 h, nouvelle réunion à la Roseraie, organisée cette fois par le Modem. Une quinzaine de participants. Discussion courtoise avec une élue de la mairie. Elle me dit tranquillement : « c’est la guerre … ».

Lundi 25 février 19 h 30, salle du Sénéchal près de la place du Capitole : je n’ai distribué qu’une quinzaine de tracts (mais je suis arrivé tard, 5 minutes avant le début de la réunion). Accueil agressif d’un jeune militant.

Jeudi 28 février 20 h salle Achiary à la Côte Pavée : une douzaine de participants. Je craque ; ce sera mon dernier débat.