Antisémitisme d’atmosphère

Le 3 mars dernier s’est tenu à Pantin une grande messe autour de Judith Butler (1), figure emblématique du féminisme nord-américain. Y participaient des membres de la garde rapprochée de Mélenchon (Danièle Obono), la « féministe musulmane » (dixit J. Butler) Houria Bouteldja (2), les « décoloniaux » de Paroles d’honneur, des membres des mouvements juifs « antisionistes », des représentants des différentes chapelles trotskistes, et, last but not the least, les « résistants » d’Action antifasciste Paris-Banlieue (il ne manquait qu’Annie Ernaux, mais elle a communié à distance).

Judith Butler s’est longuement exprimée sur la situation au Moyen-orient. « Le Monde » a publié un petit florilège de ses propos dans son numéro du 14 mars. Judith Butler a vu dans l’attaque du Hamas du 7 octobre un « soulèvement », qui ne saurait être assimilé à un « acte terroriste » ou à une « attaque antisémite ». Concernant les viols commis par les militants du Hamas, elle a affirmé que « si ces allégations sont documentées, nous déplorons » ces actes, mais « nous insistons pour voir cette documentation ».

Elle a bien sûr reçu une standing ovation des participants.

Les wokes américains ont au moins l’avantage sur leurs homologues français de s’exprimer sans fard ni fausse pudeur. Faire du Hamas un mouvement de résistance, comme le fut le Fatah de Yasser Arafat, c’est une imposture. Judith Butler à l’instar de l’extrême gauche française, projette ses fantasmes sur une organisation fascisante et raciste. Le Hamas est le pendant de l’extrême droite au pouvoir en Israël ; il est le co-organisateur du martyr du peuple palestinien.

La froide réalité du « soulèvement » du 7 octobre, ce sont des dizaines de femmes dénudées, violées, poignardées, certaines démembrées. Ces faits ont été largement documentés, souvent par leurs auteurs eux-mêmes. Les mettre en doute relève du pur négationnisme. Apparemment, les femmes juives (« sionistes », dans le jargon de l’extrême gauche) sont moins femmes que les autres et ne méritent pas en tout cas la compassion de Judith Butler.

Il y a quelque chose de fascinant dans la propension des idéologues de tout poil, et de leurs adeptes, à déshumaniser « l’Autre », le Juif en l’occurrence. L’extrême gauche est incapable de dénoncer les crimes d’Israël sans patauger dans l’antisémitisme. Elle est antisémite par bêtise, quand elle reprend le slogan islamiste « la Palestine, du Jourdain à la mer » qui appelle implicitement à l’élimination des juifs d’Israël. Elle l’est par complaisance, quand elle tolère les jeux de mots à la Le Pen du rappeur Médine, dont l’antiracisme s’arrête à la porte des synagogues ; elle l’est par lâcheté quand elle refuse de voir l’antisémitisme qui fleurit dans les banlieues (il ne fait pas bon d’être juif dans un collège public du 9-3). L’antisémitisme de gauche a ceci de particulier qu’il est allusif, insidieux, hypocrite … Serait-il donc honteux ?


(1) Professeur émérite à l’université de Californie à Berkeley, auteur de Trouble dans le genre (paru aux USA en 1990), ouvrage qui fait référence dans les milieux féministes radicaux.


(2) Cofondatrice du Parti des indigènes de la République, auteur de Les Blancs, les Juifs et nous (paru en 2016).