La proposition d’Anne Hidalgo d’exclure les athlètes russes des jeux olympiques a suscité beaucoup de réactions hostiles en France. Poutine ferait-il peur à ce point ? Pourtant, si l’on en croit le maître du Kremlin, la Russie est déjà en guerre contre l’Occident : l’Europe n’a pas été atomisée pour autant …
Cette peur semble influencer en tout cas notre Président :
Déjà en juin 2022, il appelait « à ne pas humilier la Russie », alors qu’on découvrait les premiers crimes de l’armée russe …
Le 12 octobre 2022, il déclarait que la France ne considèrerait pas une frappe atomique tactique de la Russie en Ukraine comme une attaque nucléaire. C’est quasiment une invitation au crime (heureusement pour les ukrainiens, les États-Unis sont autrement plus dissuasifs).
Emmanuel Macron affirme aujourd’hui qu’il souhaite la défaite de la Russie, mais pas son écrasement : les exégètes de la pensée élyséenne prétendent qu’il veut ménager Poutine par peur de l’arrivée au pouvoir d’un Prigojine (1). De fait, cela revient à interdire aux ukrainiens de gagner la guerre.
La peur de la Russie transparait aussi dans les commentaires présentant chaque livraison importante d’armes à l’Ukraine comme « une escalade » : ce faisant, les occidentaux ne font pourtant que répondre (souvent avec retard) aux demandes de Kiev. Les seules escalades dans ce conflit sont le fait des russes, qui ont franchi en un an toutes les étapes qui les mènent au crime contre l’humanité.
Depuis février 2022, les occidentaux n’ont de cesse de s’inventer des lignes rouges.
Ainsi celle concernant la fourniture d’armes « offensives ». La distinction entre armes offensives et défensives est absurde : un char est une arme offensive quand il avance et défensive quand il recule.
Une autre ligne rouge concerne l’attaque par les ukrainiens de cibles en Russie. Pourquoi les ukrainiens s’interdiraient-ils d’être efficaces, alors que la Russie, elle, se permet tout ?
En droit international, livrer des armes à un belligérant – quelle que soit la nature de ces armes – n’a jamais constitué un acte de cobelligérance. Poutine peut dire ce qu’il veut : de toute façon, il n’a que faire du droit international …
La seule ligne rouge qui vaille, c’est la participation directe des occidentaux aux combats, qui déclencherait un conflit mondial.
La peur de la Russie, sur laquelle joue bien sûr Poutine, motive les appels à la négociation qui fleurissent ici et là en Occident, souvent d’ailleurs à l’initiative des amis du Kremlin.
Le pacifisme de Marine Le Pen sonne faux, connaissant ses prises de position passées et les accointances de certains de ses conseillers avec le pouvoir russe. Celui de l’extrême gauche est lui aussi suspect, compte tenu de son refus de soutenir matériellement l’Ukraine (on est loin de l’époque où la gauche toutes tendances confondues réclamait des armes pour la république espagnole).
Que signifierait l’ouverture de négociations aujourd’hui ? Imagine-t-on Poutine restituer spontanément les territoires qu’il a conquis alors qu’il a sacrifié plusieurs dizaines de milliers d’hommes pour s’en emparer ?
Demander aux ukrainiens de négocier maintenant, c’est leur demander d’accepter les exigences de Poutine : la perte définitive des territoires annexés par les russes, la renonciation à intégrer l’Europe et l’OTAN et la vassalisation de leur pays. Le comble serait de partir des accords de Minsk, comme le suggèrent certains à gauche. Ce serait une honte absolue, connaissant le contenu de ses accords (2).
Allons jusqu’au bout de ce scénario « pacifiste » : imaginons l’Ukraine devenue raisonnable et Poutine conforté à la tête d’une Russie « non humiliée ». Imagine-t-on pour autant Emmanuel Macron survoler l’Ukraine en ruine pour aller de nouveau parler affaires avec le maître du Kremlin ? Qui peut croire à un retour à la situation antérieure ?
La paix maintenant (c’est à dire la défaite de l’Ukraine), ce serait une invitation pour les états prédateurs à imiter la Russie ; ce serait la dislocation de l’Union Européenne ; ce serait surtout la guerre de nouveau demain, avec une Russie qui repartirait à l’offensive dès qu’elle aurait reconstitué ses forces.
Poutine a échoué dans sa tentative de conquête de l’Ukraine. Il sait aujourd’hui qu’il ne pourra pas atteindre cet objectif, sauf revirement des occidentaux. Sa seule chance de rester au pouvoir, c’est de maintenir la Russie dans un état de guerre permanent. Il s’y emploie en mettant l’économie et la population (3) au service de la machine de guerre russe.
La seule façon de ramener la paix en Europe est d’aider les ukrainiens à remporter une bataille décisive pour provoquer la chute de Poutine. Au risque que la Russie sombre dans le chaos …
Que pèse les jeux olympiques face à cela ?
(1) Ancien délinquant devenu oligarque, Prigojine s’est enrichi en tant que prestataire de services du Kremlin, d’où son surnom de « cuisinier de Poutine ». Il est aujourd’hui l’exécuteur des basses œuvres du régime : il contrôle plus d’une centaine de médias russes et dirige la milice privée Wagner dont environ 40 000 hommes combattent dans le Donbass. Malgré ses critiques de l’armée russe, il reste très utile à Poutine : il joue le rôle d’épouvantail vis-à-vis des occidentaux et il sert à canaliser l’ardeur des ultra nationalistes russes.
(2) Les accords de Minsk 1 et 2 ont été imposés à l’Ukraine par la Russie en 2014 suite à sa défaite face aux séparatistes du Donbass épaulés par plusieurs milliers de soldats russes. Ces accords prévoyaient le gel du front, l’échange des prisonniers et le départ des combattants étrangers (c’est-à-dire des russes). A terme, ils prévoyaient le retour des territoires dissidents dans le giron ukrainien après transformation de l’Ukraine en état fédéral. Dans ce cadre, les provinces pro-russes auraient disposé de leur propre administration et aurait eu un droit de veto au niveau fédéral pour les décisions importantes (par exemple, l’adhésion à l’Union Européenne). Ces accords n’ont été respectés par aucun des deux partis ; ils sont aujourd’hui caducs suite à l’annexion du Donbass par la Russie.
(3) Une simple comparaison entre les guerres d’Afghanistan et d’Ukraine en dit long sur l’état de la société russe. Dans les années 1980, les pertes soviétiques en Afghanistan (15 000 hommes en 9 ans) ont puissamment contribué au discrédit du régime soviétique et à la chute de l’URSS. Aujourd’hui en Ukraine, la Russie a déjà perdu entre 60 000 et 70 000 soldats sans que cela suscite de réaction notable dans la population : hormis ceux qui ont fui à l’étranger pour échapper à la mobilisation, les russes semblent aujourd’hui accepter les sacrifices imposés par la nouvelle « grande guerre patriotique » menée par le régime. Pire : ils assument les crimes commis par leur armée en Ukraine.