Une torpille dans le potage


L’annulation par l’Australie du contrat d’achat de 12 sous-marins français a beaucoup fait couiner en France. Le gouvernement y a vu un coup bas des américains, chose qui ne se fait pas entre alliés.

S’il ne s’agissait que de cela …

Face aux visées impérialistes chinoises (sous le couvert des « nouvelles routes de la soie »), l’Australie a décidé de se placer sous la protection des États-Unis. Sa rupture du contrat d’armement avec la France est la conséquence de ce choix stratégique.

Le fait que l’Australie ait opté pour des sous-marins américains à propulsion nucléaire est significatif à cet égard : sa marine ne maîtrise pas cette technologie et devra l’utiliser sous le contrôle et avec l’assistance des États-Unis : l’Australie va intégrer le dispositif militaire américain en Asie.

Cette situation devrait inquiéter au premier chef les australiens. De nombreux analystes politiques considèrent comme probable un affrontement majeur entre les États-Unis et la Chine dans les prochaines années. Le contour des camps en présence se dessine clairement dans les alliances qui se nouent : Chine et Pakistan d’un côté ; Inde, États-Unis, Japon, Grande-Bretagne et Australie de l’autre. Les australiens sont assurés aujourd’hui de se retrouver en première ligne du prochain conflit mondial.

Vu sous cet angle, la fierté du président Macron et la pérennité de quelques milliers d’emplois dans les arsenaux de Cherbourg pèsent peu. La France devrait plutôt profiter du camouflet commercial qu’elle a subi pour se dégager du piège asiatique et prendre ses distances avec la politique américaine dans le Pacifique.

La vente d’armes n’est pas une activité commerciale comme les autres. Au delà des problèmes moraux qu’elle pose (sauf à avoir le cynisme des israéliens), elle engage le fournisseur aux côtés de ses clients dans les conflits auxquels ils sont susceptibles de participer.

La situation de la Grèce est symptomatique à cet égard, et en totale symétrie avec celle de l’Australie. En achetant des avions « Rafale » et des navires français, la Grèce a surtout cherché à obtenir la protection de la France : les deux pays viennent d’ailleurs de signer un accord militaire de défense (1).

La France volera-t-elle pour autant au secours de la Grèce en cas d’attaque de la Turquie ? Rien n’est moins sûr : ce serait la seule à le faire en Europe (2), et l’opinion publique française n’acceptera jamais le coût humain d’un engagement militaire en Méditerranée orientale.

Pour éviter de se retrouver dans une situation inextricable, la France devrait renoncer au mercantilisme : le commerce des armes doit venir en appui de la politique étrangère, et non l’inverse.


(1) Cet accord – évoqué très discrètement par les médias français – a été ratifié par le parlement grec le 7 octobre 2021.


(2) L’Allemagne en particulier ne s’opposera jamais à la Turquie, et ce pour trois raisons :

par crainte de la réaction du 1,5 million de turcs présents sur son territoire,

parce qu’elle a passé un accord avec la Turquie pour qu’elle retienne sur son sol les réfugiés du moyen-orient.

pour des raisons économiques : l’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Turquie.

    Rappelons par ailleurs que l’Allemagne a équipé la Turquie en chars « Tigre » (utilisés contre les kurdes syriens en 2018) et cherche à lui vendre des sous-marins (susceptibles du coup de servir contre la France).