
France Culture a consacré une émission passionnante en décembre 2020 à une figure attachante de l’anarchisme parisien de la Belle Epoque : Rirette Maitrejean.
Rirette Maitrejean, de son nom de jeune fille Anna Henriette Estorges, est née à Saint Mexan en Corrèze en 1887. Fille d’un artisan maçon, elle se destine à être institutrice mais doit renoncer à ses études à la mort de son père.
A 16 ans, elle rejoint Paris pour échapper au mariage que veut lui imposer sa mère. Elle vit difficilement en tant que couturière tout en fréquentant les universités et causeries populaires qui fleurissent à l’époque dans le monde ouvrier. Elle y rencontre des anarchistes individualistes (1) avec qui elle sympathise. Elle épouse l’un d’eux, Louis Maîtrejean, sellier de son métier, dont elle a rapidement deux filles.
Insatisfaite de la vie qu’elle mène, elle se sépare de son mari trois ans plus tard et rejoint la communauté des anarchistes individualistes constituée autour de Libertad et d’Anna Mahé (2) au siège du journal l’anarchie, rue du-Chevalier-de-la-Barre à Montmartre.
Elle s’investit dans le journal, participe activement aux causeries tout en s’efforçant de mettre en pratique les principes professés par le groupe : union libre, vie en communauté, partage des tâches, hospitalité, solidarité avec le monde ouvrier. Après la mort de Libertad et le déménagement de la communauté à Romainville, elle prend la responsabilité du journal avec son compagnon Victor Serge.
Le refus du salariat conduit certains anarchistes individualistes à prendre le chemin de l’illégalisme : chapardage, vol à la tire, cambriolage et faux-monnayage. Une voie que Rirette désapprouve et qui prend une tournure dramatique avec l’arrivée de Jules Bonnot. Il entraine plusieurs individualistes dans des hold-up sanglants, provocant en retour l’éclatement de la communauté : Rirette et Victor Serge sont poursuivis pour complicité et emprisonnés en mars 1912. Rirette ressort libre du procès des survivants de la bande à Bonnot en février 1913, mais Victor Serge est condamné à 5 ans de prison puis à l’exil (3).
Après le procès, Rirette prend ses distances avec les individualistes dont elle critique l’illégalisme dans une série d’articles (« souvenirs d’anarchie ») publiée dans le journal Le matin.
Dès lors, elle se met en retrait de l’action militante tout en conservant ses convictions libertaires. Elle travaille comme typographe, puis devient correctrice de presse à Paris Soir, Libération et enfin aux Editions Flammarion.
Elle s’éteint le 11 juin 1968, au moment où – ironie de l’Histoire – ressurgissent en force les idées de sa jeunesse.
(Sources : Wikipedia, France Culture)
(1) Les anarchistes individualistes sont attachés à préserver l’indépendance de l’individu face au pouvoir, même collectif. Ils considèrent que la transformation du monde commence par soi-même, que chaque geste a un sens politique ; il n’est pas question pour eux d’attendre la révolution pour mettre en oeuvre les principes qu’ils défendent.
(2) Libertad et sa compagne Anna Mahé sont deux figures emblématiques du milieu libertaire parisien du début du XXe siècle. Le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier Le Maitron consacre à chacun une fiche détaillée : Libertad (1875 – 1908) / Anna Mahé (1882 – 1960)
(3) Rirette épouse Victor Serge en 1915, mais le couple se sépare à sa libération en 1917. Après un séjour à Barcelone, puis un nouvel emprisonnement en France, Victor Serge rejoint les révolutionnaires russes en 1919. Membre de l’opposition de gauche animée par Léon Trotski, il est en butte au harcèlement du pouvoir stalinien. Condamné à trois ans de déportation en 1933, il doit sa libération en 1936 à une campagne internationale à laquelle participent de nombreux intellectuels français. Vilipendé par les communistes en raison de ses engagements, il part pour le Mexique en 1940 où il meurt en 1947 dans le plus grand dénuement.
Victor Serge a beaucoup écrit tout au long de sa vie : articles de journaux, essais, romans (L’affaire Toulaev, S’il est minuit dans le siècle, Mémoires d’un révolutionnaire …).
Pour en savoir plus : consulter l’article de Wikipédia
Ecouter l’émission de France culture
Il s’agit de l’émission « Une histoire particulière » diffusée en deux parties les 5 et 6 décembre 2020.
Première partie : une anarchiste de la belle époque
Deuxième partie : Dans la tourmente de la « bande à Bonnot »