Le NFP à l’épreuve du ridicule

Après leur succès aux Législatives, les partis du « Nouveau Front Populaire » ont exigé de Macron qu’il nomme sans tarder un premier ministre de gauche… Mais ils ont mis 16 jours pour trouver qui.

Quand ils ont enfin désigné Lucie Castets, les français étaient passés à autre chose : les Jeux Olympiques commençaient. Macron en a profité pour renvoyer la nomination de son futur premier ministre aux calendes grecques, reléguant Lucie Castets en salle d’attente.

Aujourd’hui on peut l’affirmer, sans grand risque : elle ne sera jamais premier ministre. C’est à se demander d’ailleurs si le NFP ne l’a pas choisie pour cela.

Lucie Castets n’a pas l’envergure pour diriger un gouvernement de cohabitation, qui plus est minoritaire. Sa maîtrise des arcanes de la haute administration ne peut pallier son manque d’expérience politique et on la voit mal tenir tête à Macron et s’imposer à l’Assemblée.

Le NFP avait pourtant trouvé une bonne candidate en la personne de Laurence Tubiana. Economiste et diplomate, elle a mené à bien les négociations des accords de Paris en 2015. Indépendante des partis, reconnue à l’étranger, elle avait l’autorité et l’expérience nécessaire pour exercer le pouvoir au nom de Gauche.

Sa candidature a été retoquée par les insoumis, qui lui reprochent d’être « Macron-compatible » (sous prétexte qu’elle a déjà été approchée par le pouvoir), ce qui serait plutôt un atout dans le cadre d’un gouvernement de cohabitation. Sophia Chikirou, l’Elena Ceausescu de LFI, a même vu dans sa candidature l’oeuvre des « punaises de lit » Hollandistes. Le jugement est osé, venant d’une ancienne sarkoziste (1).

En réalité, LFI ne veut pas gouverner. Les insoumis agissent comme si les électeurs leur avaient donné la majorité absolue aux Législatives. Le NFP n’a pourtant obtenu que 30% des voix au premier tour ; beaucoup de ses députés ont été élus contre le RN grâce au pacte républicain et il lui manque 100 députés à l’Assemblée pour avoir la majorité absolue. Dans ces conditions, prétendre que les électeurs l’ont mandaté pour appliquer «son programme, tout son programme » relève de l’imposture.

En adoptant une position maximaliste, Mélenchon veut prouver par l’absurde qu’il est impossible de changer la société dans le cadre des institutions. Contrairement à ce qu’il prétend, il ne veut pas d’un gouvernement de gauche, sauf s’il est « chimiquement pur » et prêt à tomber pour une loi de gauche emblématique. Les insoumis pourront alors crier au déni de démocratie et transposer la lutte politique dans la rue.

Dans cette optique, le soldat Castets est effectivement la candidate idéale.

Sa désignation fait irrésistiblement penser au film « les producteurs » de Mel Brooks. Il met en scène des escrocs qui, après avoir recueilli des fonds pour monter un nouveau spectacle, organisent méthodiquement son échec pour ne pas avoir à rembourser leurs créanciers.

Vous aimez Mel Brooks ? Vous allez adorer la nouvelle législature.


(1) Sophia Chikirou avait adhéré en son temps à « la Gauche Moderne », mouvement fondé par Jean-Marie Bockel qui fut « ministre d’ouverture » dans le gouvernement Fillon de 2007 à 2010.

Gauche : la stratégie de la mouche dans le bocal

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les partis de gauche se sont réconciliés fin juin pour affronter les élections législatives anticipées (1) : comme en 2022, il leur fallait se répartir les places avant les élections pour espérer figurer au deuxième tour.

Leur prétention de faire barrage à l’extrême droite est surtout un argument électoral à destination du peuple de gauche. La seule façon d’arrêter le RN aujourd’hui serait de proposer un projet politique qui « parle » à une majorité de français.

Ce n’est pas l’ambition du « Nouveau Front Populaire ». Son programme s’adresse essentiellement aux électeurs de gauche, soit à 30% de l’électorat. Il est irréaliste du point de vue économique (2), mais ce n’est pas grave, il n’est pas destiné à être appliqué.

Par certains aspects, il tient même de la galéjade. Ainsi, les insoumis, qui n’ont de cesse depuis deux ans de désarmer l’Ukraine, seraient prêts aujourd’hui à lui livrer « toutes les armes utiles » ! Même les Mirages 2000 promis par Macron ?

Le « Nouveau Front Populaire » n’est pas en mesure d’empêcher le RN d’arriver au pouvoir. Dans ces conditions, qu’il obtienne 210, 170 ou 90 députés n’a pas beaucoup d’importance.

La stratégie de LFI, par contre, interroge.

Ces derniers mois, malgré la montée en puissance du RN, Mélenchon et ses proches ont mis toute leur énergie à combattre les autres partis de gauche (3) : le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’étaient pas dans une dynamique de front populaire !

LFI méprise tout ce qui fait l’essence de la démocratie parlementaire : la négociation, les compromis, les engagements réciproques … Les insoumis ne voient dans les alliances électorales que le moyen de conquérir des places. Le parti de Mélenchon est en réalité dans une logique d’affrontement.

Son attitude lors de la lutte contre la réforme des retraites est symptomatique à cet égard. A l’Assemblée, les insoumis ont saboté l’action menée par les syndicats pour faire rejeter l’article 7 portant sur l’age de départ à la retraite : de concert avec le gouvernement, ils ont tout fait pour que cet article ne soit pas débattu : ils misaient sur une explosion sociale provoquée par le passage de la réforme en force …

Les insoumis pratiquent un néo-bolchévisme de bazar : A l’instar de l’extrême gauche, ils courent derrière la moindre étincelle dans l’espoir qu’elle provoque un embrasement général. Le Mélenchonisme, c’est la maladie sénile du gauchisme.

Ne voulant pas changer la société par la voie démocratique, les insoumis ne cherchent pas à parler au plus grand nombre ; ils pratiquent une stratégie de niches en ciblant les groupes sociaux qui peuvent servir leurs objectifs : populations issues de l’immigration, jeunes des quartiers défavorisés, étudiants « conscientisés », militants des derniers bastions syndicaux …

Pour l’instant, cette stratégie a surtout contribué à renforcer le RN. Mais cela ne gène pas Mélenchon : son rêve secret est de se retrouver seul face à l’extrême droite, convaincu que les autres forces politiques n’auront alors d’autre choix que de se ranger derrière lui. Il se fait des illusions : si une telle situation survient, il sera balayé.

Aujourd’hui, globalement, la gauche est dans une impasse.

Contrairement à ce que prétend le très conciliant Olivier Faure, il existe en France deux gauches inconciliables : une gauche universaliste, humaniste, démocratique, laïque et pro-européenne, et une gauche « radicale », « décoloniale », isolationniste, communautariste incarnée par LFI et ses satellites.

Quel que soit le résultat des élections, l’urgence aujourd’hui est de (re)construire une social-démocratie ouverte, pluraliste, en prise avec la réalité, rompant à la fois avec le PS de Hollande et avec l’extrême gauche, et décidée à conduire la mutation écologique et sociale dont la France a besoin.


(1) Allant de Poutou à Hollande, le « Nouveau Front Populaire » est une alliance à somme nulle.


(2) Même s’il est indispensable d’augmenter les bas salaires, le « Nouveau Front Populaire » ne s’est pas trop préoccupé de l’impact économique de son programme.

Rétablir par exemple l’indexation des salaires sur l’inflation serait assez irresponsable : ce n’est pas par cruauté que Pierre Mauroy l’a supprimée en 1983 !

Parler par ailleurs d’un retour à la retraite à 60 ans est irréaliste, au vu de la situation démographique de la France et du contexte européen. Il vaudrait mieux faire ce que réclamait la CFDT en 2023 : régler d’abord le problème de la prise en compte de la pénibilité, supprimer « la double peine » de l’age minimal de départ à la retraite (en conservant le principe des annuités) et voir ensuite comment assurer l’équilibre général du régime des retraites.


(3) c.f. le fameux tweet de Sophia Chikirou : « il y a du Doriot dans Roussel ». La formule rappelle furieusement les années 50, quand l’Humanité traitait de fascistes ceux qui à gauche dénonçaient le goulag stalinien ; que l’insulte soit retournée aujourd’hui contre le responsable du parti communiste rend la chose d’autant plus savoureuse.

Le propos est grotesque, mais loin d’être gratuit. Jean-Luc Mélenchon n’a jamais pardonné à Fabien Roussel de lui avoir « volé » les 400 000 voix qui lui ont manqué en 2017 pour figurer au 2ème tour de l’élection présidentielle.

La référence à Doriot est très intéressante, car elle ne parle à personne. Rares sont ceux – même à gauche – qui connaissaient le nom de ce dirigeant communiste des années 30 devenu un des piliers de la Collaboration : c’est dire à quel point Mélenchon et sa garde rapprochée sont hors sol.

Disruption fatale

« Moi quand on m’en fait trop … j’dissous. J’dynamite. J’disperse. Et j’ventile »

A bout de nerfs, Macron vient de faire exploser la Droite avant d’autodétruire sa majorité le 7 juillet prochain. Son deuxième quinquennat va finir prématurément (1) mais en apothéose, avec le probable avènement du deuxième « Etat Français » en guise de VIe République.

Son règne aura été un condensé de suffisance, d’amateurisme et de cynisme.

A l’étranger, son parcours sinusoïdal a fait l’étonnement de ses pairs. Macron s’est spécialisé dans la promotion de gadgets géopolitiques, de la coalition anti-Hamas à l’envoi de troupes au sol en Ukraine.

En France, il a provoqué au moins deux crises majeures par son inconséquence : la révolte des « gilets jaunes » et les émeutes en Nouvelle Calédonie. Il s’est acharné à imposer des réformes mal ficelées et mal conduites, au mieux absurdes (celle de la taxe d’habitation), au pire injustes (celle des retraites). En définitive, Macron a surtout réussi à user la patience de « (ses) compatriotes des territoires ».

Il est devenu en quelques années le symbole du technocrate arrogant et hors sol. Cet homme est paradoxal : héraut de la modernité, il se réclame d’un dogme économique éculé, le ruissellement ; chantre de la concertation, il a gouverné à coup de flash ball et de 49.3.

Seule la peur l’a fait changer – temporairement – de politique : peur de l’explosion sociale lors de la crise des gilets jaunes et peur de l’effondrement du système de santé lors de l’épidémie de covid.

Soyons honnêtes : Macron n’est pas totalement mauvais. Il a quand même présenté les condoléances de la République à la veuve de Maurice Audin (2) et a fait entrer le couple Manouchian au Panthéon. Il a aussi pris deux décisions laissées en suspens par Hollande le Procrastinateur : l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes et la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Mais c’est quand même un peu maigre pour un homme qui prétendait vouloir « révolutionner » la France.


(1) L’intéressé a déclaré à la presse qu’il resterait à l’Elysée jusqu’en 2027 quoi qu’il advienne, raison de plus pour se préparer à une élection présidentielle anticipée.


(2) Jeune mathématicien communiste assassiné par les parachutistes de Massu lors de la bataille d’Alger en 1957.

Crimes de guerre : Bibi joue dans la cour des grands

Entre 40 000 et 50 000 morts et disparus (dont 70% de femmes et d’enfants), les hôpitaux pris pour cible, la population privée d’eau, de soins et de nourriture, de nombreux humanitaires et journalistes tués : Benyamin Netanyahou (« Bibi » pour ses admirateurs) accumule les crimes de guerre à Gaza.

Plus personne, même en Israël, ne croit qu’il veut sauver les otages israéliens encore en vie ; aucun expert militaire, même en Israël, ne pense que Tsahal peut liquider le Hamas en bombardant massivement Gaza. Alors pourquoi Benyamin Netanyahou s’acharne-t-il ?

D’abord, par vengeance et calcul personnel. Il veut faire payer collectivement aux palestiniens l’humiliation qu’il a subie le 7 octobre et faire oublier aux israéliens sa responsabilité dans le massacre commis par le Hamas. Il a intérêt par ailleurs à prolonger la guerre pour retarder le moment où il devra comparaître devant les juges.

Mais la principale raison de la poursuite de la guerre n’est pas là. En réalité, Netanyahou et ses alliés suprémacistes se sont engagés dans une guerre totale : ils ont entrepris de raser les infrastructures de Gaza pour rendre l’enclave inhabitable et en chasser définitivement les palestiniens. Ils veulent profiter de la lutte contre le Hamas pour mettre en œuvre leur projet de « Grand Israël ».

Les dirigeants occidentaux ne font rien pour s’opposer à ce plan, comme ils évitent soigneusement de parler de crimes de guerre. Ils préfèrent faire étalage de leur impuissance dans les médias …

Les États-Unis pourraient pourtant faire cesser les bombardements israéliens en menaçant Netanyahou d’arrêter de lui fournir des armes. Le double jeu de Biden est pathétique : tout en livrant à Tsahal les bombes qui écrasent Gaza, il feint de venir au secours de la population palestinienne en faisant construire une jetée maritime pour acheminer l’aide humanitaire qu’Israël refuse de laisser passer.

Notre Président de son côté, bien qu’adepte des « disruptions », s’interdit tout geste fort, comme par exemple rappeler son ambassadeur.

Cette complicité avec Israël, l’Occident va la payer très cher. Nos dirigeants n’imaginent pas la haine qu’ils suscitent au sein des peuples du « Sud global ». Cette haine se manifestera demain sur des terrains ou pour des enjeux bien plus vitaux que le maintien d’un escroc au pouvoir à Jérusalem.

Chaque jour qui passe, israéliens et palestiniens s’enfoncent dans l’abîme. Les israéliens sont aussi victimes de cette fuite en avant. Comment vont-ils pouvoir vivre demain avec les morts de Gaza sur la conscience ? Quelle légitimité aura Israël à l’avenir, en particulier auprès des opinions publiques occidentales ? Mis au ban des nations, l’état hébreu va se retrouver seul face à un ennemi toujours plus virulent, toujours plus puissant, et toujours aussi déterminé.

N’en déplaise au Hamas et aux suprémacistes juifs, le sort des israéliens et des palestiniens est intimement lié. Aucun de ces deux peuples ne pourra vivre en paix tant que l’autre ne sera pas en sécurité.

Pour arrêter le massacre, il faudrait imposer à Israël un cessez le feu en contrepartie du désarmement du Hamas et du placement de Gaza sous contrôle international, avec ouverture de négociations immédiates pour créer un état palestinien souverain en Cisjordanie et à Gaza. C’est aux États-Unis et à leurs alliés arabes qu’il incombe de mettre en œuvre un plan de ce type : eux seuls sont en mesure de faire plier Israël et le Hamas.

Le défi est immense, mais c’est dans ce genre de situation qu’on mesure l’étoffe d’un chef d’état : le premier dégât collatéral de la guerre de Gaza risque d’être l’échec politique de Biden… Les occidentaux n’ont pas encore pris toute la mesure du pouvoir de nuisance de Netanyahou.



Assassinats 2.0

Le journal « Haaretz » et les médias israéliens en ligne « +972 » et « Local call » ont publié plusieurs articles sur l’automatisation de la traque du Hamas par Israël.

Tsahal utilise un logiciel nommé « Lavender » pour générer des cibles. En s’appuyant sur les données recueillies sur plusieurs centaines de militants avérés du Hamas, le logiciel identifie les personnes présentant un profil similaire et les désigne aux pilotes de chasse ou de drones, ceux-ci ne disposant que de quelques secondes pour valider le choix du logiciel.

Le spectre des personnes désignées par « Lavender » est très large et peut inclure des individus n’ayant qu’un lointain rapports avec le Hamas : fonctionnaires, policiers  … (jusqu’à 37 000 cibles ont ainsi été identifiées).

Tsahal utilise un autre logiciel appelé « Évangile » pour cibler les bâtiments, en particulier le domicile des militants du Hamas, sans égard pour leurs proches.

Les règles d’engagement de l’armée israélienne sont très souples : Tsahal admet 20 à 30 victimes collatérales pour une cible de bas niveau et jusqu’à 300 pour un cadre important du Hamas.

L’armée israélienne aurait défini par ailleurs des « kill zones » dans tout le territoire palestinien : des secteurs aux frontières invisibles à proximité des lieux de déploiement des troupes, dans lesquels les hommes en age de combattre sont systématiquement abattus.

Terrorisme mode d’emploi

En Occident, les dirigeants politiques mentent parfois, sur un peu tout : l’état des hôpitaux, le déficit budgétaire, les violences policières … Mais pas en Russie. En Russie, il n’y a pas de divergence entre la parole officielle et la réalité, car la parole officielle EST la réalité.

L’attentat du Crocus City Hall à Moscou a été revendiqué par L’Etat islamique au Khorassan (EI-K). Poutine a reconnu qu’il était l’œuvre d’islamistes mais affirme contre toute évidence que l’Ukraine en est l’instigateur. Et l’Occident de s’interroger : comment peut-on mentir à ce point ? Mais Poutine ne ment pas ! Il décrit la réalité russe : les nazis sont au pouvoir à Kiev, les troupes de l’OTAN combattent dans le Donbass, les ukrainiens se sont bombardés eux-mêmes à Marioupol et les charniers de Boutcha ne sont qu’une mise en scène orchestrée par les médias occidentaux.

Quand Poutine parle, y compris à la presse internationale, il ne s’adresse qu’aux russes. Peu importe si ses propos sont absurdes : il n’a que faire de l’opinion publique internationale, occidentale en particulier. Son seul souci, c’est d’inscrire son action dans le grand roman national qu’il déroule depuis son arrivée au pouvoir.

Il faut prendre ce récit fictionnel au sérieux, car il nous éclaire sur les intentions du maître du Kremlin. Écoutons donc ce que dit Poutine sur l’attentat du Crocus City Hall. Il ne s’attarde pas sur les exécutants, ceux-ci n’étant pas ukrainiens ; il préfère dénoncer le commanditaire, situé bien sûr à Kiev (d’où la relocalisation officiellement de l’interception du commando à la frontière ukrainienne).

Sa présentation de l’attentat, bien qu’incohérente, s’inscrit dans le prolongement de l’assassinat de Navalny, de son auto réélection triomphale et de l’officialisation de l’état de guerre (le même jour que l’attentat …). Elle alimente la fable de la « monstruosité » du pouvoir de Kiev ; elle annonce tout simplement l’intensification de la guerre. Loin d’affaiblir Poutine, l’attentat le conforte dans son discours.

Les responsables occidentaux continuent à considérer Poutine comme un chef d’état « normal », malgré ses crimes et les menaces de guerre nucléaire qu’il brandit régulièrement. Macron lui a même proposé «une coopération accrue» pour lutter contre le terrorisme islamiste : comme si Poutine se préoccupait de la sécurité des russes, lui qui en a déjà sacrifiés 150 000 en Ukraine !

Un petit retour sur le passé s’impose. La Russie a subi une vingtaine d’attentats « islamistes » depuis 2000. Les deux plus meurtriers sont la prise d’otage au théâtre Doubrouska à Moscou en octobre 2002 et celle de l’école de Beslam en Ossetie du Nord en septembre 2004. Dans les deux cas, la plupart des victimes ont été tuées par la police. A Beslam, elle a même utilisé des chars pour « libérer » les otages : l’important, c’était de liquider les assaillants.

L’arrivée au pouvoir de Poutine a été précédée par cinq attentats, entre le 31 août et le 16 septembre 1999. Les plus meurtriers visaient de simples immeubles d’habitation à Moscou. Ils ont fait en tout plus de 300 morts. Leurs auteurs se sont officiellement enfuis en Tchétchénie, désignant ainsi (déjà) le commanditaire. Ces attentats ont servi de prétexte au déclenchement de la deuxième guerre de Tchétchénie, à la faveur de laquelle Poutine a été élu Président.

Pour la petite histoire, la vigilance d’un habitant a permis de déjouer un sixième attentat le 23 septembre 1999 à Riazan  : ses auteurs étaient membres du FSB (il s’agissait soi-disant d’un exercice).

Concernant l’attentat du Crocus City Hall, plus le gouvernement russe accumulera de preuves contre l’Ukraine, plus la probabilité que l’attentat ait été piloté par le FSB sera forte.

Ukraine : l’enfumage macronien

A l’issue d’un sommet réunissant une vingtaine de chefs d’état à Paris le 26 février dernier, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des soldats occidentaux en Ukraine (1).

Pourtant, s’il y a un scénario exclu par les alliés de l’Ukraine, c’est bien celui-là !

Participer directement au conflit, ce serait prendre le risque de déclencher une guerre mondiale. Zelensky d’ailleurs n’a jamais demandé à l’OTAN d’envoyer des troupes sur le terrain.

Pourquoi donc Macron a-t-il fait cette déclaration, qui plus est sans l’aval de ses pairs ?

Selon ses proches, ce serait à des fins dissuasives, pour signifier à Poutine que les occidentaux n’avaient pas de ligne rouge. L’argument prête à rire, concernant un homme qui déclarait il y a quelques mois que la France ne bougerait pas si la Russie utilisait des armes atomiques tactiques sur le champ de bataille : russes et ukrainiens savent à quoi s’en tenir sur la détermination de Macron.

Quelques chiffres permettent d’apprécier tout le sel des propos macroniens : les russes utilisent quotidiennement entre 15 000 et 20 000 obus (les ukrainiens 10 fois moins). La France produit actuellement 30 000 obus par an, soit la consommation de deux jours de combat intensif ; de quoi effectivement effrayer le maître du Kremlin …

Une autre interprétation a été avancée par certains commentateurs politiques. Emmanuel Macron aurait voulu obliger le RN et LFI à « sortir du bois », à se disqualifier en affichant leur soutien à la Russie (on connaît la complaisance de ces partis pour la Russie de Poutine). Si c’est le cas, utiliser la guerre en Ukraine à des fins politiciennes est assez misérable.

Connaissant le goût de notre Président pour les provocations verbales, on pourrait ne voir dans sa déclaration qu’une énième disruption à destination des médias … Mais en l’occurrence il s’agit d’autre chose : l’extrémisme verbal de Macron vise à faire diversion ; c’est un rideau de fumée destiné à masquer la faiblesse de l’engagement français.

En valeur absolue, la France n’arrive qu’au 15ème rang des donateurs de l’Ukraine, derrière la Finlande (2). Les seuls armements modernes qu’elle lui a livrés sont des missiles à longue portée « Scalp » et les fameux canons « Caesar » que les ukrainiens ne peuvent pas utiliser faute de munitions.

L’Europe n’a fourni à Zelensky jusqu’à présent qu’un tiers des munitions qu’elle lui a promises. Lors de la réunion du 26 février, les chefs d’états européens devaient débattre du projet tchèque d’acheter 800 000 obus à divers pays, dont l’Afrique du Sud, sur des fonds européens. La France s’y est opposée, sous prétexte semble-t-il que ces obus n’étaient pas produits en Europe (3) …

En résumé, Macron propose à Zelensky une aide qu’il ne demande pas pour mieux lui refuser celle qu’il réclame.

La déclaration de Macron a eu des effets désastreux. Elle a suscité un débat qui n’a pas lieu d’être ; elle a divisé les alliés de l’Ukraine et semé le trouble dans les opinions publiques occidentales. Elle a surtout conforté le discours de Poutine en donnant corps à ses accusations : ne prétend-il pas combattre en Ukraine  les soldats de l’OTAN ?

Plutôt que de s’interroger sur une intervention qui n’aura jamais lieu, les dirigeants occidentaux devraient se préoccuper aujourd’hui de fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin : des avions (4), des moyens antiaériens pour sanctuariser son territoire, des drones et des missiles à longue portée pour frapper la Russie en profondeur et bien sûr des munitions en quantité suffisante.

Malgré toutes leurs déclarations, ils ne semblent pas avoir bien compris les enjeux de la guerre : il s’y joue bien sûr la survie de l’Ukraine en tant que nation, mais aussi celle de l’Europe. Poutine a engagé une lutte à mort, « civilisationnelle », contre l’Occident. Ce ne sont pas les « va-t-en-guerre » de Bruxelles qui l’affirment, mais Poutine lui-même. Depuis un an, la Russie a basculé en économie de guerre. La guerre est devenue la raison d’être de ses dirigeants, leur seul objectif.

La probable victoire de Trump à l’élection présidentielle américaine va laisser les européens seuls face aux russes à partir de 2025 : il serait temps que Macron s’occupe de réarmement, lui qui affectionne tant ce mot.


(1) « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu ».


(2) Au 19 février 2024, selon l’Institut Kiel qui fait référence en la matière, la France aurait fourni 1,98 milliard d’euros d’aide à l’Ukraine (880 millions d’aide financière, 700 millions d’aide militaire et 400 millions d’aide humanitaire). A titre de comparaison : les États-Unis 74,3 milliards et l’Allemagne  19,4 milliards. Si l’on considère l’aide en pourcentage de PIB, la France arrive au 27ème rang (0,07%), derrière la Grèce (0,09%) (source : « Le Monde ») . Le gouvernement français affirme de son côté avoir fourni pour 2,615 milliards d’euros de matériel militaire à l’Ukraine entre le 24 février 2022 et le 31 décembre 2023. Quel que soit le montant exact de son aide, la France arrive très loin derrière les grandes puissances occidentales.


(3) La France a rallié en définitive la coalition constituée autour de la république tchèque pour acquérir ces obus.


(4) Les ukrainiens sont mis en difficulté sur le front par l’utilisation massive par l’aviation russe de bombes planantes, peu couteuses à fabriquer et aux effets dévastateurs. La seule façon pour les ukrainiens de s’en prémunir serait de disposer eux-mêmes d’avions pour repousser les bombardiers russes, mais les F16 promis ne seront opérationnels que fin 2024. Cela montre une fois de plus l’absurdité de la distinction entre armes offensives et défensives.



Perseverare diabolicum …

Le 2 mai, dans un entretien publié par « The Economist » Macron a réaffirmé « qu’on devait légitimement se poser la question » de l’envoi de troupes en Ukraine (si les russes perçaient le front et si Kiev en faisait la demande) .

Macron est si peu crédible au niveau international qu’il lui faut répéter sans cesse sa proposition pour qu’on la prenne un tant soit peu au sérieux : chacun sait que les occidentaux n’interviendront jamais directement en Ukraine et que la France est bien incapable de déployer des moyens militaires importants sur le terrain …

Hamassacre

le 7 octobre, Israël a connu le même jour son 11 septembre, son Bataclan et le progrom le plus meurtrier de l’Histoire depuis la deuxième guerre mondiale.

L’attaque du Hamas a profondément traumatisé Israël ; elle a interrompu le rapprochement en cours entre l’état hébreu et l’Arabie Saoudite et a provoqué en retour un bain de sang à Gaza : le Hamas a atteint ses objectifs au delà de toutes ses espérances.

Évacuons tout de suite le débat sur la nature de cette organisation. Il est clair que l’attaque du 7 octobre est une action terroriste ; qualifier pour autant son auteur de « terroriste » n’a pas beaucoup de sens : le terrorisme est un mode d’action, pas une fin en soi.

Beaucoup de dirigeants dans le Monde ont tendance par ailleurs à qualifier leurs opposants de « terroristes », jusqu’à notre ministre de l’intérieur qui a traité « d’éco-terroristes » les opposants aux méga bassines ; le terme est galvaudé. Qui plus est, l’appliquer à ses ennemis peut s’avérer contre-productif quand on doit ensuite négocier avec eux.

Une chose est sûre, en tout cas : le Hamas n’est pas un mouvement de résistance. Si c’était le cas, le 7 octobre, il se serait borné à attaquer des cibles militaires : il aurait alors remporté une victoire éclatante (près de 200 soldats israéliens tués) tout en épargnant la vie de ses combattants (ceux-ci se seraient moins attardés sur les lieux du crime).

Si le Hamas avait mené une action purement militaire, il aurait provoqué un séisme politique en Israël ; il aurait acquis une stature et une légitimité internationales ; in fine, il aurait remis le règlement du conflit israélo-palestinien en tête des agendas arabes et occidentaux ; il aurait réussi un coup de maître. Mais voilà : il a préféré tuer des juifs …

Le Hamas n’a que faire de la création d’un état palestinien viable, indépendant et démocratique. Depuis les accords d’Oslo en 93, il n’a de cesse de s’opposer à toute solution politique en Palestine.

Le Hamas n’est pas un mouvement de résistance : c’est une organisation islamiste dont l’objectif est d’établir la charia « du Jourdain à la mer », d’où sa volonté de détruire Israël et de chasser les juifs de Palestine. Il n’a d’ailleurs jamais fait mystère de cet objectif : sa charte est un tissu de délires antisémites.

Le 7 octobre, le Hamas s’est livré sciemment à des atrocités pour provoquer un massacre en retour ; avec Netanyahou au pouvoir, il savait pertinemment quelle serait la réponse d’Israël … Il a enclenché une spirale de terreur en Palestine pour ériger un mur de haine entre israéliens et palestiniens ; il s’inscrit dans une logique de guerre de civilisation : arabes contre juifs, islam contre Occident.

Déjà 1 500 morts ou disparus du côté israélien, 15 000 à 20 000 du côté palestinien. Certes, le Hamas est à l’origine de ce massacre, mais il n’en est pas le seul responsable.

Il n’a pas agi seul.

Sauf à considérer que Netanyahou s’est fait refiler un grillage à poules en guise de barrière sécurisée (ce qui constituerait l’arnaque du siècle), il est évident que le Hamas a bénéficié de l’aide matérielle, technique, de ses principaux soutiens internationaux, l’Iran et la Russie.

Il suffit d’ailleurs de regarder à qui profite le crime : en torpillant les accords d’Abraham, le Hamas a brisé l’encerclement qui menaçait l’Iran. En ouvrant un nouveau front au Moyen-Orient, il a détourné l’attention des occidentaux du conflit ukrainien et, en provoquant une réaction bestiale d’Israël, il a contribué à alimenter l’hostilité du « Sud Global » contre les occidentaux perçus comme les alliés de l’état hébreu.

Bref : le Hamas est « l’idiot utile » des ayatollahs et de Poutine.

Cependant, les principaux responsables du désastre sont à chercher ailleurs : il s’agit de la droite israélienne au pouvoir à Jérusalem depuis trente ans et de l’extrême droite religieuse et suprémaciste qui l’a rejointe au gouvernement en 2022.

Rappelons en préambule que l’extrême droite israélienne n’a jamais accepté les accords d’Oslo (au point de faire assassiner Yitzhak Rabin) ; elle a tout fait pour rendre ces accords inapplicables, en particulier en multipliant les colonies dans les territoires occupés. Son projet politique de « grand Israël », qui ne laisse aucune place aux palestiniens, est le pendant juif du projet du Hamas. L’extrême droite israélienne fonctionne en miroir de celui-ci.

Depuis son retour au pouvoir en 2009, Netanyahou « joue » le Hamas contre l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas, avec deux objectifs :

– affaiblir l’Autorité Palestinienne pour faciliter la colonisation de la Cisjordanie et rendre inaudible les palestiniens au niveau international,

– disposer à Gaza d’un ennemi avec lequel aucun dialogue n’est possible, pour justifier en retour sa propre intransigeance. Netanyahou est allé jusqu’à aider le Hamas en sous-main : ce sont les services secrets israéliens qui réceptionnaient et convoyaient jusqu’à Gaza les 30 millions de dollars que versait le Qatar tous les mois au Hamas pour financer son administration.

Cette politique a contribué à jeter les palestiniens dans les bras du Hamas.

Elle a conduit en outre Netanyahou à faire une erreur stratégique monumentale : il a cru que le Hamas se contenterait de gérer Gaza. Le 7 octobre, il a reçu un démenti sanglant.

Netanyahou a commis par ailleurs plusieurs fautes politiques impardonnables :

– Il n’a pas tenu compte des alertes que remontaient régulièrement les services secrets israéliens ni de l’avertissement que lui ont fait parvenir les autorités égyptiennes quelques jours avant l’attaque du Hamas. Il a même poussé l’impudence jusqu’à prétendre que les services secrets ne l’avaient pas informé (son nouvel allié Benny Gantz a du démentir ses propos dans la foulée).

– Pour complaire à ses amis suprémacistes, Netanyahou a envoyé les militaires qui surveillaient la frontière sud d’Israël en Cisjordanie pour épauler les colons juifs (considérant que sa fameuse « barrière sécurisée » suffirait à contenir le Hamas).

– Il a enfin contribué à désorganiser l’armée israélienne en cherchant à réduire le pouvoir de la Cour Suprême (tout cela pour que ses amis politiques condamnés par la justice puissent rester au gouvernement, lui-même étant par ailleurs mis en cause dans plusieurs affaires de corruption). Depuis plusieurs mois, des centaines de réservistes de Tsahal refusaient d’effectuer leur période militaire pour protester contre le projet de réforme du gouvernement.

Les israéliens ont payé très cher le fait d’avoir confié leur destin à un escroc.

Les occidentaux ont eux aussi une lourde responsabilité dans la catastrophe du 7 octobre.

Ils ont beau jeu aujourd’hui de brandir la solution à deux états : pendant des années, ils ont laissé Israël détruire la continuité territoriale d’un possible état palestinien en multipliant les colonies dans les territoires occupés ; ils l’ont laissé s’y livrer à une épuration ethnique à bas bruit (expulsions, expropriations, destruction de logements, harcèlement de la population …) (1).

– A cet égard, la responsabilité des États-Unis est écrasante : ils avaient les moyens de ramener Israël à la raison, car ils financent et équipent massivement son armée (3,8 milliards de dollars par an). Israël ne peut pas faire la guerre sans leur aide matérielle.

– L’Europe de son côté est restée passive face à la dégradation de la situation en Cisjordanie alors qu’elle est le principal bailleur de fonds de l’Autorité Palestinienne. Elle a même soutenu le pseudo plan de paix pour le Moyen-Orient de Trump en 2020.

– La France enfin est hors jeu depuis 2020 suite aux rodomontades de Macron après l’explosion du port de Beyrouth (2). La proposition grotesque du Président français le 24 octobre de constituer une coalition internationale contre le Hamas, puis son récent appel à un cesser le feu inconditionnel ont fini par le déconsidérer définitivement. Au Moyen-Orient, Macron fait rire.

Aujourd’hui, Israël est dans une impasse, malgré sa puissance militaire, ou plutôt à cause d’elle. Il pilonne Gaza sans plan précis, en affichant deux objectifs antinomiques : détruire le Hamas et sauver les otages. Il n’atteindra ni l’un ni l’autre (3).

Tsahal poursuit des fantômes dans les tunnels de Gaza. Le Hamas n’est pas une armée conventionnelle : il n’a ni centre logistique, ni poste de commandement, ni artillerie, ni blindés … Rien qui puisse constituer une cible. Ses militants agissent en petits groupes autonomes ; ils sont équipés d’armes légères et se fondent dans la population après chaque action.

Israël se moque du monde quand il prétend détruire les infrastructures du Hamas : il ne fait que réduire des immeubles de Gaza en poussière en tuant leurs habitants. Il tue dix civils pour un combattant, et quand il en tue un, il en fabrique deux par la haine qu’il suscite. Israël a surtout réussi jusqu’à présent à dresser l’opinion internationale contre lui, au point de faire oublier l’horreur des crimes du Hamas.

L’urgence aujourd’hui est d’arrêter les combats et de sauver les otages encore en vie. On pourrait imaginer ensuite un désarmement du Hamas en contrepartie du placement des palestiniens sous protection internationale. Les véritables négociations pour la création d’un état palestinien pourraient alors commencer : il existe en Israël, à Gaza et en Cisjordanie des gens lucides (4) qui sont convaincus que la solution à deux états est la seule permettant de résoudre le conflit.

Pour cela, Israël devra discuter avec toutes les factions palestiniennes, y compris avec le Hamas ; il devra accepter de démanteler ses colonies en Cisjordanie, quitte à affronter ses colons les plus extrémistes. Ce sera le prix à payer pour que les palestiniens acceptent de leur côté un compromis territorial.

Pour qu’un tel plan ait une chance d’aboutir, il faudra qu’il soit porté par les États-Unis et les pays arabes qui soutiennent financièrement les palestiniens (dont l’incontournable Qatar).

Ces conditions semblent irréalistes aujourd’hui, faute d’avoir été posées à temps. La voie de la négociation est longue et périlleuse, mais c’est la seule issue possible au conflit israélo-palestinien.


(1) Les colons suprémacistes juifs profitent de la guerre à Gaza pour multiplier leurs exactions : plus de 250 palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre.


(2) Lors de sa visite du 6 août 2020 à Beyrouth, Macron avait fustigé la classe politique libanaise et exigé des changements politiques radicaux au Liban, avec le succès que l’on sait.


(3) Netanyahou est le dernier à pouvoir conduire la guerre contre le Hamas : il va accumuler les morts à Gaza pour faire oublier sa responsabilité dans la débâcle du 7 octobre et il va chercher à prolonger indéfiniment la guerre pour échapper à la commission d’enquête qui l’attend à la fin du conflit.


(4) Parmi les « justes », côté israélien, on peut citer Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France (cf tribune publiée le 8 octobre dans le Monde : « L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique et d’une politique israélienne imbécile » (article accessible dans son intégralité uniquement aux abonnés) / interview sur France Inter le 21 novembre 2023), et du côté palestinien : Elias Sanbar, ancien Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO (cf interview sur France Inter le 15 décembre 2023)

Quand Historia déconstruit l’Histoire …

Malheureux cathares : traqués par l’Inquisition, spoliés, jetés en prison et, pour les plus récalcitrants d’entre eux, brûlés vifs, ils n’auraient même pas existé !

Historia l’affirme dans un dossier (1) réalisé par des historiens non « traditionalistes » pratiquant « une approche critique des sources » (comme si les historiens « traditionalistes » – comprenez : non négationnistes – ne la pratiquaient pas).

La thèse défendue par Historia repose sur un constat : dans ces fameuses sources, pour l’essentiel les registres de l’Inquisition dans lesquels étaient consignés les interrogatoires des présumés hérétiques, le mot « cathare » n’apparaît pas … Et pour cause : les cathares occitans ne se considéraient pas comme tels. Ils se qualifiaient simplement de « croyants » et, quand ils avaient reçu le consolament (2), de « parfaits », de  » bons-hommes » ou de « bonnes-femmes » . Ils ont été qualifiés de cathares ultérieurement, par assimilation aux cathares – marque déposée – qui vécurent en Rhénanie au XIIe siècle.

Du coup, Historia s’interroge : étaient-ils vraiment hérétiques, ces pseudo-cathares ? Si ça se trouve, les clercs qui les ont tant vilipendés n’ont fait que recopier les diatribes anti-hérétiques de Saint Augustin : « les cathares médiévaux sont le fruit d’un plagiat ». En plus, les rares écrits qu’on leur prête sont « suspectés d’être des faux ». Regardez enfin toutes les âneries qu’ils ont inspirées, des délires mystiques d’un Maurice Magre aux théories anticoloniales des occitanistes, en passant par la marque « pays cathare » créée à des fins touristiques : Vous trouvez ça sérieux ? Autant de preuves – selon Historia – du caractère hypothétique de l’existence des cathares.

Après avoir ainsi brillamment déconstruit le mythe, Historia rétablit la vérité historique :

Les pseudos hérétiques occitans n’était en fait que des pauvres bougres « fabriqués et instrumentalisés » par les puissants pour justifier leurs visées sur le sud de la France (enfin, de la future France) ; des constructions sociales, en quelque sorte.

Selon Historia, la croisade des albigeois ne répondait pas à un objectif religieux : elle a été «le  fruit d’une convergence d’intérêts d’acteurs différents : les Cisterciens qui souhaitent s’implanter dans le Midi ; le pape Innocent III, qui veut imposer l’autorité de Rome dans cette région ; les rois capétiens, qui œuvrent à la construction d’un Etat français centralisé ». Il est étonnant que les francs-maçons n’aient pas été de la partie …

Cette analyse géo-politique est séduisante, mais pourquoi diable (si on peut dire) Saint Dominique a-t-il passé plus de dix ans de sa vie à prêcher dans le Lauragais, si aucune hérésie n’y menaçait l’Eglise catholique ?

Les cisterciens, eux, étaient déjà largement présents dans la région. S’ils sont intervenus, c’est à la demande du pape, parce qu’ils incarnaient le renouveau spirituel de l’Eglise et semblaient du coup les mieux placés pour défendre l’orthodoxie en terre occitane.

Quant aux rois de France … Philippe Auguste a refusé de s’associer à la croisade à ses débuts en 1209 : il désapprouvait la mise en proie des terres de ses vassaux du midi et son hostilité au pape Innocent III était notoire. Son fils Louis VIII ne s’est intéressé à la croisade qu’en 1226. Tous deux n’avaient pas lu Duby ni Braudel : ils avaient d’autres préoccupations que de bâtir une nation centralisée, des Ardennes aux Pyrénées.

Au delà de la manipulation des faits, Historia fait fi dans sa présentation de la prégnance de la religion et de l’importance des liens féodaux au Moyen Age. La revue nous propose l’histoire des « Visiteurs » inversée : le récit de néo-historiens projetés au XIIe siècle.

Que recherche Historia en piétinant ainsi les cendres froides du catharisme ? Faire le buzz ? Explorer la piste des réalités alternatives ? Sacrifier à la mode de la déconstruction ?

La France a décidément du mal à digérer l’histoire de ses provinces du sud : qui sait que Marseille fut dans l’antiquité une république indépendante alliée de Rome ? Qui connaît l’existence du royaume wisigoth établi au début du Moyen Age de part et d’autre des Pyrénées, et dont Toulouse fut un temps la capitale ? Combien de chercheurs français s’intéressent à la civilisation occitane (3) ?

Comme disait Nietzsche, le diable se cache dans les détails : c’est dans les détails de l’Histoire que se nichent les mensonges du roman national.


(1) Numéro 915 de mars 2023


(2) Chez les cathares, le consolament est une cérémonie qui marque le renoncement du croyant au monde et son engagement à respecter les règles de vie des parfaits.


(3) Il est commun aujourd’hui de confondre l’histoire de l’Occitanie avec celle des cathares, comme si l’une se résumait à l’autre. Concernant la civilisation occitane, un passage d’Historia est particulièrement savoureux : « En fait, cette civilisation idyllique appartient au domaine du rêve. Le « brillant » XIIe siècle occitan connaît un état de guerre permanent ; le comte de Toulouse bataille contre ses voisins, notamment les Trencavel, vicomtes d’Albi, Carcassonne et Béziers. Les chants des troubadours sont réservés aux cours des châtelains ; peu de terres échappent à l’emprise seigneuriale ; les villes sont gouvernées par une étroite oligarchie; l’économie reste médiocre et les écoles embryonnaires. Force est de constater qu’au début du XIIIe siècle la France du Nord est, dans bien des domaines, beaucoup plus avancée que l’Occitanie et concentre alors la richesse et la puissance. »

Peur, Paix, Poutine

La proposition d’Anne Hidalgo d’exclure les athlètes russes des jeux olympiques a été très mal accueillie en France. Manifestement, nos dirigeants n’ont pas envie de mécontenter Poutine. Que craignent-ils ? Si l’on en croit le maître du Kremlin, la Russie est déjà en guerre contre l’Occident : l’Europe n’a pas été atomisée pour autant.

Notre Président, en particulier, se montre très conciliant avec l’autocrate russe :

Déjà en juin 2022, il appelait « à ne pas humilier la Russie » quand les autres chefs d’état occidentaux dénonçaient les massacres de Boutcha et de Marioupol.

Le 12 octobre 2022, il déclarait que la France ne considèrerait pas une frappe atomique tactique de la Russie en Ukraine comme une attaque nucléaire. C’est quasiment une invitation au crime (heureusement pour les ukrainiens, les États-Unis sont autrement plus dissuasifs).

Emmanuel Macron affirme aujourd’hui qu’il souhaite la défaite de la Russie, mais pas son écrasement : les exégètes de la pensée élyséenne prétendent qu’il veut ménager Poutine par peur de l’arrivée au pouvoir d’un Prigojine (1). De fait, cela revient à interdire aux ukrainiens de gagner la guerre.

La peur de la Russie apparait aussi en filigrane dans les commentaires de nos médias quand ils qualifient « d’escalade » chaque fourniture d’armes nouvelles à l’Ukraine : ce faisant, les occidentaux ne font pourtant que répondre (souvent avec retard) aux demandes de Kiev. Les seules escalades dans ce conflit sont le fait des russes, qui ont franchi en un an toutes les étapes qui les mènent au crime contre l’humanité.

Depuis février 2022, les occidentaux n’ont de cesse de s’inventer des lignes rouges.

Ainsi celle concernant la fourniture d’armes « offensives ». La distinction entre armes offensives et défensives est absurde : un char est une arme offensive quand il avance et défensive quand il recule.

Une autre ligne rouge concerne l’utilisation par les ukrainiens d’armes occidentales pour frapper des cibles en Russie. Pourquoi les ukrainiens s’interdiraient-ils d’être efficaces, alors que la Russie, elle, se permet tout ? Comment peut-on à la fois affirmer que les ukrainiens défendent notre liberté et leur refuser les armes pour le faire ?

En droit international, livrer des armes à un belligérant – quelle que soit la nature de ces armes – n’a jamais constitué un acte de cobelligérance. Poutine peut dire ce qu’il veut : de toute façon, il n’a que faire du droit international …

La seule ligne rouge qui vaille, c’est la participation directe des occidentaux aux combats, qui déclencherait un conflit mondial.

La peur de la Russie, sur laquelle joue bien sûr Poutine, motive les appels à la négociation qui fleurissent ici et là en Occident, souvent d’ailleurs à l’initiative des amis du Kremlin (2).

Que signifierait l’ouverture de négociations aujourd’hui ? Imagine-t-on Poutine restituer spontanément les territoires qu’il a conquis alors qu’il a sacrifié plusieurs dizaines de milliers d’hommes pour s’en emparer ?

Demander aux ukrainiens de négocier maintenant, c’est leur demander d’accepter les exigences de Poutine : la perte définitive des territoires annexés par les russes, la renonciation à intégrer l’Europe et l’OTAN et la vassalisation de leur pays. Le comble serait de partir des accords de Minsk, comme le suggèrent certains à gauche. Ce serait une honte absolue, connaissant le contenu de ses accords (3).

Allons jusqu’au bout de ce scénario « pacifiste » : imaginons l’Ukraine devenue raisonnable et Poutine conforté à la tête d’une Russie « non humiliée ». Quelle crédibilité aurait l’Europe, et quel avenir, après s’être soumise aux diktats du maître du Kremlin ? Et pour quelle paix, avec une Russie prête à repartir à l’offensive dès qu’elle aurait reconstitué ses forces ?

Poutine a échoué dans sa tentative de conquête de l’Ukraine. Son seul objectif aujourd’hui est de rester au pouvoir : il n’y parviendra qu’en maintenant la Russie dans un état de guerre permanent. Il s’y emploie en mettant l’économie et la population (4) au service de la machine de guerre russe.

La seule façon de rétablir la paix en Europe, c’est d’aider les ukrainiens à remporter une bataille décisive pour provoquer l’implosion du régime russe et l’élimination de Poutine. Avec le risque que la Russie sombre dans le chaos.

Face à tout cela, que pèsent les jeux olympiques ?


(1) Ancien délinquant devenu oligarque, Prigojine s’est enrichi en tant que restaurateur au service du Kremlin, d’où son surnom de « cuisinier de Poutine ». Il est aujourd’hui l’exécuteur des basses œuvres du régime : il contrôle plus d’une centaine de médias russes et dirige la milice privée Wagner dont environ 40 000 hommes combattent dans le Donbass. Malgré ses critiques de l’armée russe, il reste très utile à Poutine : il lui sert d’épouvantail vis-à-vis des occidentaux et lui permet de « tenir » les ultra nationalistes.


(2) Dernière initiative en date : la publication le 20 mars 2023 d’une tribune dans le Monde signée par 300 universitaires appelant à un « compromis supportable » sous l’égide de l’ONU. Supportable pour qui ? Poutine ?


(3) Les accords de Minsk 1 et 2 ont été imposés à l’Ukraine par la Russie en 2014 suite à sa défaite face aux séparatistes du Donbass épaulés par plusieurs milliers de soldats russes. Ces accords prévoyaient le gel du front, l’échange des prisonniers et le départ des combattants étrangers (c’est-à-dire des russes). A terme, ils prévoyaient le retour des territoires dissidents dans le giron ukrainien après transformation de l’Ukraine en état fédéral. Dans ce cadre, les provinces pro-russes auraient disposé de leur propre administration et aurait eu un droit de veto au niveau fédéral pour les décisions importantes (par exemple, l’adhésion à l’Union Européenne). Ces accords n’ont été respectés par aucun des deux partis ; ils  sont aujourd’hui caducs suite à l’annexion du Donbass par la Russie.


(4) Une simple comparaison entre les guerres d’Afghanistan et d’Ukraine en dit long sur l’ état de « zombification » de la société russe. Dans les années 1980, les pertes soviétiques en Afghanistan  (15 000 hommes en 9 ans) ont puissamment contribué au discrédit du régime soviétique et à la chute de l’URSS. Aujourd’hui la Russie a déjà perdu entre 60 000 et 70 000 soldats en Ukraine sans que cela suscite de réaction notable dans la population : hormis ceux qui ont fui à l’étranger pour échapper à la mobilisation, les russes semblent accepter les sacrifices imposés par la nouvelle « grande guerre patriotique » menée par le régime. Pire : ils assument les crimes commis par leur armée.

Français : le formatage inclusif

L’écriture inclusive fait débat en France depuis une dizaine d’années : elle est sensée « assurer l’égalité de représentation des femmes et des hommes », car la langue française « véhiculerait une vision masculine du monde » …

Tout est dans la formule : comment une langue (mot féminin qui plus est !) peut-elle être « masculiniste » ? Les partisans de l’écriture inclusive justifient leur théorie par un tour de passe-passe : l’assimilation du genre grammatical au genre biologique.

Dans la fameuse règle stipulant que « le masculin l’emporte sur le féminin », « masculin » et « féminin » renvoient aux genres grammaticaux, et non aux sexes ; la règle ne dit pas que l’homme est supérieur à la femme, mais seulement que le genre grammatical masculin prime sur le genre féminin dans les accords.

Le français ne dispose pas du genre neutre : les substantifs sont donc aléatoirement masculins ou féminins. le mot « chaise » est féminin, le mot « tabouret » est masculin : le français ne considère pas pour autant que le tabouret est plus noble que la chaise.

Un substantif utilisé sans plus de précision est générique au singulier et inclusif au pluriel. Les mots « girafe » (féminin) et « lion » (masculin) désignent respectivement, au singulier l’ espèce « girafe » et l’espèce « lion », et au pluriel l’ensemble des girafes et des lions, mâles et femelles confondus ( du coup les girafes mâles sont désignés par un nom féminin – ce qui ne les dérange d’ailleurs pas plus que ça).

En français, si l’on veut préciser le sexe, il faut le citer explicitement (« girafe mâle » ou « girafe femelle » dans notre exemple). Quand le générique est masculin, le français propose cependant un substantif spécifique pour désigner la population féminine (exemple : lionne). Dans ce cas, effectivement, le genre grammatical correspond au genre biologique.

Tout ceci pour dire que genre grammatical et genre biologique sont deux notions distinctes, même si elles se recoupent en partie. Je veux bien que « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 soit sexiste, mais en raison de son contenu, pas parce qu’elle utilise le masculin générique dans son titre.

Les partisans de l’écriture inclusive oublient par ailleurs qu’une langue ne se pilote pas à partir de l’écrit. C’est l’oral qui dicte les évolutions des langues, en allant toujours vers plus de simplicité … or en matière de simplicité, l’écriture inclusive se pose un peu là !

Pour imposer la parité sexuelle dans les expressions, ou pour neutraliser les termes « masculinisés », l’écriture inclusive préconise une série de procédés qui s’avèrent très lourds à l’usage.

On a déjà beaucoup glosé sur le point médian : utilisé systématiquement, il rend vite les textes illisibles (les salarié.e.s français.e.s sont moins bien payé.e.s que leurs collègues allemand.e.s) : on imagine l’ahurissement des étrangers qui découvrent le français.

Les adeptes du point médian déconseillent d’ailleurs son utilisation quand le résultat est particulièrement rébarbatif (les agriculteurs.trices). Ils préconisent dans ce cas de recourir à d’autres procédés, comme la double flexion, qui consiste à citer explicitement les deux sexes (le fameux « françaises, français … » des discours présidentiels). Mais ce procédé ne peut pas non plus être utilisé de façon systématique, compte tenu de sa lourdeur (ah, heureux roi des belges !).

A défaut, ils préconisent de rechercher la neutralité sexuelle :

– en utilisant des mots ou des expressions épicènes (dont la forme ne varie pas selon le genre). Plutôt que d’employer la formule « les agriculteurs.trices » on parlera des « personnes travaillant dans l’agriculture »,

– en adoptant une approche globalisante (« le monde agricole … ») ou en recourant à la forme indirecte (« dans l’agriculture … »).

Ces procédés utilisés par pur formalisme peuvent dénaturer le propos (le terme « monde agricole » n’englobe pas que les seuls agriculteurs), et le recours massif aux périphrases relève de la langue de bois : ainsi traité, n’importe quel texte ressemble à une motion de synthèse du Parti Socialiste.

L’écriture inclusive fait bien sûr le délice des bureaucrates. Ce n’est pas un hasard si elle est tant prisée par les apparatchiks des partis et syndicats de gauche : elle leur parle !

En brouillant leur discours, elle leur permet de masquer leur impuissance. Ce faisant, personne n’est dupe : avant, on ne les écoutait pas ; aujourd’hui on ne les lit même plus.

L’écriture inclusive part du principe qu’il suffit de rééduquer le langage pour changer la société. Eliane Viennot (1), la papesse du genre, l’affirme dans une tribune publiée dans le Monde le 27 avril 2021 : « on ne peut d’un côté accepter l’écriture inclusive et de l’autre tolérer les agissements sexistes ».

Du coup, dans l’esprit de nombreux militants de gauche, écrire en inclusif constitue un gage de féminisme (mais cela semble ne pas avoir suffit dans le cas de Julien Bayou).

En définitive, l’écriture inclusive n’est qu’un marqueur de bien-pensance. Elle relève du Spectacle, au sens situationniste du terme : à défaut de pouvoir / vouloir changer le Monde, les incluseurs.euses se contentent d’en corriger la représentation.


(1) professeur émérite de littérature française de la Renaissance à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne (abusivement qualifiée de « linguiste » dans « Le Monde »).


« La langue française est un système qui n’est pas plus sexiste que l’allemand, l’anglais, l’arabe ou le coréen … Alors que, partout, l’oppression des femmes est une réalité à laquelle s’affrontent des milliers de luttes, il y aurait des langues plus « féministes » que d’autres ? C’est le sort fait aux femmes et l’usage de la langue qui peuvent être sexistes, et non les langues en elles-mêmes » (Danièle Manesse, interview au « Monde », 31 mai 2019).

Les Le Pen vont-ils (enfin) vivre honnêtement ?

La Macronie est généreuse : elle vient d’offrir 89 députés au Rassemblement National, au prix de 37 000 euros le député. Chaque voix rapportant par ailleurs 1,64 euros, le RN va toucher au total 10,3 millions d’euros par an : les Le Pen devraient donc pouvoir vivre confortablement sans avoir à escroquer la République …

… Nous sommes bien loin de ce mois d’octobre 72 où Jean-Marie fonde le Front National avec quelques comparses. Il s’agit surtout à l’époque d’offrir un refuge aux amateurs de ratonnade : même si l’argent est le nerf de la guerre, c’est le nerf de boeuf qui motive ce petit monde. Tout juste se soucie-t-on dans ce cénacle du trésor perdu de l’OAS (1) : ah, folle jeunesse !

En 1976, Jean-Marie découvre qu’il peut gagner de l’argent grâce à la politique : il hérite du cimentier Hubert Lambert – un admirateur inconditionnel du leader d’extrême-droite – et se retrouve à la tête de plusieurs millions d’euros (2). Dorénavant à l’abri du besoin, il peut faire de la politique comme il l’entend : il transforme le FN en PME familiale et installe le siège du parti dans son château de Montretout.

En 1988, la loi sur le financement des partis politiques change la donne : la politique devient une activité rentable. Jean-Marie s’emploie à faire prospérer le cheptel des électeurs d’extrême droite, non sans risque : en 2002, il est contraint de participer au deuxième tour de l’élection présidentielle suite à la défaillance de Jospin.

En 2011, il lève le pied : sa fille Marine lui succède à la tête de l’entreprise familiale, bien décidée à changer de méthodes : il est vrai, le FN se livre alors à des arnaques assez indigentes, comme faire financer par l’Europe des permanents déguisés en assistants parlementaires (cela vaudra à Marine une mise en examen en 2017 pour abus de confiance et détournements de fonds publics).

Dès 2012, Marine passe à la vitesse supérieure : à l’occasion des élections législatives, elle met en place un montage financier audacieux avec l’aide de son ami Chatillon, ex gudard rencontré sur les bancs de la fac d’Assas et fondateur de la société de communication « Riwal ». Marine oblige les candidats du FN à acheter leur kit de campagne à son micro parti « Jeanne », distinct du FN. Ces kits sont fournis à « Jeanne » par « Riwal » au prix (largement surévalué) de 16 650 euros. Afin d’aider les candidats à acquérir ces kits, « Jeanne » leur consent un prêt à 6,5%. Le tout (kit + intérêts) est payé au final par l’Etat dans le cadre du remboursement des frais de campagne. Ce petit montage très sarkozien permet à Marine de se constituer un trésor de guerre et à Chatillon de rouler en Harley aux frais de « Riwal », ce que les juges qualifient mesquinement en 2020 d’abus de biens sociaux. Le RN écope pour sa part d’une amende de 250 000 euros et « Jeanne » d’un redressement fiscal de 1,8 million d’euros (pour non paiement de la TVA et de l’impôt sur les sociétés : condamnation prononcée en appel en mars 2023).

Vivre de la politique n’est pas une sinécure. Tout au long de leur carrière, les Le Pen ont dû neutraliser (3) nombre de malfaisants tentés de s’emparer de leur fond de commerce : Mégret en 1998, le quarteron Martinez / Lang / Lehideux / Bild en 2008, Philippot en 2017, Zemmour en 2022.

La principale motivation des Le Pen, c’est le grisbi (4). Aujourd’hui, le salaire d’opposant n°1 ne leur suffit pas. Ils veulent refaire le coup de « la casa de papel » : investir l’Etat pour mettre la main sur la planche à billets.


(1) La volatilisation du trésor de guerre de l’OAS semble être à l’origine de celle de l’ex trésorier de l’organisation – Raymond Gorel – en 1963 : à l’extrême droite, on ne plaisante pas avec la responsabilité personnelle des comptables … Jean-Jacques Susini (ancien dirigeant de l’OAS) a été accusé en 1972 d’avoir commandité la disparition de Gorel ; il a été acquitté en 1974.


(2) L’héritage Lambert est constitué d’avoirs financiers et bancaires et de biens immobiliers, comprenant le fameux château de Montretout à Saint Cloud et une maison de famille.

En 2016, dans leur déclaration patrimoniale, les Le Pen ont évalué leur château à 1,8 million d’euros (ce montant a été réévalué à 3,6 millions par le fisc). Ils s’en partagent la propriété via une société immobilière dont Jean-Marie détient 75% des parts.

Côté financier, le montant de l’héritable Lambert dépasserait les 4,5 millions d’euros. Le Monde a publié en 2016 une enquête dans le cadre de l’affaire des Panama Pepers révélant l’existence de comptes offshore détenus par des proches des Le Pen dans les iles Vierges britanniques, à Guernesey et en Suisse de plusieurs millions d’euros.


(3) le mot « neutraliser » ne doit pas être pris ici dans son acception militaire : Dieu merci, nous ne sommes plus à l’époque de Duprat ( c.f. Wikipedia : « Le samedi 18 mars 1978, à 8 heures 40, François Duprat meurt dans l’explosion de sa Citroën GS piégée, près de Caudebec-en-Caux. Il achevait un livre sur le financement des partis politiques de droite et d’extrême droite intitulé Argent et politique … » )

Pour mémoire : François Duprat, ancien dirigeant d’Ordre Nouveau, était membre du bureau politique du FN. Son assassinat n’a jamais été élucidé : il n’est pas dû forcément à sa connaissance fine des réseaux de financement de l’extrême droite : Duprat cumulait les pathologies : antisémite, antisioniste virulent, en contact avec le Fatah et le FPLP, il était soupçonné d’entretenir des relations avec des services secrets, voire même d’être un indicateur de police.


(4) c.f. Lorrain de Saint Affrique (proche conseiller de Jean-Marie Le Pen) : « Ne jamais oublier que le fil rouge de (Jean-Marie) Le Pen, c’est l’argent » (propos rapporté par Pascale Nivelle dans l’article « Elle n’a rien d’une blonde » publié dans Libération le 15 janvier 2011).

Le mythe de la 6ème République

Analyse du volet institutionnel du programme de Jean-Luc Mélenchon (chapitre 1 de son livre-programme « L’avenir en commun »)


En préambule de son programme, Jean-Luc Mélenchon fait un bilan sévère – mais fondé – de l’état de la démocratie en France : abstention massive aux élections, perte de confiance des français dans les institutions, exercice solitaire du pouvoir par un président-monarque, poids des lobbys, impuissance du Parlement … (ce à quoi il aurait pu ajouter : incapacité de la classe politique à réformer le pays en profondeur).

Il impute tous ces maux au caractère présidentiel de la 5ème République et à l’usage pervers que fait Emmanuel Macron des institutions. La panacée selon lui : changer de république pour mettre en place un régime parlementaire.

Son projet de 6ème République appelle trois remarques :

– Un changement de régime « à froid » ne peut pas être réalisé sans un fort consensus politique. On voit mal un parti aussi clivant et controversé que LFI mener à bien une modification radicale de nos institutions. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon qui se pique d’histoire le sait parfaitement : les changements de constitution se sont toujours faits en France sous la contrainte, suite à un drame national : la défaite de 1870, l’Occupation, la guerre d’Algérie. Il n’est pas sûr que l’arrivée de LFI au pouvoir soit une catastrophe suffisante à cet égard.

– Le processus imaginé par Jean-Luc Mélenchon est long et incertain (enchaînement d’un référendum, d’une élection constituante, puis d’élections législatives, le tout sur plus de deux ans) ; il engagerait le pays dans une campagne électorale interminable. Compte tenu du contexte international (guerre en Ukraine ; crise économique et écologique) La France a peut-être mieux à faire.

– Ce scénario n’est pas réalisable, sauf à faire un coup d’état juridique. Jean-Luc Mélenchon veut organiser son referendum constitutionnel en s’appuyant sur l’article 11 de la Constitution, qui n’est pas applicable dans ce cas précis. Il faudrait passer par l’article 89, qui exige l’accord des deux chambres. Même si demain la gauche était majoritaire à l’Assemblée, elle aurait le Sénat contre elle (1).

En conséquence, la 6eme République de Mélenchon, c’est du vent.

Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon propose des mesures démagogiques (le droit de vote à 16 ans) ou carrément irréalistes (la révocation des élus par referendum – un phantasme datant de la Commune), mais il fait aussi des propositions pertinentes :

– élection des députés au scrutin proportionnel départemental,

– reconnaissance du vote blanc,

– recours à des assemblées de citoyens pour élaborer la loi dans certains domaines avec l’aide d’experts (cf la convention citoyenne pour le climat) – ces projets de lois étant bien sûr ensuite repris et votés par le Parlement,

– instauration d’une procédure de parrainages citoyens pour l’élection présidentielle,

– instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) (2).

La plupart de ces mesures ne nécessiteraient pas de modifier la constitution ou pourraient être réalisées avec l’appui d’autres forces politiques ; nul besoin donc de se lancer dans un projet pharaonique de changement de république pour restaurer la démocratie en France (3).


(1) Comme par hasard, Marine Le Pen veut elle aussi passer par l’article 11 pour inscrire ses dispositifs anti-immigrés dans la constitution.


(2) Un « petit » bémol concernant le RIC : comme le RN, LFI voudrait pouvoir modifier directement la constitution par ce moyen. Chez Marine Le Pen, il s’agit d’une stratégie subtile pour contourner les garde-fous constitutionnels afin de faire évoluer le régime vers un système à la hongroise. Mélenchon lui bien sûr ne fait pas ce genre de calcul …


(3) Deux mesures – non citées par Jean-Luc Mélenchon – pourraient contribuer aussi à re-dynamiser la vie politique tout en restant dans le cadre de la 5ème République :

– le retour à un mandat présidentiel de 7 ans – non renouvelable, qui permettrait au président de conduire des projets dans la durée sans se préoccuper de sa réélection.

– l’inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle : cela éviterait que le seul enjeu des législatives soit de fournir une majorité parlementaire au Président.

Jeu de NUPES


La création de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale) constitue l’apothéose de la carrière de Jean-Luc Mélenchon : elle officialise la défaite du parti socialiste (l’assouvissement d’une haine vieille de 13 ans) et l’allégeance des leaders de la gauche à Sa Personne (le rêve de toute une vie).

Hormis cela, c’est une arnaque.

Il faut être gonflé comme seul peut l’être Mélenchon pour prétendre gagner les élections législatives à la tête d’une gauche qui n’a recueilli que 32% des voix à la présidentielle. Ses 22% obtenus au premier tour ne valent pas mieux que les 58% de Macron au deuxième : ils incluent beaucoup de votes « utiles » que le grand illusionniste de LFI s’est empressé de convertir en votes d’adhésion.

Cela lui a suffi pour obtenir le ralliement d’Olivier Faure et de Julien Bayou : faut-il que les apparatchiks du PS et de EELV aient peur de leurs électeurs pour accepter ainsi de se soumettre !

Dans un réflexe d’auto-légitimisation, les signataires de l’accord se présentent comme l’incarnation de la gauche, renvoyant dans le camp macronien tous ceux qui ne sont pas NUPES (ce n’est pas ainsi qu’ils vont élargir leur base électorale).

La gauche – marque déposée – a mobilisé tout ce qu’elle compte de trolls et d’affidés dans les médias pour accréditer l’idée que les opposants à l’accord étaient « de droite » (comme si un Vincini (1) était de gauche). Ainsi, par la vertu d’un seul scrutin, la gauche française serait devenue communautarise et poutinienne …

L’esbroufe est vite apparue comme telle du côté des élus et des militants du PS : en témoigne la multiplication des candidatures dissidentes (certaines bénéficiant d’ailleurs du soutien du parti). Mélenchon n’aurait peut-être pas dû ouvrir son « union populaire » aux socialistes : ils vont y mettre le souk.

Nous verrons le 12 juin si l’esbroufe tient du côté des électeurs. Certes, le peuple de gauche réclame depuis longtemps un programme commun (il l’attend depuis cinq ans), mais peut-être pas un programme bricolé sur un coin de table.

Ce programme, un grossier copié-collé de celui de Mélenchon pour la présidentielle, mériterait une petite analyse, pour le fun.

Comme ses différentes propositions n’ont pas été réellement débattues, elles font souvent l’objet d’une formulation alambiquée, pour ménager toutes les susceptibilités : du coup ce programme perd une des rares qualités du document originel : la clarté.

Lorsque les négociateurs n’ont pas pu mettre leurs différends sous le tapis, ils les ont listés dans leur programme. Ces points de désaccord sont particulièrement impressionnants en ce qui concerne l’Europe et la politique internationale. Rêvons un peu : imaginons que Mélenchon soit « élu » premier ministre le soir du 19 juin. Le spectacle du char de l’Etat tiré par l’attelage mélenchonnien sera savoureux.

En toute logique, la baudruche « nupesienne » devrait se dégonfler rapidement.

Elle aura au moins eu le mérite de clarifier les choses, en permettant de faire le tri à gauche entre les communautaristes, les opportunistes et les tenants d’une gauche universaliste. Ces derniers sont minoritaires au PS ? Qu’ils abandonnent les décombres de leur parti à Mélenchon, pour qu’il en fasse sa datcha …


(1) Président du Conseil Départemental de la Haute-Garonne.

L’Ukraine selon Mélenchon


Jean-Luc Mélenchon a appelé « chaque conscience de gauche progressiste, humaniste » à le soutenir : c’est audacieux, considérant son alignement sur Moscou dans le conflit ukrainien.

Déjà en 2014, il traitait les manifestants pro-européens de la place Maïdan de fascistes (c.f. son Blog du 25 février 2014) ; Poutine ne fait rien d’autre aujourd’hui quand il parle de « dénazifier » l’Ukraine.

La révolution de 2014 (qualifiée de « coup d’état » par Mélenchon) s’est traduite par l’éviction du président pro-russe Ianoukovytch, provoquant en retour l’occupation de la Crimée par la Russie. Ce n’est pas un problème pour Mélenchon, car « la Crimée est russe » (il l’a réaffirmé récemment dans un entretien avec le Monde le 17 janvier 2022) : propos étonnant pour un adepte de la gouvernance mondiale, sachant que l’intangibilité des frontières est un des principes fondamentaux de l’ONU.

Fin 2021 – début 2022, les Russes mobilisent à la frontière ukrainienne : « qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil (l’Ukraine), un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » déclare Jean-Luc Mélenchon au Monde le 17 janvier 2022.

Manque de chance, ce sont les russes qui attaquent. Mais si Mélenchon s’est trompé, ce n’est pas de sa faute : « Je me suis référé à ce que disaient les plus hautes autorités de mon pays. J’ai eu tort de les croire » (samedi 26 février, meeting à Saint Denis de la Réunion) : pour une fois qu’il fait confiance à Macron ….

Dans un premier temps, il ne parle que « d’escalade insupportable » on l’a connu plus virulent pour dénoncer une agression impérialiste. Il demande « un cessez-le-feu immédiat et un retrait de toutes les troupes étrangères d’Ukraine », comme s’il y avait en Ukraine d’autres troupes que russes … (le 24 février, à la Réunion).

Mélenchon ne dénonce clairement l’agression russe que début mars : « quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine, rien ne peut l’excuser ni la relativiser » (déclaration à l’Assemblée Nationale, le 1er mars 2022) ; « stop à la guerre, stop à l’invasion de l’Ukraine, à bas l’armée qui envahit l’Ukraine » (meeting du 6 mars à Lyon).

Paradoxalement, il regrette que l’Europe soit « hors jeu » et il la qualifie de « ridicule, nulle et qui ne vaut rien » (Jeudi 10 mars sur RMC) alors qu’elle a fait preuve (pour une fois) d’unité et de fermeté. Il n’a pas non plus de mot assez dur pour Emmanuel Macron (« un garçon avec ses arcs et ses flèches » – La Réunion, samedi 26 fevrier), alors que celui ci semble « faire le job » du propre point de vue de Mélenchon, en maintenant ouvert un canal de communication avec Poutine.

Que propose-t-il donc, pour obtenir un cessez-le-feu ?

« Frapper au centre du processus », c’est à dire sur les oligarques russes. S’il était président, il aurait pris l’initiative « de réquisitionner les villas et les yachts des milliardaires russes » (déclaration le jeudi 10 mars sur RMC) : on imagine Poutine arrêtant de bombarder Marioupol pour sauver les vacances de ses amis sur la Côte d’Azur ….

Jean-Luc Mélenchon prône une solution diplomatique dans le cadre de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), car « notre plus grande force c’est la politique, la capacité des ukrainiens à résister et la capacité du peuple russe à s’opposer à la guerre » (Jeudi 10 mars sur RMC).

« Notre force », c’est surtout la volonté de résistance des ukrainiens ; les russes sont sous le contrôle étroit du pouvoir et ceux qui manifestent le font à leurs risques et périls.

Mais pas question pour autant d’aider les ukrainiens : « Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations ? » (La Réunion, samedi 26 fevrier). Mélenchon s’oppose aussi aux sanctions économiques contre la Russie : « l’embargo sur le gaz russe, ce serait une aberration ». « Les seuls qui seraient frappés par ça, c’est nous » (marche pour le climat, le 12 mars).

En clair, Mélenchon propose d’organiser une grande négociation internationale … après avoir laissé Poutine gagner la guerre.

A aucun moment depuis le 24 février, il n’a eu un mot de soutien ou de sympathie pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky (attend-il sa liquidation par Poutine pour se manifester ?)

Concernant la sécurité de la France, Mélenchon a livré sa pensée le 26 février à la Réunion :

Il prône un « non-alignement » sur les Américains et les Russes et une sortie de l’Otan : « nous n’avons rien à faire dans un équipage pareil », car « l’Otan abandonne les gens en cours de route »… C’est la raison pour laquelle la Suède et la Finlande se préparent à y adhérer.

Mélenchon préfère s’adresser directement aux Russes pour leur demander « le retrait de tous les matériels offensifs en état de frapper la France, s’ils les installaient sur les territoires conquis ». Poutine doit être ému par autant de candeur.

Le maître du Kremlin traverse aujourd’hui des moments difficiles : son armée piétine devant Kiev. Espérons que son service de presse lui traduit régulièrement les discours du leader des insoumis, pour mettre un peu de gaité dans sa vie.

Arrêter Poutine

L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous ramène 85 ans en arrière.

Russes et ukrainiens sont proches culturellement. Ils ont une longue histoire commune : ils ont subi ensemble la répression stalinienne et les massacres nazis. Beaucoup ont de la famille, des amis, de part et d’autre de la frontière.

La guerre déclenchée par Poutine est monstrueuse et absurde.

Il est temps que l’Occident regarde le régime russe en face. On prête à Poutine une enfance de délinquant ; il a mis très tôt son âme de voyou au service du KGB, puis du FSB, dont il a gravi tous les échelons. Il s’est fait élire président en 2000 à la faveur de la deuxième guerre de Tchétchénie qu’il a déclenchée après une campagne d’attentats orchestrée par le FSB.

Il n’a pas lâché le pouvoir depuis, en usant de méthodes apprises dans les services secrets : manipulation de l’information, liquidation des journalistes indépendants (assassinat d’Anna Politkovskaïa en 2006) et des opposants les plus virulents (assassinat de Boris Nemtsov en 2015, tentative d’empoisonnement d’Alexeï Navalny en 2020), musèlement des médias et des organismes non gouvernementaux (dissolution de Mémorial), criminalisation de l’opposition démocratique (qualifiée de « terroriste »), truquage des élections.

Poutine est à la tête d’une clique d’oligarques qui a fait main basse sur la rente gazière et qui rackette l’économie russe. Malgré ses richesses naturelles et le haut niveau d’instruction de sa population, la Russie (146 millions d’habitants) a le PIB de l’Espagne.

La Russie est un état maffieux, une cleptocratie.

En politique étrangère, Poutine ne connait que la force et n’hésite pas à recourir à la guerre chaque fois qu’elle sert ses intérêts : en Tchétchénie (2000), Géorgie (2008), Syrie (2017) ; aujourd’hui en Ukraine. Il combat des génocides imaginaires en commettant des crimes de guerre bien réels (bombardement massif de la population, ciblage des hôpitaux et des infrastructures civiles à Grozny, Alep, Marioupol ; utilisation d’armes chimiques en Syrie, de bombes à sous-munitions à Kharkiv…).

Dans son discours halluciné du 23 février, il a laissé tomber le masque : il veut détruire l’Ukraine en tant que nation.

Le risque d’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine apparait du coup pour ce qu’il est : un prétexte. Il serait bon d’ailleurs de s’interroger pourquoi tous les anciens états de l’URSS souhaitent entrer dans l’OTAN …

Au delà du rêve fou de reconstituer l’empire de Pierre le Grand, Poutine reproche surtout à l’Ukraine d’être un état démocratique. Il veut effacer le souvenir de Maïdan. Il craint que les russes suivent l’exemple des ukrainiens et qu’une « révolution de couleur » le chasse un jour du pouvoir.

Il faut bien sûr soutenir les ukrainiens par la fourniture d’armes et une aide économique et humanitaire massive ; il faut faire pression sur la Russie par des sanctions économiques draconiennes pour l’obliger à stopper son offensive.

Aucun pays limitrophe de la Russie comportant une minorité russophone (la Géorgie, la Biélorussie, la Moldavie, les trois états baltes) ne sera en sécurité tant que Poutine sera au pouvoir. Il a engagé une lutte à mort contre l’Occident, ne lui laissant d’autre choix en retour que de provoquer l’effondrement de son régime.

In fine, l’issue de ce conflit est entre les mains des russes eux-mêmes : ils sont les seuls à pouvoir chasser Poutine du pouvoir, d’où l’importance pour les occidentaux de les dissocier de leurs dirigeants.

Pour l’instant l’opinion publique russe semble soutenir le régime. Elle changera peut-être d’avis devant les restrictions économiques et l’accumulation des morts en Ukraine …

Emmanuel Macron l’a évoqué à demi mots : la crise qui s’ouvre sera longue et douloureuse ; nous n’en percevons pas encore toutes les conséquences : sécuritaires, économiques, politiques. En 1940, Churchill promettait aux anglais « du sang, du labeur, des larmes ». Il est à craindre que cette prédiction soit de nouveau d’actualité.

Une torpille dans le potage


L’annulation par l’Australie du contrat d’achat de 12 sous-marins français a beaucoup fait couiner en France. Le gouvernement y a vu un coup bas des américains, chose qui ne se fait pas entre alliés.

S’il ne s’agissait que de cela …

Face aux visées impérialistes chinoises (sous le couvert des « nouvelles routes de la soie »), l’Australie a décidé de se placer sous la protection des États-Unis. Sa rupture du contrat d’armement avec la France est la conséquence de ce choix stratégique.

Le fait que l’Australie ait opté pour des sous-marins américains à propulsion nucléaire est significatif à cet égard : sa marine ne maîtrise pas cette technologie et devra l’utiliser sous le contrôle et avec l’assistance des États-Unis : l’Australie va intégrer le dispositif militaire américain en Asie.

Cette situation devrait inquiéter au premier chef les australiens. De nombreux analystes politiques considèrent comme probable un affrontement majeur entre les États-Unis et la Chine dans les prochaines années. Le contour des camps en présence se dessine clairement dans les alliances qui se nouent : Chine et Pakistan d’un côté ; Inde, États-Unis, Japon, Grande-Bretagne et Australie de l’autre. Les australiens sont assurés aujourd’hui de se retrouver en première ligne du prochain conflit mondial.

Vu sous cet angle, la fierté du président Macron et la pérennité de quelques milliers d’emplois dans les arsenaux de Cherbourg pèsent peu. La France devrait plutôt profiter du camouflet commercial qu’elle a subi pour se dégager du piège asiatique et prendre ses distances avec la politique américaine dans le Pacifique.

La vente d’armes n’est pas une activité commerciale comme les autres. Au delà des problèmes moraux qu’elle pose (sauf à avoir le cynisme des israéliens), elle engage le fournisseur aux côtés de ses clients dans les conflits auxquels ils sont susceptibles de participer.

La situation de la Grèce est symptomatique à cet égard, et en totale symétrie avec celle de l’Australie. En achetant des avions « Rafale » et des navires français, la Grèce a surtout cherché à obtenir la protection de la France : les deux pays viennent d’ailleurs de signer un accord militaire de défense (1).

La France volera-t-elle pour autant au secours de la Grèce en cas d’attaque de la Turquie ? Rien n’est moins sûr : ce serait la seule à le faire en Europe (2), et l’opinion publique française n’acceptera jamais le coût humain d’un engagement militaire en Méditerranée orientale.

Pour éviter de se retrouver dans une situation inextricable, la France devrait renoncer au mercantilisme militaire : le commerce des armes doit venir en appui de la politique étrangère, et non l’inverse.


(1) Cet accord – évoqué très discrètement par les médias français – a été ratifié par le parlement grec le 7 octobre 2021.


(2) L’Allemagne en particulier ne s’opposera jamais à la Turquie, et ce pour trois raisons :

par crainte de la réaction du 1,5 million de turcs présents sur son territoire,

parce qu’elle a passé un accord avec la Turquie pour qu’elle retienne sur son sol les réfugiés du moyen-orient.

pour des raisons économiques : l’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Turquie.

Rappelons par ailleurs que l’Allemagne a équipé la Turquie en chars « Tigre » (utilisés contre les kurdes syriens en 2018) et cherche à lui vendre des sous-marins (susceptibles du coup de servir contre la France).


Réseaux sociaux : le bal des tartuffes

Après l’envahissement du Capitole le 6 janvier, Facebook et Twitter ont pris une décision qui a sidéré le monde : ils ont exclu le président des Etats-Unis de leurs plates-formes numériques, comme un vulgaire trublion.

Ce geste spectaculaire a mis en lumière un paradoxe : les réseaux sociaux sont perçus comme des services publics, du fait de leur universalité et de leur gratuité, alors qu’ils n’ont qu’une vocation commerciale et qu’ils n’offrent aucune garantie en matière de liberté d’expression.

Les responsables de cette situation sont les pouvoirs publics qui ont livré internet à des sociétés privées sans contre-partie, au nom du libéralisme économique, considérant que l’information n’était qu’une simple marchandise. Ils ont beau jeu aujourd’hui d’exiger des GAFA qu’ils respectent une éthique dont ils ne se sont jamais souciés jusqu’à présent.

Au delà du discours, vouloir réguler les réseaux sociaux existants relève du vœu pieux.

Matériellement, il est impossible de modérer les échanges en temps réel sur les plates-formes numériques, compte tenu du volume d’informations à traiter. Cela reviendrait par ailleurs à instaurer une censure, ce qui est inacceptable dans les pays démocratiques.

Les réseaux sociaux ne peuvent être régulés qu’a posteriori, sur la base des conditions générales d’utilisation (CGU) soumises à leurs utilisateurs.

On peut demander aux exploitants d’édicter toutes les règles de bonne conduite que l’on veut : ils ne les feront pas respecter, en raison de la complexité des procédures à mettre en oeuvre et du coût que cela représente.

Hormis les Etats-Unis, les états disposent par ailleurs de peu de moyens de pression sur les GAFA, car ceux-ci n’ont de compte à rendre qu’à la justice américaine.

Enfin, même quand les exploitants des réseaux sociaux jouent le jeu, les contrevenants sont difficilement sanctionnables en raison de l’anonymat d’internet.


La régulation des échanges n’est pas le seul problème posé par les réseaux sociaux. Les GAFA collectent et commercialisent les données de leurs utilisateurs en contrepartie de la gratuité de leurs services. Cette exploitation des données personnelles constitue une violation de la vie privée des internautes. Il est impossible d’interdire cette pratique, car cela reviendrait à exiger des GAFA qu’ils changent de modèle économique.


Dans ces conditions, il serait plus efficace, pour instaurer un véritable espace de liberté sur internet, de créer de nouvelles plates-formes numériques alternatives, non marchandes.

Ces plates-formes devraient être financées et contrôlées par les pouvoirs publics pour offrir toutes les garanties en matière de liberté d’expression et de protection des données. Il va de soi que l’anonymat devrait être levé sur ces réseaux, au moins lors de l’inscription, afin d’en permettre un contrôle efficace.

L’Union Européenne serait légitime pour porter un tel projet. Elle en a les moyens financiers et juridiques. Elle pourrait ainsi conforter son pouvoir d’influence dans le Monde (soft power) et s’imposer comme un acteur majeur du numérique ; mais il faudrait pour cela que ses dirigeants acceptent de défendre les valeurs qu’ils professent.


Le terme GAFA est un acronyme construit à partir du nom des 4 géants du net : Google, Apple, Facebook, Amazon. Il est souvent utilisé dans un sens plus large, pour désigner les acteurs majeurs du numérique (outre les 4 déjà cités : Microsoft, Netflix, Airbnb, Tesla, Uber, Twitter, Alibaba … ). Dans cet article, il désigne plus particulièrement les sociétés exploitant des réseaux sociaux.


Misère de l’écologie politique

Critique du « machisme » du Tour de France (Grégory Doucet, maire de Lyon), polémique autour d’un sapin de Noël (Pierre Hurmic, maire de Bordeaux), dénonciation du « pédoland » parisien et promotion du « génie lesbien » (Alice Coffin, conseillère municipale de Paris) … les écologistes d’EELV élus récemment à la tête des grandes villes françaises ont du mal à cerner les priorités.

Pour tout dire, EELV n’est pas intéressé par l’action concrète, surtout lorsqu’elle exige un engagement fort. A Sivens et à Notre Dame des Landes, le parti écologiste a laissé les zadistes affronter seuls l’Etat, avec le coût humain que l’on sait. D’une manière générale, EELV se préoccupe peu des combats menés « dans les territoires » (Bure, Gardanne, Caussade …). Le mouvement ne relaie pas ces luttes au niveau national, alors qu’il a accès aux médias et est représenté dans les instances politiques nationales.

EELV est plus intéressé par les arcanes du pouvoir. Ses militants ont surtout vocation à épauler les leaders dans leur ascension. Ceci explique le caractère « fermé » du parti : lieu de toutes les manipulations, EELV n’a qu’une seule crainte : se faire noyauter par une secte concurrente (LFI ?).

EELV recrute essentiellement en milieu urbain. Ses militants sont des citadins dogmatiques et autocentrés. Alice Coffin en est, si l’on peut dire, la quintessence.

EELV réussit l’exploit de combiner en son sein l’extrémisme de militants « kmers verts » et l’opportunisme de dirigeants obnubilés par leur carrière politique, d’où le grand écart entre son discours (parfois) maximaliste et ses pratiques (toujours) conciliantes.

Tout au long de son existence, le parti a produit une kyrielle d’apparatchiks qui se sont recasés dans l’appareil d’état en monnayant leur pouvoir de nuisance : les de Rugy, Pompili (ministres) ; Dufflot (présidente d’Oxfam France) ; Joly, Canfin (députés européens) ; Placé (au Conseil Régional d’Ile de France), et bien sûr l’intermittent du Spectacle Cohn Bendit, conseiller du Prince.

Aujourd’hui, tout en condamnant férocement l’usage « d’arbres morts » à Noël, EELV prend soin de ne pas exiger l’abandon immédiat du projet EPR de Flamanville, pour ne pas compromettre l’avenir politique de ses dirigeants.

A deux ans des élections présidentielles, les deux principaux leaders d’EELV consacrent toute leur énergie à contrôler le parti et à nouer des alliances politiques. Que Yannick Jadot et Eric Piolle se rassurent : aucun des deux ne sera élu président de la république. Ils sont incapables de rassembler les français autour d’un projet politique.

Car ce projet n’existe pas.

La crise écologique est patente. Au delà du réchauffement climatique, c’est la survie du vivant qui est en jeu. La question n’est plus de savoir où positionner le curseur entre la bougie des amish et les centrales nucléaires d’ENEDIS, mais de réaliser une véritable révolution civilisationnelle, avec comme point d’achoppement le redéploiement de l’économie dans un monde globalisé.

La tâche est immense. On le voit, on est loin de la problématique des arbres de Noël et il n’est pas certain que le génie lesbien suffise.

L’écologie politique vit un terrible paradoxe : l’opinion publique est convaincue de l’ampleur de la crise et de l’urgence d’agir ; les initiatives écologistes individuelles ou collectives foisonnent ; pourtant, les tenants de l’écologie politique sont incapables de transcrire ces aspirations dans un grand projet fédérateur.

Pourquoi les dirigeants d’EELV sont-ils si ennuyeux quand il nous parlent d’écologie ?

Porca miseria …


Municipales toulousaines : arrêt sur image

A Toulouse, comme dans la plupart des villes françaises, le confinement a figé les candidats aux municipales dans la plus mauvaise position qui soit : en plein envol.

Toulouse, état des lieux

Toulouse a beaucoup d’atouts : Airbus (dont le succès masque cependant la fragilité du tissu économique local), le métro (autour duquel se structurent les transports publics), des terrasses de bistrot animées (c’est la 2ème ville universitaire de France) et quelques pôles d’excellence dont l’existence surprend, compte tenu du culte local pour le bordel : le secteur médical, TSE (Toulouse School of Economics) et le Stade Toulousain.

En contrepartie, Toulouse connaît les problèmes inhérents à toute métropole : des déplacements de banlieue à banlieue problématiques, des quartiers en déshérence (Bagatelle, les Isards, Empalot) et pas mal de délinquance. A cela s’ajoutent quelques problèmes spécifiques : la saleté (c’est un des marqueurs de la ville), la difficulté à faire cohabiter cyclistes, piétons et automobilistes dans ses rues étroites (sans parler des poussettes et des fauteuils roulants) et … le manque de charisme de son maire, Jean-Luc Moudenc.

Moudenc, le trou noir de la droite

Jean-Luc Moudenc est devenu maire un peu par hasard : en s’asseyant dans le fauteuil abandonné par le clan Baudis. Certes, il souffre d’un déficit de notoriété (les agents municipaux ne le reconnaissent pas toujours quand il fait son jogging), mais il a acquis une bonne connaissance des rouages du pouvoir local pendant les années passées à servir ses prédécesseurs.

Il a organisé la gestion de la ville autour du seul objectif qui vaille, conserver le pouvoir. Il bichonne sa base électorale, la bonne bourgeoisie toulousaine, frileuse et conformiste, qui a placé son fric dans l’immobilier. Il a parfaitement compris ses attentes : les abords du marché Victor Hugo nettoyés et quelques policiers municipaux en faction place du Capitole.

Pourquoi changer une recette qui marche ? Dans son programme, Jean-Luc Moudenc propose de recruter des policiers supplémentaires, de mettre un peu plus de caméras dans le centre ville et, pour électriser les foules, de réaliser trois projets pharaoniques. Il veut ériger une verge végétalisée près de la gare (la tour Occitanie), construire une troisième ligne de métro (conforme à la règle des 3 « trop » : trop peu, trop cher, trop tard) et planter 100 000 arbres (Té couillon, cent milleuh !) .

Edile médiocre, Jean-Luc Moudenc s’est montré par contre très fin tacticien. Il s’est fait adouber à la fois par LR et LREM et il tient solidement la droite toulousaine. Ce n’est pas un tueur, il n’assassine pas ses concurrents au berceau : il les étouffe in utero.

La gauche atomisée

La gauche toulousaine est allé à l’abattoir électoral en ordre dispersé : elle a produit trois listes concurrentes (sans compter quelques listes d’extrême gauche, qui ont surtout vocation à témoigner). Ces trois listes sont pleines de socialistes, ce qui est déjà mauvais signe.

En Haute Garonne, le Parti Socialiste a passé un accord tacite avec Jean-Luc Moudenc (à la Gauche, le département, à la Droite, Toulouse et la Métropole). Du coup, les apparatchiks du PS ont écarté celui parmi eux qui était le plus motivé pour conquérir la ville. C’est à ce genre de subtilité que l’on peut mesurer « leur ambition pour tous ».

A gauche, sont donc en lice :

La liste officielle du PS (soutenue par le PC). Elle a fait un nombre raisonnable de promesses intenables (« 200 policiers nationaux en plus ») et pratique l’écriture inclusive dans ses tracts, signe de radicalité.

La liste « Archipel citoyen » : c’est un peu la cour des miracles. Y figurent : le postulant socialiste malheureux, le parti pirate, le parti occitan, EELV, la France Insoumise, Place Publique, etc… Son discours est à l’avenant : on y retrouve tout le bric à brac idéologique accumulé par la Gauche depuis Nuit Debout. Son programme laisse songeur : création de 20 000 emplois climat (financés comment ?), des assemblées citoyennes décisionnaires (sur quelle base légale ?), un plan d’urgence pour les transports (oui, mais encore ? ) …. S’il gagne, l’ « Archipel citoyen » risque de se transformer rapidement en triangle des Bermudes.

La liste de Pierre Cohen (l’ancien maire socialiste). C’est la plus audacieuse des trois : intituler « pour la cohésion » une candidature de division, c’est gonflé ! Pierre Cohen a repris son programme de la mandature précédente, et pour montrer qu’il n’est pas psychorigide, il prône aujourd’hui le prolongement du métro jusqu’à Labège.

Retour à la réalité

Tout cela était avant … avant que le covid-19 ne s’invite dans le débat. Dans quelques semaines, lorsque la vie aura repris son cours, cahin-caha, nos candidats vont devoir redescendre sur terre et trouver rapidement des solutions pour faire face à la crise qui vient.


Flagrant déni

Le bilan de la répression du mouvement des gilets jaunes est effarant. Un mort (1) , 25 yeux crevés, 4 mains arrachées, plusieurs centaines de blessés, des milliers de manifestants placés en garde à vue. La France n’a pas connu un tel niveau de violence depuis 1968.

Prétendre, comme l’ont fait certains commentateurs, que la police n’a fait que répondre à la violence des manifestants est un mensonge. Les personnes mutilées l’ont été alors qu’il n’y avait pas d’affrontements. La violence de la police s’est exercée contre tous les manifestants sans discernement.

Elle est la conséquence des directives gouvernementales. La police a reçu la consigne de faire mal (d’où les matraquages et les gazages massifs) ; la justice de faire peur (d’où le recours aux gardes à vue de 48 heures). Chaque samedi, la police a ciblée quelques manifestants et les a embarqués pour les déferrer devant la justice. Au besoin, leurs dossiers ont été étoffés avec des faux témoignages de policiers. L’objectif était clair : dissuader les gilets jaunes de continuer à manifester.

D’une manière générale, le maintien de l’ordre passe en France par la création d’un rapport de force avec les manifestants : exhibition de cordons de CRS en rangs serrés, intimidations, voire, dans le cas des gilets jaunes, insultes proférées contre les manifestants (il est difficile de croire que des policiers puissent agir ainsi sans l’accord de leur hiérarchie). Surtout pas de dialogue avec « l’ennemi ». Cette stratégie d’affrontement est critiquée au sein même de la police.

Rappelons au passage que la France est un des rares pays d’Europe a utiliser des armes cataloguées comme armes de guerre pour le maintien de l’ordre. Cette situation a été dénoncée dans plusieurs instance internationales. Le gouvernement n’en a cure.

Quand les médias font état d’un cas de violence policière (suite en général à la publication d’une vidéo sur internet), Le gouvernement s’emploie à éviter que l’affaire n’arrive devant les tribunaux (en application de la « jurisprudence » Rémi Fraisse). Il y est parvenu jusqu’à présent : depuis un an, aucun policier n’a été poursuivi par la justice pour violence contre un manifestant.

Dans son entreprise d’obstruction, le gouvernement dispose de deux outils efficaces ; le Ministère public, qui par nature lui est inféodé, et l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) dont il use et abuse depuis un an.

Tous les procureurs ne sont pas aussi stupides que celui de Nice, qui a déclaré dans l’affaire Legay, « ne pas vouloir contredire le Président de la république ». La plupart agissent dans l’ombre, c’est à dire ne font rien.

L’IGPN est un service dépendant exclusivement du Ministère de l’Intérieur, donc aux ordres. ses « enquêtes » ont pour objectif d’éclairer les décisions de l’administration et n’ont aucune valeur juridique. Elles vont bien sûr dans le sens ou on leur demande d’aller, et servent à étayer la parole gouvernementale.

Après la mort de Steve Maia Caniço, par exemple, les « enquêteurs » de l’IGPN ont omis d’interroger des témoins importants et non pas fait auditer le téléphone de la victime (le premier ministre a essayé d’enterrer l’affaire en s’appuyant sur cette enquête bâclée, mais la ficelle était trop grosse).

En règle générale, les « enquêtes » de l’IGPN sont très longues, ce qui permet aux juges d’instruction compréhensifs (quand ils ont été saisis) de prononcer discrètement un non lieu plusieurs mois après les faits.

En France, la violence policière fait partie intégrante du maintien de l’ordre. Cautionnée par le pouvoir, ignorée par la justice, banalisée par les médias, elle a un caractère institutionnel.


(1) Zineb Redouane, atteinte à Marseille par une grenade alors qu’elle fermait les volets de son appartement.


Divorce à la catalane

La crise politique en Catalogne, avec en point d’orgue le référendum sur l’indépendance du 1er octobre 2017, aura au moins permis aux européens de découvrir l’existence des catalans.

En France, la poussée de fièvre indépendantiste a dérouté les analystes politiques : beaucoup y ont vu une manifestation de populisme à l’italienne, alors que les indépendantistes catalans sont majoritairement de gauche, pro-européens et, à la différence de la police espagnole, non-violents (1).

Pour qui a déjà mis les pieds à Barcelone, le sentiment national catalan est une évidence. Quelle que soit leur opinion politique, qu’ils soient pour ou contre l’indépendance, les catalans ont le sentiment de constituer une nation, d’avoir une langue, une culture et un destin communs.

Ce sentiment n’est pas dicté par un simple égoïsme fiscal ; disons pour faire simple qu’il est le résultat de l’histoire.

Jusqu’à un passé récent, les idées indépendantistes étaient marginales au sein de la société catalane. Elles se sont développées à partir de 2010, en raison du blocage des négociations avec Madrid concernant l’évolution du statut d’autonomie. Face à l’intransigeance de Rajoy (qui, entre autre, a refusé aux catalans les dispositions fiscales accordées aux basques), les partis catalanistes se sont livrés à une surenchère qui a abouti à l’organisation du référendum du 1er octobre 2017.

Ce faisant, ils se sont piégés eux-mêmes …

La constitution espagnole ne prévoit pas la possibilité de sécession d’une région ; le référendum sur l’indépendance étant de ce fait illégal, il n’a pas de valeur juridique. Si les indépendantistes voulaient quitter l’Espagne de façon démocratique, ils auraient dû obtenir d’abord une modification de la constitution espagnole.

De plus, du fait de son déroulement, ce référendum n’a pas beaucoup de valeur : outre son sabotage par le pouvoir central, il a été organisé à la va-vite ; les opposants à l’indépendance n’ont pas pu s’exprimer et ont boycotté majoritairement le scrutin.

Ce référendum est surtout une faute politique majeure de la part des indépendantistes ; il a fracturé profondément la société catalane et compromis les chances d’une évolution du statut d’autonomie « en douceur ».

Pire, peut-être : en se livrant ainsi à une gesticulation politicienne (de leur propre aveu), les indépendantistes ont réveillé « la Bête ». les néo-franquistes de Vox ont fait une percée aux dernières élections et une alliance entre la droite et l’extrême-droite se dessine à Madrid.

L’indépendance risque bientôt de ne plus être le problème majeur des catalans.


(1) Cela n’empêche pas le gouvernement espagnol de garder en prison depuis 2017 une quinzaine de responsables indépendantistes catalans, en violation avec les principes de l’Union Européenne.

L’histoire de la Catalogne en 14 dates

801 : prise de Barcelone par Charlemagne.

878 : le comte goth Wilfred (dit le Velu) prend la tête des comtés de la marche d’Espagne. Ses successeurs s’affranchissent rapidement de la tutelle carolingienne.

1134 : union du royaume d’Aragon et des comtés catalans.

1213 : mort du roi d’Aragon Pierre II à la bataille de Muret (près de Toulouse). Cette défaite met fin aux ambitions du royaume d’Aragon au nord des Pyrénées. Au XIII et XIV siècle, les catalans se lancent dans une politique d’expansion en Méditerranée (conquête des Baléares, du royaume de Valence, de la Sicile et de la Sardaigne).

1412 : suite à l’extinction de la dynastie catalane d’Aragon, la Catalogne est rattachée à la Castille, mais garde sa langue, son droit et ses coutumes. A compter de cette date les catalans n’auront de cesse de préserver leur autonomie au sein du royaume espagnol.

1640 : révolte des catalans (guerre des faucheurs) ; ils refusent de participer à l’effort de guerre du royaume espagnol contre la France et font appel à Louis XIII. Le conflit s’achève par la conquête du nord de la Catalogne par la France et la reconnaissance des droits et institutions catalanes par le roi d’Espagne.

1714 : siège et prise de Barcelone par les français lors de la guerre de succession d’Espagne (les catalans ayant pris parti contre les Bourbons soutenus par la France). Les catalans perdent leur prérogatives (la date de la réédition de Barcelone , le 11 septembre, deviendra par la suite le jour de la fête nationale catalane).

1931 : A la chute du roi Alphonse XIII, proclamation de la République Catalane ; elle intègre la République Espagnole en contrepartie de la mise en place d’un gouvernement autonome, la Generalitat.

1936 : insurrection nationaliste et début de la guerre civile. La Catalogne se range dans le camp républicain.

1939 : victoire de Franco. De nombreux catalans prennent le chemin de l’exil. La Catalogne perd son statut d’autonomie, la langue catalane est interdite.

1975 : mort de Franco. Rétablissement de la démocratie en Espagne.

1978 : La constitution espagnole accorde une large autonomie politique à la Catalogne, rétablit la Generalitat et le Parlement catalan.

2010 : Le 3eme statut d’autonomie de la Catalogne négocié entre le gouvernement espagnol et le parlement catalan est retoqué par la Cour Constitutionnelle espagnole.

1er octobre 2017 : organisation d’un referendum sur l’indépendance de la Catalogne par la Generalitat. Le referendum est déclaré illégal par le gouvernement espagnol, qui tente d’empêcher sa tenue. Emprisonnement des principaux leaders indépendantistes pour « rébellion » ; les partis indépendantistes gardent cependant la majorité au parlement catalan lors des élections de mai 2018.

Pour aller plus loin …

Le labyrinthe catalan de Benoît Pellistrandi (2019, Desclées de Brouwer)

Cet essai, œuvre d’un historien, propose des pistes de réflexion intéressantes sur la crise catalane, malgré son parti-pris anti indépendantistes. L’auteur décrit les jeux politiques subtils entre Madrid et Barcelone qui ont conduit selon lui à la crise de 2017, fait la généalogie du nationalisme catalan et donne son analyse de la situation politique espagnole actuelle.


Le Grand Debat, un jeu de com

Nous connaissons tous ces séminaires où on planche par petits groupes sur l’optimisation des relations dans l’entreprise avec en fin de journée, débriefing, synthèse et remerciements du PDG en visioconférence.

C’est en général le signe d’une prochaine restructuration. Quand nos managers nous font réfléchir sur le fonctionnement de l’entreprise, c’est qu’ils veulent changer notre façon de fonctionner. Le Grand Débat s’inscrit dans ce cadre.

Dans les faits, c’est un vaste fumisterie (qui a coûté 12 millions d’euros, tout de même).

Les deux dispositifs mis en place, les réunions locales et la consultation via internet, ont produit des propositions contradictoires. Cela n’a pas empêché Édouard Philippe de marier allègrement la carpe et le lapin lors de sa « grande » restitution du 8 avril, sans attendre d’ailleurs que l’intégralité des propositions soit dépouillée.

Le bidonnage est patent quand on se penche sur l’organisation et le déroulement de la consultation.

La multiplicité des réunions publiques ne doit pas faire illusion : la participation a été faible, particulièrement en zone urbaine.

Les réunions à l’initiative des élus ont respecté le cadre de la consultation, mais pas toujours celles organisées par des entreprises, associations, voire lobbies (on a ainsi eu droit à Toulouse à « un grand débat national équestre », un débat organisé par le Conseil National de l’Automobile, un débat « pour répondre à la lettre des évêques de France sur la crise » … tous référencés sur le site gouvernemental granddebat.fr).

Là où nous pouvons légitimement nous interroger, c’est sur l’exploitation des contributions : qui a réalisé les synthèses ? suivant quelle méthode ? qui les a vérifiées ? Sans parler de la synthèse des synthèses…

Concernant la consultation internet, les choses sont plus simples : les militants de LREM ont beaucoup contribué (voir à ce sujet l’analyse faite dans « Le Monde » du 8 avril), et les synthèses ont été réalisées par un robot sur la base de mots clés (!)

Évidemment, dans ces conditions, les préoccupations des français recoupent les priorités du gouvernement (moyennant une petite manipulation consistant à traduire l’exigence de justice fiscale par une demande de réduction des impôts).

En définitive, avec le Grand Débat, Macron s’est offert deux mois et demi de campagne électorale sans opposition et sans élection à la clé : elle n’est pas belle la vie ?


Ecologie : les solutions à Manu

Voici quelques solutions simples que j’ai trouvées pour ne plus m’emmerder avec l’écologie …

Solution n°1 : nommer un ancien écologiste ministre de l’environnement (y en a toujours un pour prendre le job, même si Hulot dit que c’est mort).

Solution n°2 : organiser une « convention citoyenne » composée de 150 pingouins pour réfléchir à la question (les tirer au sort, pour être sûr de faire le bon choix).

Solution n°3 : soutenir chaleureusement les manifestations pour la planète (tout le monde aime la planète, même le gouvernement). J’envoie toujours un ou deux ministres à ce genre de manif. Le top, ça été quand la petite Poirson a harangué les lycéens (*) lors de leur première marche pour le climat.

(*) « Je suis heureuse de votre mobilisation, ça veut dire que l’on a franchi un cap. Derrière les portes de ce ministère vous n’avez que des alliés, pas des adversaires. Je suis d’accord avec beaucoup de vos revendications.  » (Brune Poirson, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, le 15 février 2019)

Solution n° 4 : présenter le nucléaire comme la solution au réchauffement climatique. Mes communicants appellent çà « une vérité paradoxale ». Il y en a une qui me plait beaucoup aussi, c’est « les chasseurs, premiers écologistes de France » (j’aime beaucoup les chasseurs).

Solution n°5 : prendre des engagements ambitieux, mais pour le futur ; par exemple, se donner comme objectif 30% d’électricité d’origine renouvelable en 2030, 50 % en 2050, 70% en 2070, etc … (éviter les promesses précises à court terme : s’engager à fermer une centrale nucléaire dans les deux ans, c’est se foutre dans la merde).

Solution n°6 : conditionner la résolution d’un problème écologique à la résolution d’un autre problème, si possible économique (et si possible insoluble, comme le chômage). Ça a bien marché avec le glyphosate.

solution n° 7 : dire qu’ailleurs c’est pire (prendre comme exemple l’Allemagne, parce que les français prennent les allemands un peu pour des cons).

solution n° 8 : adopter un panda.