Ukraine : l’enfumage macronien

A l’issue d’un sommet réunissant une vingtaine de chefs d’état à Paris le 26 février dernier, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des soldats occidentaux en Ukraine (1).

Pourtant, s’il y a un scénario exclu par les alliés de l’Ukraine, c’est bien celui-là : participer directement au conflit, ce serait prendre le risque de déclencher une guerre mondiale. Zelensky d’ailleurs n’a jamais demandé à l’OTAN d’envoyer des troupes sur le terrain.

Pourquoi donc Macron a-t-il fait cette déclaration, qui plus est sans l’aval de ses pairs ?

Selon ses proches, ce serait à des fins dissuasives, pour signifier à Poutine que les occidentaux n’avaient pas de ligne rouge. L’argument prête à rire, concernant un homme qui déclarait il y a quelques mois que la France ne bougerait pas si la Russie utilisait des armes atomiques tactiques sur le champ de bataille : russes et ukrainiens savent à quoi s’en tenir sur la détermination de Macron.

Quelques chiffres permettent d’apprécier tout le sel des propos macroniens : les russes utilisent quotidiennement entre 15 000 et 20 000 obus (les ukrainiens 10 fois moins). La France produit actuellement 30 000 obus par an, soit la consommation de deux jours de combat intensif ; de quoi effectivement effrayer le maître du Kremlin …

Une autre interprétation a été avancée par certains commentateurs politiques. Emmanuel Macron aurait voulu obliger le RN et LFI à « sortir du bois », à se disqualifier en affichant leur soutien à la Russie (on connaît la complaisance de ces partis pour la Russie de Poutine). Si c’est le cas, utiliser la guerre en Ukraine à des fins politiciennes est assez misérable.

Connaissant le goût de notre Président pour les provocations verbales, on pourrait ne voir dans sa déclaration qu’une énième disruption à destination des médias … Mais en l’occurrence il s’agit d’autre chose : l’extrémisme verbal de Macron est un rideau de fumée destiné à masquer la faiblesse de l’engagement français.

En valeur absolue, la France n’arrive qu’au 15ème rang des donateurs de l’Ukraine, derrière la Finlande (2). Les seuls armements modernes qu’elle lui a livrés sont des missiles à longue portée « Scalp » et les fameux canons « Caesar » que les ukrainiens ne peuvent pas utiliser faute de munitions.

L’Europe n’a fourni à Zelensky jusqu’à présent qu’un tiers des munitions qu’elle lui a promises. Lors de la réunion du 26 février, les chefs d’états européens devaient débattre du projet tchèque d’acheter 800 000 obus à divers pays, dont l’Afrique du Sud, sur des fonds européens. La France s’y est opposée jusqu’à présent, sous prétexte semble-t-il que ces obus n’étaient pas produits en Europe (3) …

En réalité, Macron propose à Zelensky une aide qu’il ne demande pas pour mieux lui refuser celle qu’il réclame.

La déclaration de Macron a eu des effets désastreux. Elle a suscité un débat qui n’a pas lieu d’être ; elle a divisé les alliés de l’Ukraine et semé le trouble dans les opinions publiques occidentales. Elle a surtout conforté le discours de Poutine en donnant corps à ses accusations : ne prétend-il pas combattre en Ukraine  les soldats de l’OTAN ?

L’urgence aujourd’hui est de fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin : des moyens antiaériens pour sanctuariser son territoire, des drones et des missiles à longue portée pour frapper la Russie en profondeur et bien sûr des munitions en quantité suffisante. Il faut l’aider à fabriquer des munitions sur son sol (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) et sanctionner durement les entreprises occidentales qui continuent à livrer des composants électroniques aux russes. C’est de cela dont devraient se préoccuper nos dirigeants.

Malgré toutes leurs déclarations, ils ne semblent pas avoir bien compris les enjeux de la guerre en Ukraine : il s’y joue bien sûr la survie de l’Ukraine en tant que nation, mais aussi celle de l’Europe. Poutine a engagé une lutte à mort, « civilisationnelle », contre l’Occident. Ce ne sont pas les « va-t-en-guerre » de Bruxelles qui l’affirment, mais Poutine lui-même. Depuis un an, la Russie a basculé en économie de guerre. La guerre est devenue la raison d’être de ses dirigeants, leur seul objectif.

La probable victoire de Trump à l’élection présidentielle américaine va laisser les européens seuls face aux russes à partir de 2025 : il serait temps que Macron s’occupe de réarmement, lui qui affectionne tant ce mot …


(1) « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu ».


(2) Au 19 février 2024, selon l’Institut Kiel qui fait référence en la matière, la France aurait fourni 1,98 milliard d’euros d’aide à l’Ukraine (880 millions d’aide financière, 700 millions d’aide militaire et 400 millions d’aide humanitaire). A titre de comparaison : les États-Unis 74,3 milliards et l’Allemagne  19,4 milliards. Si l’on considère l’aide en pourcentage de PIB, la France arrive au 27ème rang (0,07%), derrière la Grèce (0,09%) (source : « Le Monde ») . Le gouvernement français affirme de son côté avoir fourni pour 2,615 milliards d’euros de matériel militaire à l’Ukraine entre le 24 février 2022 et le 31 décembre 2023. Quel que soit le montant exact de son aide, la France arrive très loin derrière les grandes puissances occidentales.


(3) Au dernières nouvelles, la France serait sur le point de rallier la coalition constituée autour de la république tchèque pour acquérir ces obus.