Terrorisme mode d’emploi

En Occident, les dirigeants politiques mentent parfois, sur un peu tout : l’état des hôpitaux, le déficit budgétaire, les violences policières … Mais pas en Russie. En Russie, il n’y a pas de divergence entre la parole officielle et la réalité, car la parole officielle EST la réalité. A l’instar du héros de 1984, les russes auront demain indifféremment quatre ou six doigts si Poutine le décide. Pendant deux ans, la Russie a mené une « opération spéciale » en Ukraine : parler de guerre était un crime. Depuis le vendredi 22 mars, la Russie fait officiellement la guerre en l’Ukraine …

L’attentat du Crocus City Hall à Moscou a été revendiqué par L’Etat islamique au Khorassan (EI-K). Poutine a reconnu qu’il était l’œuvre d’islamistes mais affirme contre toute évidence que l’Ukraine en est l’instigateur. Et nos médias de s’interroger : comment peut-on mentir à ce point ? Mais Poutine ne ment pas ! Il ne fait que décrire la réalité russe.

Quand Poutine parle, y compris devant la presse internationale, il ne s’adresse qu’aux russes. Peu importe si ses propos nous paraissent absurdes : il n’a que faire de l’opinion publique internationale, occidentale en particulier. Son seul souci, c’est d’inscrire son action dans le grand roman national qu’il déroule depuis son arrivée au pouvoir.

Dire aux russes que Poutine leur ment ne sert à rien. Ils vivent depuis deux ans dans une bulle : les nazis sont au pouvoir à Kiev, les troupes de l’OTAN combattent dans le Donbass, les ukrainiens se sont bombardés eux-mêmes à Marioupol et les charniers de Boutcha ne sont qu’une mise en scène orchestrée par les médias occidentaux. Il faut prendre cependant ce récit fictionnel au sérieux, car il nous éclaire sur les intentions du maître du Kremlin.

Écoutons donc ce que dit Poutine sur l’attentat du Crocus City Hall. Il ne s’attarde pas sur les exécutants, ceux-ci n’étant pas ukrainiens ; il préfère dénoncer le commanditaire, situé bien sûr à Kiev (d’où la relocalisation officiellement de l’interception du commando à la frontière ukrainienne).

Sa présentation de l’attentat, bien qu’incohérente, s’inscrit dans le prolongement de l’assassinat de Navalny, de son auto réélection triomphale et de l’officialisation de l’état de guerre (bizarrement, le même jour que l’attentat). Elle alimente la fable de la « monstruosité » du pouvoir de Kiev ; elle annonce tout simplement l’intensification de la guerre. Loin d’affaiblir Poutine, l’attentat le conforte dans son discours.

Malgré les crimes qu’il a commis en Ukraine, malgré les menaces de guerre nucléaire qu’il brandit régulièrement, les responsables occidentaux continuent à considérer Poutine comme un chef d’état « normal ». Macron lui a proposé «une coopération accrue» pour lutter contre le terrorisme islamiste : comme si Poutine se préoccupait de la sécurité des russes, lui qui en a déjà sacrifiés 150 000 en Ukraine !

La Russie a subi une vingtaine d’attentats « islamistes » depuis 2000. Les deux plus meurtriers sont la prise d’otage au théâtre Doubrouska à Moscou en octobre 2002 et celle de l’école de Beslam en Ossetie du Nord en septembre 2004. Dans les deux cas la plupart des victimes ont été tuées par la police. A Beslam, elle a même utilisé des chars pour « libérer » les otages. L’important pour Poutine, c’était de liquider les assaillants.

Son arrivée au pouvoir a été précédée par cinq attentats, entre le 31 août et le 16 septembre 1999. Les plus meurtriers visaient de simples immeubles d’habitation à Moscou. Ils ont fait en tout plus de 300 morts. Leurs auteurs se sont officiellement enfuis en Tchétchénie, désignant ainsi (déjà) le commanditaire. Ces attentats ont servi de prétexte au déclenchement de la deuxième guerre de Tchétchénie, à la faveur de laquelle Poutine a été élu Président.

Pour la petite histoire, la vigilance d’un habitant a permis de déjouer un sixième attentat le 23 septembre 1999 à Riazan  : ses auteurs étaient membres du FSB.

Concernant l’attentat du Crocus City Hall, plus le gouvernement russe accumulera de preuves contre l’Ukraine, plus la probabilité que l’attentat ait été piloté par le FSB sera forte.

Poutine a appris la manipulation des masses au KGB. Il a mis son talent et son expérience au service d’un vaste projet maffieux. Il a fait main basse sur la Russie en plaçant ses hommes aux postes-clés, en faisant de la corruption le mode de fonctionnement normal de l’état, en rackettant les entreprises, en terrorisant les opposants et en éliminant impitoyablement les traitres (le dernier en date étant Prigojine). Poutine, c’est Toto Riina Président de la Fédération de Russie.

Beaucoup en Occident attendent avec impatience qu’il accepte de négocier pour que la paix revienne en Europe. Ils se leurrent. Il n’y aura pas de paix tant que Poutine sera au pouvoir : il a besoin d’entretenir un état de guerre permanent pour maintenir son emprise sur la société russe.

Il y aura peut-être demain des négociations à la demande des ukrainiens, s’ils sont lâchés par les États-Unis ou découragés par les errements de Macron et par les atermoiements de Scholz. Mais ces négociations permettront seulement de geler le conflit. La guerre se poursuivra ailleurs ou sous une autre forme et reprendra en Europe dès que Poutine l’aura décidé. Les occidentaux sont engagés dans un tunnel dont ils ne sortiront qu’avec l’effondrement du régime russe.