Du plomb, pour le loup aussi …

Le 3 juillet dernier, Emmanuel Macron a visité les caves de Roquefort dans le cadre de la défense des fromages à pâte persillée (le choix de la date était judicieux, il faisait très chaud ce jour là).

Comme chacun sait, le roquefort est fait à partir de lait de brebis. Du coup, notre Président a eu des mots très durs pour les ennemis des moutons : « On ne va pas laisser le loup se développer et qu’il aille dans des massifs où il est en compétition avec des activités qui sont les nôtres … Et donc ça veut dire qu’il faut, comme on dit pudiquement, le prélever davantage  … Et tous les gens qui inventent des règles et qui ne vivent pas avec des bêtes dans des endroits où il y a l’ours qui re-déboule ou le loup, qu’ils aillent y passer deux nuits ».

Emmanuel Macron semble mettre l’ours et le loup dans le même sac (il a cité aussi le vautour, mais personne n’a vu de troupeau de moutons décimé par des vautours). Les situations de ces deux prédateurs ne sont pourtant pas comparables.

L’ours est présent dans les Pyrénées du seul fait de l’homme : sa réintroduction a été décidée dans les années 80 par les pouvoirs publics, plus d’ailleurs pour des raisons touristico-économiques qu’écologiques.

Si sa présence pose problème aujourd’hui, notre Président peut y mettre fin sans aller à Roquefort comme on va à Canossa : il lui suffit de faire cesser les importations d’ours de Slovénie, et la population d’ours pyrénéenne s’éteindra doucement (de toute façon, selon les experts, elle n’atteindra jamais le nombre d’animaux requis pour être viable). Au vu des défis écologiques que nous avons à surmonter, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du « plan ours ».

La situation du loup est tout autre. A la différence de l’ours, il s’est réintroduit tout seul, sans demander un euro au contribuable.

Il est revenu en France tout simplement parce qu’il y trouve un environnement favorable : de vastes espaces boisés et du gibier en abondance.

Une meute de loups s’installe sur un territoire non en raison de la présence de moutons l’été, mais parce qu’elle y trouve suffisamment de proies l’hiver (sangliers, daims, cervidés …). Régulièrement, de jeunes loups se détachent des meutes et parcourent le pays à la recherche d’un territoire pour s’y établir. Aujourd’hui, pour le malheur des éleveurs, le loup est partout, en groupe ou de façon isolée (on en a même vu en Ile de France …) ; aucun troupeau, où qu’il soit, n’est à l’abri.

Dans ces conditions, l’extermination des meutes ne résoudra pas le problème : elle peut même l’aggraver, en provoquant une plus grande dissémination des loups, et il ne faut pas se faire d’illusion : tôt ou tard, les meutes éliminées seront remplacées.

En prônant l’abattage des loups, notre Président oublie par ailleurs qu’il s’agit d’animaux protégés, même si leur niveau de protection a été baissé récemment par l’Union Européenne (1).

Le retour du loup est un phénomène naturel que nous ne maîtrisons pas ; cherchons à nous y adapter plutôt qu’à le combattre. Là où nous voulons maintenir le pastoralisme, au lieu de disputer le terrain au loup, investissons dans la protection des troupeaux.

Autant le dire tout de suite, il n’existe pas de système totalement efficace. Le loup finit toujours par trouver la faille. Les spécialistes préconisent de cumuler les dispositifs, afin qu’ils se renforcent mutuellement : recours aux chiens de protection (les fameux patous), renforcement de la présence humaine, parcage des moutons la nuit (le loup attaque après le coucher du soleil) ; tirs d’effarouchement … et tirs de défense en dernier lieu.

Les bergers vivent chaque attaque comme un traumatisme. Ils ont besoin d’aides concrètes (financements, formations, réseau d’alerte ..) et non de discours démagogiques. De toute façon, ils le savent, quel que soit la solution adoptée, ils vont devoir vivre avec le loup.

Son retour est au coeur de problématiques parfois opposées : le défense de la biodiversité, la sauvegarde du pastoralisme, la protection des espaces naturels (les troupeaux jouent un rôle important dans ce domaine).

Il n’y a pas de solution simple à un problème complexe. La « déclaration de Roquefort » d’Emmanuel Macron tient du discours d’estrade. Elle n’est pas fortuite pour autant. Le monde agricole doit faire face à des défis existentiels : la concurrence internationale, le respect des normes écologiques, la guerre douanière menée par les États-Unis, les diktats de l’industrie agro-alimentaire… Autant de problèmes que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas résoudre. La guerre contre le loup arrive à point nommé pour faire diversion ; elle permet aussi de caresser l’électorat d’extrême droite dans le sens du poil.


(1) Le pouvoir exécutif a l’habitude de s’assoir sur les décisions de justice en matière de protection des espèces menacées, comme en témoigne l’affaire du grand Tétras (un gallinacée de montagne) : les préfets des départements pyrénéens ont pris des arrêtés autorisant sa chasse jusqu’en 2022, alors qu’elle avait été interdite par le Conseil d’Etat en 2008 ; ces arrêtés étaient cassés en vain chaque année par les tribunaux administratifs des départements concernés sur demande des associations écologistes. Il a fallu attendre 2022 pour que le gouvernement promulgue un moratoire de 5 ans sur la chasse au grand Tetras, suite à une consultation nationale.


Pour aller plus loin …

Le cinéaste animalier Jean-Michel Bertrand est un des meilleurs connaisseurs français du loup, ce qui lui vaut la haine des dirigeants de la FNC (Fédération Nationale des Chasseurs). Il a consacré plusieurs années à observer les loups, en particulier dans la vallée de son enfance dans les Alpes.

Il a tiré trois films de son expérience. Dans le plus récent, « vivre avec les loups » (sorti en 2023), il donne justement la parole à ceux qui « passent des nuits en montagne », les bergers.

Par-delà l’androcène

Essai d’Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut et Sandrine Rousseau
2022
(Editeur : SeuilLibelle)

Les auteurs

Adélaïde Bon est comédienne. Elle est l’auteur de La petite fille sur la banquise, livre dans lequel elle décrit les ravages causés par le viol qu’elle a subi à l’âge de neuf ans.

Sandrine Roudaut est perspectiviste, conférencière et cofondatrice des éditions La Mer Salée.

Sandrine Rousseau est la députée EELV / NUPES de la neuvième circonscription de Paris.

Le livre

L’anthropocène désigne la période géologique où l’homme a commencé à modifier la nature en profondeur. L’androcène, c’est l’anthropocène genré, l’empire du mal(e). L’humanité se divise en deux : d’un côté, les mâles, les hommes blancs hétérosexuels ; de l’autre, leurs victimes : les femmes, les enfants, les racisés et la classe ouvrière (prolétaires mâles y compris, à condition qu’ils ne gagnent pas plus que le SMIC). Tous les maux de la planète résultent de la domination des mâles sur le restant de l’humanité.

Depuis l’avènement de l’androcène (à partir de Descartes, semble-t-il), la Terre est une vallée de larmes. Le comble de l’horreur : le génocide des sorcières, motivé par la privatisation des communs (espaces villageois cultivés par les femmes).

Par delà l’androcène est une longue plainte victimaire, heureusement limitée à 50 pages par l’éditeur. C’est un manifeste doloriste, quasiment un catéchisme cathare qui – Dieu merci – ne propose pas de sortir de l’enfer terrestre par une endura (1) collective, mais par une grande réconciliation (avec la nature, pas avec les méchants) : tous unis, tournons sept fois autour de Wall Street en chantant et le capitalisme s’effondrera …


(1) Endura : suicide par le jeûne préconisé par les cathares.

Commentaire

Par-delà l’androcène est une pochade indigente, comme en témoigne sa présentation des notions de nature et de culture (2) ; mais ce livre n’a pas l’ambition de révolutionner la pensée contemporaine : il est destiné à servir la stratégie marketing de Sandrine Rousseau.

Faut-il le rappeler ? Sandrine Rousseau est un pur produit de l’appareil d’EELV. A la différence d’Eric Jadot, son principal ennemi au sein du parti, elle n’a jamais participé à quelque combat écologiste que ce soit ; son seul terrain de lutte, ce sont les réseaux sociaux, les studios télé et les coulisses du pouvoir.

L’idéologie dont elle se réclame depuis son retour en politique, l’éco-féminisme, qui a inspiré Par-delà l’androcène, est un des avatars les plus grotesques du wokisme. C’est un mélange de religiosité écologiste et de nombrilisme parisien (3). L’éco-féminisme, c’est la phase terminale de l’écologie politique : on ne voit pas ce qui pourrait venir après …


(2) c.f. page 14 : « La distinction entre culture et nature a été construite pour donner un sens à la soif de puissance, d’hégémonie et de suprématie de quelques-uns. Elle a marqué au fer rouge l’élaboration des sociétés, usant de la terreur comme arme de discipline massive. »


(3) Le désintérêt des éco-féministes pour la révolte des femmes en Iran montre les limites – en particulier géographiques – de leur « radicalité ».

Misère de l’écologie politique

Critique du « machisme » du Tour de France (Grégory Doucet, maire de Lyon), polémique autour d’un sapin de Noël (Pierre Hurmic, maire de Bordeaux), dénonciation du « pédoland » parisien et promotion du « génie lesbien » (Alice Coffin, conseillère municipale de Paris) … les écologistes d’EELV élus récemment à la tête des grandes villes françaises ont du mal à cerner les priorités.

Pour tout dire, EELV n’est pas intéressé par l’action concrète, surtout lorsqu’elle exige un engagement fort. A Sivens et à Notre Dame des Landes, le parti écologiste a laissé les zadistes affronter seuls l’Etat, avec le coût humain que l’on sait. D’une manière générale, EELV se préoccupe peu des luttes menés « dans les territoires » (Bure, Gardanne, Caussade …) et les relaie mal au niveau national.

EELV est plus intéressé par les arcanes du pouvoir. Ses militants ont surtout vocation à épauler les leaders dans leur ascension. Ceci explique le caractère « fermé » du parti : lieu de toutes les manipulations, EELV n’a qu’une seule crainte : se faire noyauter par une secte concurrente (LFI ?).

EELV recrute essentiellement en milieu urbain. Ses militants sont des citadins dogmatiques et autocentrés. Alice Coffin en est, si l’on peut dire, la quintessence.

EELV réussit l’exploit de combiner en son sein l’extrémisme de militants « kmers verts » et l’opportunisme de dirigeants obnubilés par leur carrière politique, d’où le grand écart entre son discours (parfois) maximaliste et ses pratiques (toujours) conciliantes.

Tout au long de son existence, le parti a produit une kyrielle d’apparatchiks qui se sont recasés dans l’appareil d’état en monnayant leur pouvoir de nuisance : les de Rugy, Pompili (ministres) ; Dufflot (présidente d’Oxfam France) ; Joly, Canfin (députés européens) ; Placé (au Conseil Régional d’Ile de France), et bien sûr l’intermittent du Spectacle Cohn Bendit, conseiller du Prince.

Aujourd’hui, tout en condamnant férocement l’usage « d’arbres morts » à Noël, EELV prend soin de ne pas exiger l’abandon immédiat du projet EPR de Flamanville, pour ne pas compromettre l’avenir politique de ses dirigeants.

A deux ans des élections présidentielles, les deux principaux leaders d’EELV consacrent toute leur énergie à contrôler le parti et à nouer des alliances politiques. Que Yannick Jadot et Eric Piolle se rassurent : aucun des deux ne sera élu président de la république. Ils sont incapables de rassembler les français autour d’un projet politique.

Car ce projet n’existe pas.

La crise écologique est patente. Au delà du réchauffement climatique, c’est la survie du vivant qui est en jeu. La question n’est plus de savoir où positionner le curseur entre la bougie des amish et les centrales nucléaires d’ENEDIS, mais de réaliser une véritable révolution civilisationnelle, avec comme point d’achoppement le redéploiement de l’économie dans un monde globalisé.

La tâche est immense. On le voit, on est loin de la problématique des arbres de Noël et il n’est pas certain que le génie lesbien suffise.

L’écologie politique vit un terrible paradoxe : l’opinion publique est convaincue de l’ampleur de la crise et de l’urgence d’agir ; les initiatives écologistes individuelles ou collectives foisonnent ; pourtant, les tenants de l’écologie politique sont incapables de transcrire ces aspirations dans un grand projet fédérateur.

Pourquoi les dirigeants d’EELV sont-ils si ennuyeux quand il nous parlent d’écologie ?

Porca miseria …


Ecologie : les solutions à Manu

Voici quelques solutions simples que j’ai trouvées pour ne plus m’emmerder avec l’écologie …

Solution n°1 : nommer un ancien écologiste ministre de l’environnement (y en a toujours un pour prendre le job, même si Hulot dit que c’est mort).

Solution n°2 : organiser une « convention citoyenne » composée de 150 pingouins pour réfléchir à la question (les tirer au sort, pour être sûr de faire le bon choix).

Solution n°3 : soutenir chaleureusement les manifestations pour la planète (tout le monde aime la planète, même le gouvernement). J’envoie toujours un ou deux ministres à ce genre de manif. Le top, ça été quand la petite Poirson a harangué les lycéens (*) lors de leur première marche pour le climat.

(*) « Je suis heureuse de votre mobilisation, ça veut dire que l’on a franchi un cap. Derrière les portes de ce ministère vous n’avez que des alliés, pas des adversaires. Je suis d’accord avec beaucoup de vos revendications.  » (Brune Poirson, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, le 15 février 2019)

Solution n° 4 : présenter le nucléaire comme la solution au réchauffement climatique. Mes communicants appellent çà « une vérité paradoxale ». Il y en a une qui me plait beaucoup aussi, c’est « les chasseurs, premiers écologistes de France » (j’aime beaucoup les chasseurs).

Solution n°5 : prendre des engagements ambitieux, mais pour le futur ; par exemple, se donner comme objectif 30% d’électricité d’origine renouvelable en 2030, 50 % en 2050, 70% en 2070, etc … (éviter les promesses précises à court terme : s’engager à fermer une centrale nucléaire dans les deux ans, c’est se foutre dans la merde).

Solution n°6 : conditionner la résolution d’un problème écologique à la résolution d’un autre problème, si possible économique (et si possible insoluble, comme le chômage). Ça a bien marché avec le glyphosate.

solution n° 7 : dire qu’ailleurs c’est pire (prendre comme exemple l’Allemagne, parce que les français prennent les allemands un peu pour des cons).

solution n° 8 : adopter un panda.