La gauche burkini

Quand la gauche nage en eau trouble …

Le 16 mai, Eric Piolle, maire écologiste de Grenoble, a fait voter par son conseil municipal – à majorité de gauche – l’autorisation du port du burkini dans les piscines de sa ville, arguant qu’ « il n’y a aucune raison qu’on impose des injonctions vestimentaires aux femmes ».

On en impose bien aux hommes, puisqu’on leur interdit le port du caleçon de bain ! On le fait pour des raisons sanitaires : le même argument devrait justifier l’interdiction du port du burkini, sans plus de débat.

Il ne s’agit donc pas pour Eric Piolle d’une affaire de tissu, mais d’une question politique. Il veut « confessionnaliser » l’espace municipal, évidemment pour capter le vote musulman (ou supposé tel, car les musulmans ont peut-être d’autres soucis que vestimentaires). Le comble, c’est qu’il le fait au nom des droits des femmes.

Ce petit fait divers en dit long sur le confusionnisme idéologique qui règne à gauche.

La gauche a renoncé à changer le monde. Elle n’aspire plus aujourd’hui qu’à gérer des clientèles politiques. Elle a abandonné le combat universaliste pour une stratégie marketing de niches.


Autre évènement du même acabit, l’affaire Bouhafs.

Taha Bouhafs est un journaliste/activiste franco-algérien né en 1997. Il s’est fait connaître en 2018 en filmant Benalla en pleine action place de la Contrescarpe à Paris et en diffusant des fake news sur les violences policières à la fac de Tolbiac (« Les CRS épongent le sang des étudiants à l’intérieur de la fac pour ne laisser aucune trace »). Proche des milieux indigénistes, il a milité au comité Adama et a participé à la marche contre l’islamophobie. Il fait partie aujourd’hui de la nébuleuse qui gravite autour de Mélenchon.

Les insoumis ont essayé de l’imposer comme candidat de la NUPES dans la 14eme circonscription du Rhône. Ils l’ont écarté en catastrophe le 9 mai après avoir reçu plusieurs signalements le concernant pour violences sexuelles.

Le problème n’est pas que Bouhafs soit suspecté de viol : cela arrive aussi à des ministres, et LFI n’est pas responsable des agissements de ses adhérents dans leur vie privée. Le problème, c’est que les insoumis aient voulu faire de ce personnage un député, malgré ses nombreux dérapages publics. Bouhafs a été récemment condamné en première instance pour « injure publique en raison de l’origine » (il a qualifié la syndicaliste policière Linda Kebbab d’«arabe de service » – le jugement est en appel). Il est coutumier de propos limites sur twitter (il a ainsi traité de « pute blanche » une prostituée qui se comparait à Rosa Parks). Il s’est spécialisé dans la traque sur internet des personnalités de culture musulmane – femmes de préférence – qui manifestent trop vivement leur attachement à la laïcité.

Pour les insoumis, ces excès verbaux ne sont que « des propos mal calibrés » tenus par un jeune « issu des quartiers populaires » (Alexis Corbière). A LFI, le patriarcat est à géométrie variable. Crime quand il est le fait d’un « mâle hétérosexuel blanc », il devient simple débordement chez un « racisé ». On peut mesurer là, concrètement, les effets des thèses intersectionnalistes (1) dont se prévaut la gauche woke.

Peu importe en définitive que la NUPES arrive un jour au pouvoir, ou qu’elle permette seulement à Mélenchon de couler des jours heureux à la tête de l’opposition : d’un point de vue de gauche, la NUPES, c’est déjà un échec.


(1) Comme le dit très justement Fatiha Agag-Boudjahlat : « (l’intersectionnalité) fonctionne (…) comme une intersection routière : il y a toujours une priorité et un « cédez le passage ». Avec l’intersectionnalité, ce sont toujours les femmes qui cèdent le passage aux intérêts du groupe ethnique et religieux auquel on les assigne. »

Jeu de NUPES


La création de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale) constitue l’apothéose de la carrière de Jean-Luc Mélenchon : elle officialise la défaite du parti socialiste (l’assouvissement d’une haine vieille de 13 ans) et l’allégeance des leaders de la gauche à Sa Personne (le rêve de toute une vie).

Hormis cela, c’est une arnaque.

Il faut être gonflé comme seul peut l’être Mélenchon pour prétendre gagner les élections législatives à la tête d’une gauche qui n’a recueilli que 32% des voix à la présidentielle. Ses 22% obtenus au premier tour ne valent pas mieux que les 58% de Macron au deuxième : ils incluent beaucoup de votes « utiles » que le grand illusionniste de LFI s’est empressé de convertir en votes d’adhésion.

Cela lui a suffi pour obtenir le ralliement d’Olivier Faure et de Julien Bayou : faut-il que les apparatchiks du PS et de EELV aient peur de leurs électeurs pour accepter ainsi de se soumettre !

Dans un réflexe d’auto-légitimisation, les signataires de l’accord se présentent comme l’incarnation de la gauche, renvoyant dans le camp macronien tous ceux qui ne sont pas NUPES (ce n’est pas ainsi qu’ils vont élargir leur base électorale).

La gauche – marque déposée – a mobilisé tout ce qu’elle compte de trolls et d’affidés dans les médias pour accréditer l’idée que les opposants à l’accord étaient « de droite » (comme si un Vincini (1) était de gauche). Ainsi, par la vertu d’un seul scrutin, la gauche française serait devenue communautarise et poutinienne …

L’esbroufe est vite apparue comme telle du côté des élus et des militants du PS : en témoigne la multiplication des candidatures dissidentes (certaines bénéficiant d’ailleurs du soutien du parti). Mélenchon n’aurait peut-être pas dû ouvrir son « union populaire » aux socialistes : ils vont y mettre le souk.

Nous verrons le 12 juin si l’esbroufe tient du côté des électeurs. Certes, le peuple de gauche réclame depuis longtemps un programme commun (il l’attend depuis cinq ans), mais peut-être pas un programme bricolé sur un coin de table.

Ce programme, un grossier copié-collé de celui de Mélenchon pour la présidentielle, mériterait une petite analyse, pour le fun.

Comme ses différentes propositions n’ont pas été réellement débattues, elles font souvent l’objet d’une formulation alambiquée, pour ménager toutes les susceptibilités : du coup ce programme perd une des rares qualités du document originel : la clarté.

Lorsque les négociateurs n’ont pas pu mettre leurs différends sous le tapis, ils les ont listés dans leur programme. Ces points de désaccord sont particulièrement impressionnants en ce qui concerne l’Europe et la politique internationale. Rêvons un peu : imaginons que Mélenchon soit « élu » premier ministre le soir du 19 juin. Le spectacle du char de l’Etat tiré par l’attelage mélenchonnien sera savoureux.

En toute logique, la baudruche « nupesienne » devrait se dégonfler rapidement.

Elle aura au moins eu le mérite de clarifier les choses, en permettant de faire le tri à gauche entre les communautaristes, les opportunistes et les tenants d’une gauche universaliste. Ces derniers sont minoritaires au PS ? Qu’ils abandonnent les décombres de leur parti à Mélenchon, pour qu’il en fasse sa datcha …


(1) Président du Conseil Départemental de la Haute-Garonne.

Le syndicat des perdants


La réélection de Macron une fois acquise, les partis de gauche (LFI, EELV, PS, PC) ont mis moins d’un mois pour s’unir, avec les législatives en ligne de mire. Il est vrai, ces élections sont beaucoup plus importantes que l’élection présidentielle : elles permettent aux partis politiques de caser leurs responsables à l’Assemblée et d’assurer leur financement pendant cinq ans (1).

Compte tenu du taux d’abstention prévisible, le ticket d’entrée pour le 2ème tour des législatives se situe à 20 – 25% des voix au premier tour. Vu leur poids électoral, les partis de gauche ne peuvent pas se permettre de s’affronter : il leur faut donc – pour survivre – se répartir les circonscriptions.

C’est surtout de cela dont ont discuté les signataires de la « nouvelle union de la gauche », le contenu du « programme commun » de gouvernement restant secondaire. Tout le monde est convaincu d’ailleurs que Mélenchon ne sera jamais premier ministre (tout au plus peut-il prétendre au titre de fou du Roi). Si les partis de gauche voulaient réellement exercer le pouvoir, ils se seraient alliés avant l’élection présidentielle, pas après.

La « nouvelle union de la gauche », c’est juste une alliance à vocation alimentaire.


(1) Ce financement est en deux parties :

– une partie calculée sur la base du nombre de voix recueillies aux législatives, pour les partis qui ont obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions,

– une partie calculée au prorata du nombre de parlementaires (députés et sénateurs).

Jean Zay

Jean Zay est peu connu du grand public et rarement évoqué par la classe politique. Et pour cause : il renvoie l’extrême-droite à ses crimes ; il prouve à la droite qu’un ministre de gauche peut être efficace et à la gauche, que l’on peut transformer la société en profondeur dans le cadre des institutions « bourgeoises ».

S’il avait survécu en 1944, Jean Zay aurait joué un rôle politique de premier plan : la gauche n’aurait peut-être pas eu besoin de faire appel à un médaillé de la francisque pour revenir au pouvoir.

A l’heure où de grands changements sociaux et économiques s’imposent, il est bon de rappeler qui fut Jean Zay, quelle fut son action et quels espoirs il a portés.

Sa biographie

Jean Zay est né le 6 août 1904 à Orléans. Son père, d’origine juive est le directeur du journal radical-socialiste Le Progrès du Loiret. Sa mère, institutrice, est protestante.

Il fait des études de droit. A 21 ans, il entre au parti Radical et adhère à la Franc-Maçonnerie. Il est élu député du Loiret en 1932. Il fait partie des « jeunes turcs » qui contribuent à ancrer le parti Radical à gauche.

En 1936, il est nommé ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts dans le gouvernement du Front Populaire. A ce poste, il lance de grandes réformes dont les effets sont encore visibles aujourd’hui. Au titre de l’Éducation nationale, il instaure les trois degrés d’enseignement, la prolongation de l’obligation scolaire à quatorze ans, les classes d’orientation, la reconnaissance de l’apprentissage, le sport à l’école. Au tire des Beaux-Arts, il crée le CNRS, le Musée national des arts et traditions populaires, le Musée d’Art moderne, la réunion des théâtres lyriques nationaux et le festival de Cannes.

A la déclaration de la guerre en 1939, il démissionne pour rejoindre l’armée dans le cadre de la mobilisation de sa classe d’âge. En juin 1940, avec l’autorisation de ses supérieurs, il rejoint le Parlement replié à Bordeaux pour organiser la poursuite de la guerre à partir des colonies.

Il embarque le 21 juin 1940 à bord du Massilia avec 25 autres parlementaires pour rejoindre le Maroc. Arrêté à son arrivée pour « désertion », il est renvoyé en métropole et incarcéré à Clermont-Ferrand.

En prison, Jean Zay est la cible d’une violente campagne de presse orchestrée par Philippe Henriot qui réclame sa mort. Il est condamné le 4 octobre 1940 à la déportation à vie. Cette peine est commuée en internement sur le territoire national. Il est incarcéré à la maison d’arrêt de Riom.

Le 20 juin 1944, il est extrait de sa prison par 3 miliciens qui l’exécutent dans un bois à Molles, dans l’Allier.

Il est réhabilité à titre posthume par la cour d’appel de Riom en 1945. Le 27 mai 2015, sur décision du président Hollande, ses cendres sont transférées au Panthéon à l’occasion de la journée nationale de la Résistance.

    Son procès

    Jean Zay a été haï par l’extrême-droite au moins autant que Léon Blum, car il a incarné une conscience de gauche sans faille : viscéralement antifasciste, il a prôné la fermeté face à Hitler, ce qui lui a valu l’accusation de « bellicisme ». En 1936, il a été un des rares ministres du Front Populaire à vouloir secourir la République espagnole. En 1940, il a abandonné ses fonctions politiques pour rejoindre le front et, lors de la débâcle, il a fait partie de la poignée d’hommes politiques qui ont cherché à poursuivre le combat. Il est assez extraordinaire que ceux-là même qui ont livré la France aux nazis lui aient fait un procès pour « antipatriotisme ».

    Ce procès a été alimenté bien sûr par l’affaire du Massilia, mais aussi par le « scandale » du « drapeau ».

    A 19 ans, Jean Zay avait écrit un poème intitulé « le drapeau », dans lequel il dénonçait violemment la boucherie de la Première Guerre Mondiale. Ce texte, même si ce n’est pas un monument de poésie, exprime – de façon somme toute légitime – la colère d’un jeune homme écœuré par le sacrifice d’une génération (si scandale il y a, c’est plus dans les vaines offensives du Chemin des Dames et de Verdun qu’il faut le chercher).

    Ce poème était resté dans le domaine privé jusqu’à ce que l’extrême-droite s’en empare et l’utilise contre son auteur (en 2014, plusieurs associations d’anciens combattants ont évoqué ce poème pour s’opposer au transfert des cendres de Jean Zay au Panthéon).

    Consulter le poème de Jean Zay « le drapeau ».

    Son assassinat

    Le 20 juin 1944, trois miliciens viennent chercher Jean Zay à la prison de Riom. Il s’agit d’Henri Millou, responsable de la sécurité de la Milice à Vichy, Charles Develle et Pierre Cordier. Les trois miliciens présentent un ordre de transfert pour Melun signé par le directeur de l’administration pénitentiaire. Les trois miliciens laissent entendre à Jean Zay qu’ils sont des résistants déguisés venus le libérer et l’assassinent dans un bois à Molles dans l’Allier.

    Jean Zay est abattu par Charles Develle. Puis, afin qu’il ne soit pas identifié, les tueurs le déshabillent, lui ôtent son alliance, jettent sa dépouille dans la crevasse du Puits-du-Diable et y lancent quelques grenades pour cacher le corps par des éboulis.

    Le corps de Jean Zay est retrouvé en 1946 par des chasseurs et est formellement identifié fin 1947. Charles Develle est arrêté en Italie et jugé en février 1953. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité puis libéré deux ans plus tard.

    (Source : article « Jean Zay » de Wikipedia)


    Plaidoyer pour un humaniste

    23 anciens ministres socialistes de François Mitterrand ont écrit au premier secrétaire du P. S. pour protester contre l’accusation de complicité avec les génocidaires rwandais portée par Raphaël Glucksmann contre l’ancien président lors de son meeting de Toulouse (1).

    Cette lettre est assez ridicule, car l’implication de la France dans le génocide ne fait plus aucun doute aujourd’hui. En 1994, le gouvernement français était informé des projets des génocidaires ; il n’a rien fait pour arrêter les massacres alors qu’il disposait de troupes sur place ; après l’offensive du FPR (2), il a protégé les génocidaires et leur a livré des armes, tout cela sous couvert de l’opération « Turquoise », qualifiée pour l’occasion – avec un sacré aplomb – de « mission humanitaire » ( cf le livre de Guillaume ANSEL : Ruanda, la fin du silence – témoignage d’un officier français). Même si la France était dirigée à l’époque par un gouvernement de cohabitation, les affaires étrangères et la défense restaient sous le contrôle direct du Président. La responsabilité de François Mitterrand est donc totale.

    S’ils voulaient vraiment défendre sa mémoire, les signataires de la lettre auraient dû plutôt expliquer pourquoi ce grand résistant a protégé René Bousquet, ancien Secrétaire général de la police de Vichy et organisateur de la rafle du Vel d’Hiv ; ou justifier l’action de François Mitterrand en tant que ministre de l’intérieur sous la 4e République, quand il envoyait les militants du FLN algériens à la guillotine ; ou encore légitimer l’existence d’une « cellule antiterroriste » à l’Elysée dans les années 80 pour surveiller les ennemis personnels du Président …

    Moralité : dans les réunions de famille, il vaut mieux éviter d’évoquer les souvenirs douloureux.


    (1) D’après « Le Canard Enchaîné » du 15/05/2019. Figurent parmi les signataires : Michel Charasse, Jean-Louis Bianco, Edith Cresson, Elisabeth Guigou, Jean Glavany, Paul Quilès, Roland Dumas, Hubert Védrine.


    (2) Front Patriotique Rwandais : mouvement armé des tutsis en exil.