Contre-histoire des Etats-Unis

Essai historique de Roxanne Dunbar-Ortiz

2018

(Editeur : Wildproject)

L’auteur

Roxanne Dunbar Ortiz est née en 1938. Sa mère était d’ascendance indienne. Elle a grandi dans une famille de métayers dans l’Oklahoma (le « pays indien ») . Docteur en histoire, féministe, militante des droits civiques dans les années 1960, elle se consacre à la cause amérindienne depuis 1970.

Le livre

De la naissance des Etats-Unis, nous savons ce qu’en disent le cinéma et la littérature : la détermination des immigrants du Mayflower, le courage des colons partant à la conquête de l’Ouest dans leurs charriots bâchés, l’héroïsme de Custer.

Tout ceci n’est que mythologie.

Dans son livre, Roxanne Dunbar Ortiz nous raconte la véritable histoire des Etats-Unis, celle qu’ont vécu les amérindiens : l’histoire de la destruction de centaines de nations indigènes par un état colonial.

Les Etats-Unis sont issus des colonies de peuplement anglaises d’Amérique du nord. Ils se sont développés aux dépens des peuples autochtones. Destruction des récoltes, chasse aux scalps, viols, massacre des non combattants, déportation des survivants : les Etats-Unis ont eu recours de façon systématique à la guerre irrégulière menée par des milices pour s’emparer des territoires indigènes.

Ces terres ont servi à alimenter le marché foncier américain ; elles ont permis la création de vastes plantations cultivées par des esclaves. Génocide et esclavage vont de pair ; ils constituent le « procédé d’accumulation primitive » du capitalisme américain.

Roxanne Dunbar Ortiz dénonce les idéologies qui ont sous-tendu la conquête de l’Amérique, en particulier le racisme qui permet de considérer le noir comme une marchandise et l’indigène comme un gibier.

Elle revisite quelques mythes :

– A l’arrivée des européens, l’Amérique du Nord n’était pas une terre vierge. Les nations amérindiennes avaient mis le continent en culture (les historiens parlent de « civilisations du maïs »).

– La « frontière » n’était pas le lieu d’échanges culturels entre amérindiens et occidentaux cher à certains intellectuels, mais la zone grise où tueurs d’indiens et colons sans terre procédaient au nettoyage ethnique en préparation à une nouvelle avancée de la « civilisation ».

– Certes, les amérindiens ont été décimés par les épidémies importées par les européens, mais cela n’atténue en rien l’importance du génocide dont ils ont été victimes. La maladie a d’ailleurs été utilisée comme une arme par les colons, au même titre que l’alcool et la famine.

Après l’achèvement de la conquête, la destruction des nations indigènes s’est poursuivie sous une forme économique, culturelle et sociale, faisant des réserves indiennes des îlots de misère.

L’histoire de l’extermination des indigènes, c’est aussi l’histoire de leur résistance. Tout au long du XXe siècle, les indiens n’ont cessé de défendre leurs droits face à l’état américain. Cette lutte a connu une recrudescence dans les années 1970 avec l’apparition du Red Power dans la foulée du mouvement pour les droits civiques.

En décrivant cette résistance, Roxanne Dunbar Ortiz met à mal un dernier mythe : les natives ne sont pas une composante parmi d’autres du melting pot américain. Ce sont les descendants des premiers habitants de l’Amérique qui se battent pour la restitution de leur territoire et la renaissance de leurs nations.

Commentaire

En se focalisant sur le crime fondateur, le génocide indien, Roxanne Dunbar Ortiz ne propose pas seulement une histoire des Etats-Unis iconoclaste, aux antipodes de l’hagiographie officielle ; elle remonte à l’origine de la violence de la société américaine, gangrénée par l’idéologie de la conquête, et montre comment le passé colonial des Etats-Unis a façonné la politique de ce pays dans le monde.

Au delà de l’analyse historique, à travers la lutte des communautés indigènes pour leur survie, elle pose la question du devenir de la société américaine : une autre Amérique est-elle possible ?

Le livre de Roxanne Dunbar Ortiz oscille entre essai et étude historique, d’où quelques analyses redondances et des aller-retour chronologiques ; il souffre par ailleurs de l’absence de cartes. Mais ce ne sont là que des défauts mineurs au regard de l’acuité du regard qu’il porte sur les Etats-Unis.

L’extrait

L’histoire des Etats-Unis est l’histoire d’une colonisation de peuplement, marquée par la création d’un Etat fondé sur le suprématisme blanc, sur la pratique généralisée de l’esclavage, sur le génocide et le vol de terres. Ceux qui veulent lire une histoire avec une fin heureuse, une histoire de rédemption et de réconciliation, passeront leur chemin : une telle conclusion n’est pas visible, pas même dans les rêves utopiques d’une société meilleure.

Ecrire l’histoire des Etats-Unis telle que les peuples indigènes la vécurent requiert de penser à neuf le récit national. Ce récit est faux ou déficient, non dans le détail des dates et des faits, mais dans son essence même. Et il persiste, en dépit de la liberté d’expression et de l’abondance d’informations disponibles, parce que personne ne semble vouloir remettre en question le récit galvaudé de nos origines. Peut-on transformer la société en reconnaissant la réalité de l’histoire des Etats-Unis ? Telle est la question centrale de ce livre.

Pour aller plus loin …

Sitting Bull, un des vainqueurs de la bataille de Little Big Horn (1876), assassiné en 1890 à la veille du massacre de Wounded Knee.

Brève chronologie de la création des Etats-Unis

1492 : découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.

1609 : fondation de la 1ère colonie anglaise à Jamestown, en Virginie.

1620 : arrivée des pélerins du Mayflower.

1754-1763 : guerre de 7 ans entre la France et l’Angleterre. Déportation des acadiens (le « Grand Dérangement »).

1775 – 1783 : guerre d’indépendance.

1803 : achat de la Louisiane à la France. Les Etats-Unis doublent leur superficie.

1817 : début des guerres contre les Seminoles.

1826 : publication du « Dernier des mohicans » : invention du mythe américain.

1829 – 1837 : présidence d’Andrew Jackson, militant actif de l’extermination des indiens.

1831 – 1839 : « La piste des larmes » : déportation des indiens vivant à l’est du Mississippi (Cherokees, Seminoles, Creeks, Chicachas) dans le « territoire indien » (le futur OKlahoma).

1846 – 1848 : guerre contre le Mexique. Annexion de la moitié de son territoire par les Etats-Unis.

1848 : ruée vers l’or en Californie.

1850 : début de la guerre contre les Apaches.

1861 – 1865 : guerre de Sécession. Abolition de l’esclavage dans les états confédérés.

1862 : début de la guerre contre les Sioux.

1876 : victoire de Sitting Bull à Little Big Horn contre Custer.

1886 : réédition du chef apache Geronimo.

1887 : loi de Lotissement général : morcellement et privatisation des terres indigènes.

1890 : massacre de Wounded Knee.

Wounded Knee (1890). Cadavre du chef Sioux Big Foot.

Quelques chiffres

On estime généralement que le continent américain comptait 100 millions d’habitants à l’arrivée de Christophe Colomb (dont 10 millions en Amérique du Nord).

Cette population se réduisait à 10 millions à la fin du XVIIIe siécle.

En 1900, on dénombrait 237 000 indiens aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, les Etats-Unis comptent environ 3 millions d’amérindiens (sur une population totale de 328 millions d’habitants). L’administration américaine reconnait 564 communautés indigènes. Les Etats-Unis ont signé plus de 300 traités avec des nations indiennes. Aucun n’a été respecté. En 1955 les territoires possédés par les indiens représentaient 2,3% des réserves indiennes d’origine.

Wounded Knee (1973). Occupation du site par des militants indigènes