Violence et islam

Entretiens d’Adonis avec Houria Abdelouahed

2015

(Editeur : Seuil)

Les auteurs

Adonis (Ali Ahmed Saïd) est considéré comme le plus grand poète arabe vivant. Il est né en 1930 en Syrie dans une famille alaouite ; il vit actuellement en France. Son oeuvre la plus connue est « al-Kitâb » (le livre).

Houria Abdelouahed est une psychanalyste d’origine marocaine, maître de conférences à l’université Paris Diderot. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Figures du féminin en islam » (PUF, 2012).

Le livre

Sous forme de dialogue, Adonis et Houria Abdelouahed se livrent à une analyse de l’Islam institutionnel sous l’angle historique, psychologique et culturel.

Ils partent de l’échec des révolutions arabes de 2011. Pour Adonis, cet échec est dû au fait que les révolutionnaires ont voulu renverser leurs dirigeants sans remettre en cause l’ordre social. Leur lutte pour le pouvoir s’est rapidement transformée en combat religieux.

Car en terre d’islam pouvoir temporel et pouvoir spirituel sont intimement liés. L’islam exige du musulman qu’il se fonde dans la communauté des croyants (l’oumma) et qu’il fasse allégeance au détenteur du pouvoir politique, le représentant de Dieu sur terre.

Ainsi sacralisé, le pouvoir peut légitimement user de violence contre ceux qui refusent de se soumettre, les dissidents et les « mécréants ». Dans de nombreux versets, le Coran leur promet les pires supplices : « Leur asile sera la Géhenne. Chaque fois que le Feu s’éteindra, nous en ranimerons, pour eux, la flamme brûlante » [Coran 17:97].

Idéologie du pouvoir politique, l’islam l’est aussi du pouvoir de l’homme sur la femme. Celle-ci est un bien dont l’homme dispose à son gré, pour la procréation ou pour le plaisir : « vos femmes sont pour vous un champ de labour : allez à votre champ comme vous le voudrez » [Coran 2:223]. En réduisant la femme à un sexe, l’islam nie le principe de féminité et substitue à l’amour la jouissance morbide de la possession.

L’Islam considère que la vérité transmise par le prophète est une vérité ultime (« après moi nul prophète »). Rien de grand n’existait avant la révélation, et rien de supérieur ne pourra venir après. Le croyant est condamné à perpétuer le passé. Tout questionnement lui est interdit.

La civilisation arabe a pourtant produit de grands philosophes et poètes : Averroès, Avicène, Ibn Arabî… Mais ceux-ci ne se sont jamais appuyés sur la religion et ont souvent été en délicatesse avec le pouvoir politique.

Adonis oppose la religion à la mystique et à la poésie. Selon lui, ce sont ces deux dernières qui font la grandeur et la richesse de la civilisation arabe. A la différence de la religion, la poésie arabe a magnifié la femme : « stérile tout lieu qui ne se féminise pas » [Ibn Arabî].

Pour Adonis, l’islam historique est aujourd’hui en fin de course avec le wahhabisme et ses avatars Daech et al Qaida. La religion relève du domaine privé et ne doit pas régir la vie sociale. Pour accéder à la modernité, le monde musulman doit accepter le libre questionnement et s’ouvrir aux autres civilisations.

Commentaire

« Violence et Islam » a fait l’objet de présentations édulcorées dans les médias lors de sa sortie : d’aucuns ont voulu n’y voir qu’une critique du fondamentalisme musulman, alors que le livre constitue une remise en cause de l’islam jusque dans son texte fondateur, le Coran.

Adonis fait une lecture décapante du dogme : il considère que la violence et son corolaire, l’asservissement de la femme, sont intrinsèques à l’islam. Pour lui, la religion est antinomique de l’idée même de progrès.

Face au fondamentalisme, il prône la laïcisation de la société musulmane et met la liberté de la femme au coeur de toute démarche émancipatrice.

L’extrait

A : Il n’existe pas un islam modéré et un islam extrémiste, un islam vrai et un islam faux. Il y a un islam. Nous avons en revanche la possibilité de faire d’autres lectures.

H : Nous avons celle des fuqahâ’ (théologiens), qui alimentent le wahhabisme et donc la charia, et il y a ceux qui ont lu la philosophie grecque ou occidentale, les sciences humaines… et qui ne peuvent plus accepter ce premier islam. Il y a ceux qui prônent la suppression des versets embarrassants. Est-ce une solution ? Soit c’est un texte divin et on fait avec, ce qui paraît difficile au XXIe siècle, soit on invente notre modernité. En fait, depuis le début, nous interrogeons les assises pulsionnelles et symboliques de notre identité.

A : Il faudrait une nouvelle lecture : libre et réfléchie. Et nous devons sortir de cet amalgame entre islam et identité. La religion n’est pas une identité. Et je rappelle ces deux faits : au moment des conquêtes islamiques, le monde était presque vide. La nouvelle religion n’avait pas en face d’elle une grande civilisation… Donc l’islam a pu tenir. Or aujourd’hui, il se trouve face à une civilisation qui a fait une rupture radicale avec le passé. Il n’a pas su dialoguer avec les avancées des civilisations modernes. A ce titre, l’islam fait partie du passé. Donc, historiquement parlant, il est fini.