Une histoire de chat

Un humoriste soviétique avait comparé l’édification du communisme à la recherche d’un chat noir, les yeux bandés, dans une pièce obscure alors que le chat ne s’y trouve pas. C’est exactement l’exercice auquel se livrent les européens en Ukraine depuis plusieurs mois.

Ils essaient désespérément de trouver une issue au conflit sur la base d’un compromis territorial. Le souci, c’est que Poutine est dans une démarche tout autre : il est bien sûr intéressé par le Donbass, mais il voudrait surtout revenir à l’Ukraine d’avant Maïdan. Il n’acceptera jamais de négocier avec le gouvernement ukrainien actuel, car ce serait reconnaître sa légitimité. La paix n’est envisageable pour lui qu’après la reddition de l’armée ukrainienne et le départ de Zelenski. Les européens devraient prendre ses objectifs au sérieux, plutôt que de penser qu’il partage les leurs : cela leur éviterait d’échafauder des plans irréalistes, tels le déploiement de troupes occidentales sur le terrain.

Ils s’acharnent à associer Trump à leurs initiatives, alors que celui-ci a clairement pris le parti de Poutine. La disparition de la nation ukrainienne « n’est pas un problème » pour lui ; il est déjà dans le « jour d’après » et attend avec impatience de pouvoir négocier de juteux contrats avec la Russie. S’appuyer sur lui, c’est s’exposer à un abandon en rase campagne.

Les européens s’illusionnent enfin s’ils croient que porter leur budget militaire à 5% du PIB à l’horizon 2030 suffira à les protéger contre la Russie. Poutine constitue une menace dès aujourd’hui, pas dans cinq ans. L’armée ukrainienne est actuellement la seule capable de s’opposer à l’armée russe. Les européens devraient s’employer à la renforcer, plutôt que d’investir dans une défense européenne qui sera au mieux opérationnelle trop tard.

Le 10 septembre, la Russie a envoyé 19 drones survoler la Pologne. L’OTAN ne les a pas abattus ; les gouvernements européens se sont contentés de protester et se sont livré à quelques gesticulations militaires après coup. C’est ce type de reculades qui rapproche dangereusement l’Europe d’un conflit généralisé, car elles incitent Poutine à aller toujours plus loin (1).

Il est illusoire d’espérer une paix rapide en Ukraine. Poutine a transformé la Russie en machine de guerre ; pour rester au pouvoir, il doit maintenir son pays dans un état de guerre permanent. Les européens ne peuvent que tenter de l’arrêter, dans l’espoir de provoquer une implosion de la Russie en retour. Ils n’ont pas d’autre choix : l’effondrement de l’Ukraine conduirait immanquablement à la dislocation de l’Union Européenne. Compte tenu de l’enjeu, il est surprenant que le conflit ukrainien ne soit pas la préoccupation majeure de nos responsables : leur amour des chats les perdra…


(1) En novembre 2015, en plein conflit syrien, la Turquie a abattu un avion de chasse russe qui avait violé son espace aérien… Erdogan est un des rares dirigeants occidentaux que Poutine prend au sérieux.