Les cathares, ennemis de l’intérieur

Essai d’Arnaud Fossier
2025
(Editeur : La fabrique éditions)

L’auteur

Arnaud Fossier est un historien médiéviste. Il enseigne à l’Université de Bourgogne.

Ses recherches portent sur l’Eglise et la religion au Moyen Age.

Le livre

Dans son essai, Arnaud Fossier procède à une « déconstruction » du Catharisme, cette hérésie qui s’est développée au XIIe et XIIIe siècle dans le midi toulousain et qui a été éradiquée par l’Eglise catholique à la faveur de la croisade des Albigeois.

Il se fonde pour l’essentiel sur un constat : le peu que nous savons des cathares, nous le devons à leurs ennemis, les inquisiteurs. Arnaud Fossier en déduit que le catharisme est une invention des clercs qui ont imputé à leurs opposants des rites et des croyances inspirés d’anciennes hérésies pour mieux les éliminer.

Les cathares ne seraient donc pas les adeptes d’une religion concurrente du catholicisme, mais de simples dissidents, des « ennemis intérieurs » du féodalisme, victimes de « procès de Moscou » avant l’heure.

Commentaire

Le pire pour un historien, c’est de regarder le passé avec un biais idéologique : Arnaud Fossier le fait avec une telle assurance qu’on pourrait croire son livre écrit par une I.A. (car contrairement aux humains, l’intelligence artificielle a réponse à tout).

Concernant les cathares, il faut raison garder : nous ne savons pratiquement rien d’eux. C’est ce qui fait leur intérêt : on peut les voir indifféremment comme des mystiques porteurs d’une vision cosmologique de l’univers, des adeptes moyenâgeux du véganisme ou des promoteurs du tourisme audois ; pourquoi ne pas en faire des ennemis de l’ordre féodal ?

Face à un mystère historique (et le catharisme en est un), un historien « traditionnel » fait le tour des sources dont il dispose ; il les critique, les confronte, les contextualise et les interprète pour tenter d’établir les faits.

Arnaud Fossier procède de façon inverse. Lui, il sait : Il dispose d’une grille d’analyse qui lui permet d’appréhender ce que fut la réalité il y a huit siècles ; il ne lui reste plus qu’à retravailler les sources pour qu’elles corroborent son discours.

Cela l’amène à se livrer à quelques contorsions dialectiques. Il explique par exemple l’adhésion au catharisme d’une partie de la noblesse du Midi par un soi-disant « déclassement des petits féodaux » occitans : ce concept pourrait éventuellement avoir du sens dans la France d’oïl où le droit d’ainesse fabriquait des nobles sans terre, mais il est aberrant appliqué au monde occitan du XIIe où le pouvoir féodal était partagé entre co-seigneurs.

Il explique de même les penchants hérétiques de la « bourgeoisie languedocienne » par la frustration d’être tenue à l’écart du pouvoir. L’idée parait séduisante (elle renvoie au rôle révolutionnaire joué par la bourgeoisie à la fin de la royauté), mais le postulat de départ est faux. A la fin du XIIe, dans les villes du midi toulousain, la « bourgeoisie » s’était émancipée du pouvoir féodal : Toulouse gérée par ses capitouls discutait d’égal à égal avec ses comtes, au point d’être comparée aux républiques italiennes de la Renaissance.

A écouter Arnaud Fossier, les hommes du XIIe étaient mus par leurs seuls intérêts économiques. C’est leur prêter une rationalité qui leur était totalement étrangère : sauver leur âme primait pour eux sur toute considération matérielle.

Arnaud Fossier use beaucoup de l’argument économique dans ses analyses. Il explique la soi-disant complaisance des villes occitanes envers l’envahisseur au début de la croisade par « des franchises – droits ou privilèges – à gagner, outre les profils matériels qu’elles pouvaient bien entendu tirer de l’approvisionnement de la croisade ». C’est une interprétation fallacieuse des faits. Malgré la sidération provoquée par les massacres commis à Béziers, les villes en capacité de résister l’ont fait : Minerve, Lavaur, et bien sûr Toulouse. Les franchises, elles les avaient déjà. Il y a beaucoup de « constructions sociales » dans l’essai d’Arnaud Fossier et peu d’humain ; cela sent le travail de compilation fait loin du terrain.

Quiconque s’intéresse au catharisme est amené à s’interroger : pourquoi cette hérésie (quelle qu’en soit la nature) a pu se manifester librement dans le midi toulousain alors qu’elle aurait été écrasée partout ailleurs ?

C’est une question que ne se pose pas Arnaud Fossier.

Il met toute son énergie à nier la singularité occitane. Il le fait en usant de procédés d’autant plus spécieux qu’ils se veulent novateurs (au delà de l’usage du point inclusif) :

– il élargit le champ territorial de son étude à toute l’Europe, ce qui lui permet d’appliquer aux cathares occitans des considérations relatives aux hérétiques italiens ou allemands,

– il étire temporellement son étude sur deux siècles, alors que l’histoire du catharisme connait deux phases distinctes : la période précédant la croisade, quand les cathares pouvaient se manifester publiquement grâce à la protection de la noblesse locale, et après 1229, quand ils ont connu le sort commun à tous les hérétiques, n’étant plus protégés par le pouvoir séculier. Arnaud Fossier privilégie bien sûr la deuxième phase pour éviter d’avoir à se pencher sur la première. Cela lui permet de prétendre qu’il n’y a jamais eu d’église cathare organisée.

Il ironise sur l’engouement pour les châteaux dits « cathares » qui en réalité ne le sont pas (puisque construits par le pouvoir royal après la croisade des albigeois – fait documenté depuis plus de trente ans), mais il se montre nettement moins rigoureux quand il évoque la croisade des albigeois (1).

Tout en usant d’un ton compassionnel, il minore systématiquement l’ampleur des massacres. Il y aurait eu « quelques centaines de morts tout au plus » à Béziers ; en fait probablement plusieurs milliers, si l’on considère le nombre d’habitants estimé (sans tenir compte des réfugiés qu’avait du accueillir la ville).

Il ne parle pas des buchers du début de la conquête : Minerve, Lavaur, les Cassès … Cela lui évite de se demander pourquoi plusieurs centaines de cathares ont préféré mourir brulés vifs plutôt que de renier leurs convictions : étrange, pour de simples « dissidents » …

Enfin, il ne dit mot de la bataille de Muret qui a été déterminante pour la suite du conflit (Toulouse y a perdu ses milices et le camp occitan son seul allié, Pierre II d’Aragon).

Une évidence semble lui avoir échappé : les « petits féodaux déclassés » du Nord qui se sont rués dans le Midi pour s’y tailler un fief ne parlaient pas la langue du pays : pour eux, l’occitan, ça devait être une sorte d’arabe… Là où Arnaud Fossier n’a vu que des rapports de domination au sein d’une France moyenâgeuse se jouait l’écrasement d’une nation en devenir.

S’il y a une volonté négationniste dans son essai, c’est bien dans ce refus de reconnaître l’existence d’un espace occitan qui n’avait pas forcément vocation à devenir le sud lointain du royaume capétien. Sa prétendue « déconstruction » du « mythe cathare » est juste une contribution wokisante au roman national français.


(1) L’essai d’Arnaud Fossier est truffé de petites et de grandes approximations. Amaury, le fils de Simon de Monfort y est qualifié de « cistercien ». Le cathare toulousain Mauran y est fait citoyen d’Albi (certainement suite à une confusion avec le terme « d’albigeois » utilisé pour désigner les hérétiques). Arnaud Fossier semble d’ailleurs l’ignorer, mais Albi comptait peu de cathares car la ville était placée sous l’autorité directe d’un évêque, comme Narbonne : c’est la raison pour laquelle cette dernière a soutenu les croisés pendant toute la durée du conflit, et non comme le prétend Arnaud Fossier, pour « une courte durée, en raison de la présence passagère du roi de France ». Les faidits n’étaient pas des « hérétiques traqués » mais des nobles occitans dépossédés de leurs terres pour avoir refusé de faire allégeance aux croisés : des résistants en quelque sorte, pour utiliser la terminologie moderniste qu’affectionne Arnaud Fossier. La liste n’est pas exhaustive… The last but not the least : l’ordre des Franciscains aurait été créé par le Pape avec celui des Dominicains pour lutter contre les hérétiques : si c’est vrai pour les Dominicains, le propos est audacieux concernant les Franciscains : ils n’ont jamais eu en charge la police des âmes.

L’extrait

A partir de la seconde moitié du XIIe siècle et plus encore une fois que l’Inquisition a commencé son oeuvre répressive, d’authentiques groupes de dissidents se sont dressés contre le clergé et ont rejeté son autorité, sans qu’il s’agisse d’une pure invention des clercs en mal d’adversaires. Faire une histoire des cathares, c’est donc raconter la manière dont ces femmes et ces hommes se sont organisé.es pour critiquer les institutions dominantes, leur faire face, et leur résister. Mais c’est aussi admettre qu’ils et elles n’ont sans doute pas eu de dessein révolutionnaire ni même l’objectif de reverser les rapports de domination au profit d’une société plus égalitaire.


Réponse d’Arnaud Fossier

(Mail d’Arnaud Fossier reçu le 15 novembre 2025)

Merci à l’auteur de cette critique de me donner un droit de réponse.

Des cathares, selon lui, « nous ne savons pratiquement rien », si bien qu’il est loisible à tout un chacun d’y voir ce qu’il veut, des « adeptes moyenâgeux du véganisme » ou « des promoteurs du tourisme audois ». Au contraire, je le dis dès les premières pages : les sources abondent, mais l’auteur semble m’avoir lu de travers – comme quand il me prête l’intention de faire des cathares des « ennemis de l’ordre féodal », alors que tout mon livre s’emploie à montrer que les dissidents du Languedoc, attachés à l’ordre coutumier, n’étaient en rien des révolutionnaires.

Selon lui, je ne suis pas un vrai historien, car un historien « traditionnel » ne tord pas les sources pour qu’elles « corroborent [s]on discours ». Il les critique, les confronte, et les contextualise. On se demande si l’auteur a pris connaissance des quelques 300 notes de bas de page de mon essai, renvoyant aux recherches les plus récentes sur le sujet, ou plus simplement des divers chapitres que je consacre aux sources et à leur lecture critique – traités anti-cathares, registres d’Inquisition, chroniques, lettres et correspondances, législation conciliaire et pontificale, etc.

J’ai ensuite éprouvé un peu de pitié en lisant sous la plume de l’auteur plusieurs poncifs allant à l’encontre de tout ce que la recherche historique (Jean-Louis Biget, Hélène Débax, Laurent Macé, etc.) a bien montré ces trente dernières années – sur la chevalerie du Midi, le droit d’aînesse, les co-seigneuries, ou les pouvoirs urbains (qui ne sont guère indépendants du comte de Toulouse avant les années 1230-1240) – ainsi qu’une série d’erreurs factuelles dans la seule et unique note de bas de page de cette critique tentant de prouver que « [m]on essai est truffé de petites et grandes approximations ». J’y réponds rapidement ici :

– je ne parle pas d’Amaury de Montfort, mais d’Arnaud Amaury, le légat cistercien du pape ;

– le Peire ou Pierre Maurand dont je parle était bien citoyen d’Albi, et non de Toulouse (sans doute une confusion, ici, avec un autre « Mauran ») ;

– Albi était gouvernée par un évêque, oui, j’étais au courant. Je précise même dans le chapitre XII que les cathares, longtemps tolérés – jusqu’à l’arrivée de Bernard de Castanet –, composaient environ 5% de la population de la ville ;

– les faidits étaient bel et bien des hérétiques fuyant l’Inquisition, et non « des nobles occitans dépossédés de leurs terres pour avoir refusé de faire allégeance aux croisés » ;

– l’ordre des Franciscains a bien été créé avec l’aval du pape, de même que celui des Dominicains, pour ensuite être chargé de lutter contre les hérétiques (notamment en Provence, où ils étaient à la tête de l’Inquisition).

Mais l’essentiel ne tient pas à ces détails. Car vient ensuite l’explicitation du « biais idéologique » dont mon livre souffrirait : je ne prêterais supposément aux hommes du XIIe siècle que des intérêts économiques. Sans doute les chapitres que je consacre aux motivations spirituelles des dissidents, dont les aspirations furent étouffées par le carcan de l’Église post-grégorienne, n’ont-ils pas suffi à l’auteur qui préfère s’en tenir à la vision du catharisme comme d’« un mystère » (reconduisant, peut-être sans le vouloir, la vision ésotérique d’une religion propre à l’Occitanie, héritière de la gnose ou du manichéisme).

L’auteur me fait ensuite dire n’importe quoi au sujet de la croisade albigeoise, à laquelle, soyons honnêtes, je ne consacre qu’un maigre chapitre (au sein d’une synthèse de 200 pages seulement qui tente de couvrir deux siècles d’histoire), alors qu’elle mériterait à l’évidence un livre en soi (et a déjà fait, du reste, l’objet de livres entiers). Je n’en minore pas la violence, contrairement à ce que l’auteur a l’outrecuidance de me faire dire, pas plus que la résistance d’un grand nombre de villes. Je reconnais en revanche n’avoir pas évoqué la bataille de Muret qui fut en effet « déterminante pour la suite du conflit », ni des bûchers de Minerve ou Lavaur. Est-ce une raison pour faire des Albigeois de véritables martyrs qui auraient « préféré brûler vifs plutôt que de renoncer à leurs convictions » ? On se demande où est le biais idéologique…

Il y a à l’œuvre, dans chacun de ces propos, la défense de la civilisation occitane, de sa langue et, pourquoi pas – allons-y dans l’anachronisme crasse –, d’« une nation en devenir », écrasée par la croisade, là où pour ma part, je n’aurais « vu que des rapports de domination au sein d’une France moyenâgeuse », et aurais mis toute mon énergie à nier « la singularité occitane », ainsi que « l’existence d’un espace occitan qui n’avait pas forcément vocation à devenir le sud lointain du royaume capétien ».

Je reconnais qu’il est dur de voir ainsi l’hérésie occitane banalisée, ou du moins réinscrite dans un contexte plus large, et le mythe d’une « Église cathare » ébranlé. L’auteur de la critique en perd d’ailleurs son latin, puisqu’il me reproche d’un côté de ne pas me demander « pourquoi cette hérésie a pu se manifester librement dans le midi toulousain alors qu’elle aurait été écrasée partout ailleurs », pour ensuite m’accuser d’« élargir le champ territorial de mon étude à toute l’Europe, ce qui [me] permet d’appliquer aux cathares occitans des considérations relatives aux hérétiques italiens ou allemands. »

En somme, de déconstructionniste, je deviens carrément « négationniste », sans doute sous l’effet délétère du « wokisme » – une étiquette dont on ne sait ce qu’elle signifie pour l’auteur – et des vapeurs de l’écriture inclusive.

Sachez, Monsieur, que je ne viens pas vous dicter votre pensée ni ce à quoi vous êtes autorisé à croire. Souffrez donc, en retour, que les historien.nes (merci de maintenir ici le point médian) fassent leur travail : critiquer les évidences apprises, déboulonner des mythes, mettre à distance nos émotions, autant de choses qu’une I.A. – puisque vous me soupçonnez d’y avoir eu recours comme l’atteste le « biais idéologique » de mon livre (1) – serait parfaitement incapable. Quand vous dites qu’il y a « beaucoup de constructions sociales » dans mon livre et que « cela sent le travail de compilation fait loin du terrain » (tout en me reprochant d’user « d’un ton compassionnel » – décidément, encore une contradiction…), je préfère le prendre comme un compliment : j’ai donc bien fait œuvre d’historien.


(1) Voilà du reste qui ne manque pas de sel quand on sait que l’I.A., programmée pour rester neutre, est incapable d’exercer le moindre sens critique.


Mise au point

Précisions apportées en complément au droit de réponse d’Arnaud Fossier.

« Les cathares, ennemis de l’intérieur », page 102 :

« Peu de temps après la mort brutale de Simon de Montfort en 1218, puis la déconfiture du cistercien Amaury de Montfort à Carcassonne en 1224, Raymond VII, fils et successeur de Raymond VI, mène la reconquête aux côtés de Raimond II Trencavel. »

Amaury, fils de Simon de Montfort, a bien été confondu dans le livre avec Arnaud Amaury, légat du Pape.

« Les cathares, ennemis de l’intérieur », page 70 :

« Cinquante ans avant que le roi ne descende pour de bon dans le Midi de la France à l’invite des croisés, cette lettre provoque une mission, sous la direction de l’abbé de Clairvaux Henri de Marcy qui, exaspéré par la lenteur du comte, décide de faire de Pierre Maurand – l’un des membres les plus éminents du patriarcat urbain d’Albi – une victime expiatoire. Celui-ci a d’abord refusé de comparaître puis, saisi par la peur, a fini par abjurer publiquement son « hérésie ».

Devant cette énorme foule, Pierre […] fut conduit dénudé, nu-pieds, depuis le portail de l’église, flagellé par l’évêque de Toulouse et l’abbé de Saint-Sernin, jusqu’à ce qu’il se prosterne aux pieds du seigneur légat sur les marches de l’autel. »

Il s’agit d’un seul et même personnage, Pierre Maurand, bourgeois hérétique toulousain, dont le nom a été mal orthographié dans notre article.

Rôle des Franciscains dans l’Inquisition :

Les Franciscains ont effectivement été en charge de l’Inquisition aux côtés des Dominicains (mais ailleurs que dans le Midi toulousain) : notre article est donc erroné sur ce point.

Ces précisions / corrections s’imposaient, même si elle concernent des points secondaires. Pour le reste, notre article se suffit à lui-même : on ne va quand même pas se paraphraser !

Quand Historia déconstruit l’Histoire …

Malheureux cathares : traqués par l’Inquisition, spoliés, jetés en prison et, pour les plus récalcitrants d’entre eux, brûlés vifs, ils n’auraient même pas existé !

Historia l’affirme dans un dossier (1) réalisé par des historiens non « traditionalistes » pratiquant « une approche critique des sources » (comme si les historiens « traditionalistes » – comprenez : non négationnistes – ne la pratiquaient pas).

La thèse défendue par Historia repose sur un constat : dans ces fameuses sources, pour l’essentiel les registres de l’Inquisition dans lesquels étaient consignés les interrogatoires des présumés hérétiques, le mot « cathare » n’apparaît pas … Et pour cause : les cathares occitans ne se considéraient pas comme tels. Ils se qualifiaient simplement de « croyants » et, quand ils avaient reçu le consolament (2), de « parfaits », de  » bons-hommes » ou de « bonnes-femmes » . Ils ont été qualifiés de cathares ultérieurement, par assimilation aux cathares – marque déposée – qui vécurent en Rhénanie au XIIe siècle.

Du coup, Historia s’interroge : étaient-ils vraiment hérétiques, ces pseudo-cathares ? Si ça se trouve, les clercs qui les ont tant vilipendés n’ont fait que recopier les diatribes anti-hérétiques de Saint Augustin : « les cathares médiévaux sont le fruit d’un plagiat ». En plus, les rares écrits qu’on leur prête sont « suspectés d’être des faux ». Regardez enfin toutes les âneries qu’ils ont inspirées, des délires mystiques d’un Maurice Magre aux théories anticoloniales des occitanistes, en passant par la marque « pays cathare » créée à des fins touristiques : Vous trouvez ça sérieux ? Autant de preuves – selon Historia – du caractère hypothétique de l’existence des cathares.

Après avoir ainsi brillamment déconstruit le mythe, Historia rétablit la vérité historique :

Les pseudos hérétiques occitans n’était en fait que des pauvres bougres « fabriqués et instrumentalisés » par les puissants pour justifier leurs visées sur le sud de la France (enfin, de la future France) ; des constructions sociales, en quelque sorte.

Selon Historia, la croisade des albigeois ne répondait pas à un objectif religieux : elle a été «le  fruit d’une convergence d’intérêts d’acteurs différents : les Cisterciens qui souhaitent s’implanter dans le Midi ; le pape Innocent III, qui veut imposer l’autorité de Rome dans cette région ; les rois capétiens, qui œuvrent à la construction d’un Etat français centralisé ». Il est étonnant que les francs-maçons n’aient pas été de la partie …

Cette analyse géo-politique est séduisante, mais pourquoi diable (si on peut dire) Saint Dominique a-t-il passé plus de dix ans de sa vie à prêcher dans le Lauragais, si aucune hérésie n’y menaçait l’Eglise catholique ?

Les cisterciens, eux, étaient déjà largement présents dans la région. S’ils sont intervenus, c’est à la demande du pape, parce qu’ils incarnaient le renouveau spirituel de l’Eglise et semblaient du coup les mieux placés pour défendre l’orthodoxie en terre occitane.

Quant aux rois de France … Philippe Auguste a refusé de s’associer à la croisade à ses débuts en 1209 : il désapprouvait la mise en proie des terres de ses vassaux du midi et son hostilité au pape Innocent III était notoire. Son fils Louis VIII ne s’est intéressé à la croisade qu’en 1226. Tous deux n’avaient pas lu Duby ni Braudel : ils avaient d’autres préoccupations que de bâtir une nation centralisée, des Ardennes aux Pyrénées.

Au delà de la manipulation des faits, Historia fait fi dans sa présentation de la prégnance de la religion et de l’importance des liens féodaux au Moyen Age. La revue nous propose l’histoire des « Visiteurs » inversée : le récit de néo-historiens projetés au XIIe siècle.

Que recherche Historia en piétinant ainsi les cendres froides du catharisme ? Faire le buzz ? Explorer la piste des réalités alternatives ? Sacrifier à la mode de la déconstruction ?

La France a décidément du mal à digérer l’histoire de ses provinces du sud : qui sait que Marseille fut dans l’antiquité une république indépendante alliée de Rome ? Qui connaît l’existence du royaume wisigoth établi au début du Moyen Age de part et d’autre des Pyrénées, et dont Toulouse fut un temps la capitale ? Combien de chercheurs français s’intéressent à la civilisation occitane (3) ?

Comme disait Nietzsche, le diable se cache dans les détails : c’est dans les détails de l’Histoire que se nichent les mensonges du roman national.


(1) Numéro 915 de mars 2023


(2) Chez les cathares, le consolament est une cérémonie qui marque le renoncement du croyant au monde et son engagement à respecter les règles de vie des parfaits.


(3) Il est commun aujourd’hui de confondre l’histoire de l’Occitanie avec celle des cathares, comme si l’une se résumait à l’autre. Concernant la civilisation occitane, un passage d’Historia est particulièrement savoureux : « En fait, cette civilisation idyllique appartient au domaine du rêve. Le « brillant » XIIe siècle occitan connaît un état de guerre permanent ; le comte de Toulouse bataille contre ses voisins, notamment les Trencavel, vicomtes d’Albi, Carcassonne et Béziers. Les chants des troubadours sont réservés aux cours des châtelains ; peu de terres échappent à l’emprise seigneuriale ; les villes sont gouvernées par une étroite oligarchie; l’économie reste médiocre et les écoles embryonnaires. Force est de constater qu’au début du XIIIe siècle la France du Nord est, dans bien des domaines, beaucoup plus avancée que l’Occitanie et concentre alors la richesse et la puissance. »

Meurtres à Albi

C’est l’accent qu’on assassine !

Le 23 janvier 2021, France 3 a diffusé un téléfilm tourné à Albi et dans ses environs.

Le cahier des charges de la série « Meurtres à  » a été scrupuleusement respecté : on voit beaucoup les lieux emblématiques d’Albi : la cathédrale, le Tarn, le lycée Lapérouse, et on fait un petit saut au château de Penne (pourquoi Penne ? parce qu’il fallait un lieu élevé d’où l’on puisse se suicider).

Le scénario est peu crédible, même s’il s’inspire d’une affaire réelle, la déportation d’orphelins réunionnais dans des départements du sud de la France dans les années 70.

Le film met en scène un couple d’enquêteurs improbable, tant les personnages incarnent des stéréotypes opposés. Elle, c’est la chef. Elle représente la diversité (oui, une jeune femme racisée peut devenir commissaire !). Elle arrive de Paris. Elle est sérieuse, rationnelle, bosseuse et un peu psychorigide. Lui, c’est le vieux briscard qui vient du terrain. Il est cool, distancié, intuitif, s’habille chez Manufrance et est un peu macho.

L’audace du réalisateur s’arrête au couple vedette (il ne faut quand même pas trop déstabiliser le téléspectateur). Leurs acolytes sont plus conformes aux standards genrés traditionnels. La policière de service est nunuche, son collègue masculin (racisé, tout de même) est viril, discret et efficace.

Sous leur carapace, nos deux héros sont des tendres. Ils vont s’épauler pour gérer leurs blessures intimes (ah les trahisons familiales …) et vont bien sûr résoudre ensemble les deux meurtres inscrits au programme.

Si je vous parle de ce téléfilm, ce n’est pas pour ses qualités cinématographiques, mais pour son intérêt sociologique. Quelque chose m’a interpelé lors de son visionnage : il se déroule à Albi, et pourtant aucun acteur, y compris les faire-valoir et les seconds rôles, n’a une once d’accent, cet accent qui dérange tant Jean-Luc Mélenchon : « et alors, kaisseuh keu ça veu direuh » ? (1) Le Tarn vu par France 3 (la télé des régions), c’est un peu le Xinjiang tel que le rêve le pouvoir chinois : des natives aseptisés dans un décor de carte postale.

La télévision française fait de gros efforts pour représenter la diversité, mais il lui reste encore une petite marge de progrès.


(1) Réponse faite par Jean-Luc Mélenchon à une journaliste de France 3 Toulouse, le 17 octobre 2018 à l’Assemblée Nationale.


Municipales toulousaines : arrêt sur image

A Toulouse, comme dans la plupart des villes françaises, le confinement a figé les candidats aux municipales dans la plus mauvaise position qui soit : en plein envol.

Toulouse, état des lieux

Toulouse a beaucoup d’atouts : Airbus (dont le succès masque cependant la fragilité du tissu économique local), le métro (autour duquel se structurent les transports publics), des terrasses de bistrot animées (c’est la 2ème ville universitaire de France) et quelques pôles d’excellence dont l’existence surprend, compte tenu du culte local pour le bordel : le secteur médical, TSE (Toulouse School of Economics) et le Stade Toulousain.

En contrepartie, Toulouse connaît les problèmes inhérents à toute métropole : des déplacements de banlieue à banlieue problématiques, des quartiers en déshérence (Bagatelle, les Isards, Empalot) et pas mal de délinquance. A cela s’ajoutent quelques problèmes spécifiques : la saleté (c’est un des marqueurs de la ville), la difficulté à faire cohabiter cyclistes, piétons et automobilistes dans ses rues étroites (sans parler des poussettes et des fauteuils roulants) et … le manque de charisme de son maire, Jean-Luc Moudenc.

Moudenc, le trou noir de la droite

Jean-Luc Moudenc est devenu maire un peu par hasard : en s’asseyant dans le fauteuil abandonné par le clan Baudis. Certes, il souffre d’un déficit de notoriété (les agents municipaux ne le reconnaissent pas toujours quand il fait son jogging), mais il a acquis une bonne connaissance des rouages du pouvoir local pendant les années passées à servir ses prédécesseurs.

Il a organisé la gestion de la ville autour du seul objectif qui vaille, conserver le pouvoir. Il bichonne sa base électorale, la bonne bourgeoisie toulousaine, frileuse et conformiste, qui a placé son fric dans l’immobilier. Il a parfaitement compris ses attentes : les abords du marché Victor Hugo nettoyés et quelques policiers municipaux en faction place du Capitole.

Pourquoi changer une recette qui marche ? Dans son programme, Jean-Luc Moudenc propose de recruter des policiers supplémentaires, de mettre un peu plus de caméras dans le centre ville et, pour électriser les foules, de réaliser trois projets pharaoniques. Il veut ériger une verge végétalisée près de la gare (la tour Occitanie), construire une troisième ligne de métro (conforme à la règle des 3 « trop » : trop peu, trop cher, trop tard) et planter 100 000 arbres (Té couillon, cent milleuh !) .

Edile médiocre, Jean-Luc Moudenc s’est montré par contre très fin tacticien. Il s’est fait adouber à la fois par LR et LREM et il tient solidement la droite toulousaine. Ce n’est pas un tueur, il n’assassine pas ses concurrents au berceau : il les étouffe in utero.

La gauche atomisée

La gauche toulousaine est allé à l’abattoir électoral en ordre dispersé : elle a produit trois listes concurrentes (sans compter quelques listes d’extrême gauche, qui ont surtout vocation à témoigner). Ces trois listes sont pleines de socialistes, ce qui est déjà mauvais signe.

En Haute Garonne, le Parti Socialiste a passé un accord tacite avec Jean-Luc Moudenc (à la Gauche, le département, à la Droite, Toulouse et la Métropole). Du coup, les apparatchiks du PS ont écarté celui parmi eux qui était le plus motivé pour conquérir la ville. C’est à ce genre de subtilité que l’on peut mesurer « leur ambition pour tous ».

A gauche, sont donc en lice :

La liste officielle du PS (soutenue par le PC). Elle a fait un nombre raisonnable de promesses intenables (« 200 policiers nationaux en plus ») et pratique l’écriture inclusive dans ses tracts, signe de radicalité.

La liste « Archipel citoyen » : c’est un peu la cour des miracles. Y figurent : le postulant socialiste malheureux, le parti pirate, le parti occitan, EELV, la France Insoumise, Place Publique, etc… Son discours est à l’avenant : on y retrouve tout le bric à brac idéologique accumulé par la Gauche depuis Nuit Debout. Son programme laisse songeur : création de 20 000 emplois climat (financés comment ?), des assemblées citoyennes décisionnaires (sur quelle base légale ?), un plan d’urgence pour les transports (oui, mais encore ? ) …. S’il gagne, l’ « Archipel citoyen » risque de se transformer rapidement en triangle des Bermudes.

La liste de Pierre Cohen (l’ancien maire socialiste). C’est la plus audacieuse des trois : intituler « pour la cohésion » une candidature de division, c’est gonflé ! Pierre Cohen a repris son programme de la mandature précédente, et pour montrer qu’il n’est pas psychorigide, il prône aujourd’hui le prolongement du métro jusqu’à Labège.

Retour à la réalité

Tout cela était avant … avant que le covid-19 ne s’invite dans le débat. Dans quelques semaines, lorsque la vie aura repris son cours, cahin-caha, nos candidats vont devoir redescendre sur terre et trouver rapidement des solutions pour faire face à la crise qui vient.