Malheureux cathares : traqués par l’Inquisition, spoliés, jetés en prison et, pour les plus récalcitrants d’entre eux, brûlés vifs, ils n’auraient même pas existé !
Historia l’affirme dans un dossier (1) réalisé par des historiens non « traditionalistes » pratiquant « une approche critique des sources » (comme si les historiens « traditionalistes » – comprenez : non négationnistes – ne la pratiquaient pas).
La thèse défendue par Historia repose sur un constat : dans ces fameuses sources, pour l’essentiel les registres de l’Inquisition dans lesquels étaient consignés les interrogatoires des présumés hérétiques, le mot « cathare » n’apparaît pas … Et pour cause : les cathares occitans ne se considéraient pas comme tels. Ils se qualifiaient simplement de « croyants » et, quand ils avaient reçu le consolament (2), de « parfaits », de » bons-hommes » ou de « bonnes-femmes » . Ils ont été qualifiés de cathares ultérieurement, par assimilation aux cathares – marque déposée – qui vécurent en Rhénanie au XIIe siècle.
Du coup, Historia s’interroge : étaient-ils vraiment hérétiques, ces pseudo-cathares ? Si ça se trouve, les clercs qui les ont tant vilipendés n’ont fait que recopier les diatribes anti-hérétiques de Saint Augustin : « les cathares médiévaux sont le fruit d’un plagiat ». En plus, les rares écrits qu’on leur prête sont « suspectés d’être des faux ». Regardez enfin toutes les âneries qu’ils ont inspirées, des délires mystiques d’un Maurice Magre aux théories anticoloniales des occitanistes, en passant par la marque « pays cathare » créée à des fins touristiques : Vous trouvez ça sérieux ? Autant de preuves – selon Historia – du caractère hypothétique de l’existence des cathares.
Après avoir ainsi brillamment déconstruit le mythe, Historia rétablit la vérité historique :
Les pseudos hérétiques occitans n’était en fait que des pauvres bougres « fabriqués et instrumentalisés » par les puissants pour justifier leurs visées sur le sud de la France (enfin, de la future France) ; des constructions sociales, en quelque sorte.
Selon Historia, la croisade des albigeois ne répondait pas à un objectif religieux : elle a été «le fruit d’une convergence d’intérêts d’acteurs différents : les Cisterciens qui souhaitent s’implanter dans le Midi ; le pape Innocent III, qui veut imposer l’autorité de Rome dans cette région ; les rois capétiens, qui œuvrent à la construction d’un Etat français centralisé ». Il est étonnant que les francs-maçons n’aient pas été de la partie …
Cette analyse géo-politique est séduisante, mais pourquoi diable (si on peut dire) Saint Dominique a-t-il passé plus de dix ans de sa vie à prêcher dans le Lauragais, si aucune hérésie n’y menaçait l’Eglise catholique ?
Les cisterciens, eux, étaient déjà largement présents dans la région. S’ils sont intervenus, c’est à la demande du pape, parce qu’ils incarnaient le renouveau spirituel de l’Eglise et semblaient du coup les mieux placés pour défendre l’orthodoxie en terre occitane.
Quant aux rois de France … Philippe Auguste a refusé de s’associer à la croisade à ses débuts en 1209 : il désapprouvait la mise en proie des terres de ses vassaux du midi et son hostilité au pape Innocent III était notoire. Son fils Louis VIII ne s’est intéressé à la croisade qu’en 1226. Tous deux n’avaient pas lu Duby ni Braudel : ils avaient d’autres préoccupations que de bâtir une nation centralisée, des Ardennes aux Pyrénées.
Au delà de la manipulation des faits, Historia fait fi dans sa présentation de la prégnance de la religion et de l’importance des liens féodaux au Moyen Age. La revue nous propose l’histoire des « Visiteurs » inversée : le récit de néo-historiens projetés au XIIe siècle.
Que recherche Historia en piétinant ainsi les cendres froides du catharisme ? Faire le buzz ? Explorer la piste des réalités alternatives ? Sacrifier à la mode de la déconstruction ?
La France a décidément du mal à digérer l’histoire de ses provinces du sud : qui sait que Marseille fut dans l’antiquité une république indépendante alliée de Rome ? Qui connaît l’existence du royaume wisigoth établi au début du Moyen Age de part et d’autre des Pyrénées, et dont Toulouse fut un temps la capitale ? Combien de chercheurs français s’intéressent à la civilisation occitane (3) ?
Comme disait Nietzsche, le diable se cache dans les détails : c’est dans les détails de l’Histoire que se nichent les mensonges du roman national.
(1) Numéro 915 de mars 2023
(2) Chez les cathares, le consolament est une cérémonie qui marque le renoncement du croyant au monde et son engagement à respecter les règles de vie des parfaits.
(3) Il est commun aujourd’hui de confondre l’histoire de l’Occitanie avec celle des cathares, comme si l’une se résumait à l’autre. Concernant la civilisation occitane, un passage d’Historia est particulièrement savoureux : « En fait, cette civilisation idyllique appartient au domaine du rêve. Le « brillant » XIIe siècle occitan connaît un état de guerre permanent ; le comte de Toulouse bataille contre ses voisins, notamment les Trencavel, vicomtes d’Albi, Carcassonne et Béziers. Les chants des troubadours sont réservés aux cours des châtelains ; peu de terres échappent à l’emprise seigneuriale ; les villes sont gouvernées par une étroite oligarchie; l’économie reste médiocre et les écoles embryonnaires. Force est de constater qu’au début du XIIIe siècle la France du Nord est, dans bien des domaines, beaucoup plus avancée que l’Occitanie et concentre alors la richesse et la puissance. »