Gauche : la stratégie de la mouche dans le bocal

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les partis de gauche se sont réconciliés fin juin pour affronter les élections législatives anticipées (1) : comme en 2022, il leur fallait se répartir les places avant les élections pour espérer figurer au deuxième tour.

Leur prétention de faire barrage à l’extrême droite est surtout un argument électoral à destination du peuple de gauche. La seule façon d’arrêter le RN aujourd’hui serait de proposer un projet politique qui « parle » à une majorité de français.

Ce n’est pas l’ambition du « Nouveau Front Populaire ». Son programme s’adresse essentiellement aux électeurs de gauche, soit à 30% de l’électorat. Il est irréaliste du point de vue économique (2), mais ce n’est pas grave, il n’est pas destiné à être appliqué.

Par certains aspects, il tient même de la galéjade. Ainsi, les insoumis, qui n’ont de cesse depuis deux ans de désarmer l’Ukraine, seraient prêts aujourd’hui à lui livrer « toutes les armes utiles » ! Même les Mirages 2000 promis par Macron ?

Le « Nouveau Front Populaire » n’est pas en mesure d’empêcher le RN d’arriver au pouvoir. Dans ces conditions, qu’il obtienne 210, 170 ou 90 députés n’a pas beaucoup d’importance.

La stratégie de LFI, par contre, interroge.

Ces derniers mois, malgré la montée en puissance du RN, Mélenchon et ses proches ont mis toute leur énergie à combattre les autres partis de gauche (3) : le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’étaient pas dans une dynamique de front populaire !

LFI méprise tout ce qui fait l’essence de la démocratie parlementaire : la négociation, les compromis, les engagements réciproques … Les insoumis ne voient dans les alliances électorales que le moyen de conquérir des places. Le parti de Mélenchon est en réalité dans une logique d’affrontement.

Son attitude lors de la lutte contre la réforme des retraites est symptomatique à cet égard. A l’Assemblée, les insoumis ont saboté l’action menée par les syndicats pour faire rejeter l’article 7 portant sur l’age de départ à la retraite : de concert avec le gouvernement, ils ont tout fait pour que cet article ne soit pas débattu : ils misaient sur une explosion sociale provoquée par le passage de la réforme en force …

Les insoumis pratiquent un néo-bolchévisme de bazar : A l’instar de l’extrême gauche, ils courent derrière la moindre étincelle dans l’espoir qu’elle provoque un embrasement général. Le Mélenchonisme, c’est la maladie sénile du gauchisme.

Ne voulant pas changer la société par la voie démocratique, les insoumis ne cherchent pas à parler au plus grand nombre ; ils pratiquent une stratégie de niches en ciblant les groupes sociaux qui peuvent servir leurs objectifs : populations issues de l’immigration, jeunes des quartiers défavorisés, étudiants « conscientisés », militants des derniers bastions syndicaux …

Pour l’instant, cette stratégie a surtout contribué à renforcer le RN. Mais cela ne gène pas Mélenchon : son rêve secret est de se retrouver seul face à l’extrême droite, convaincu que les autres forces politiques n’auront alors d’autre choix que de se ranger derrière lui. Il se fait des illusions : si une telle situation survient, il sera balayé.

Aujourd’hui, globalement, la gauche est dans une impasse.

Contrairement à ce que prétend le très conciliant Olivier Faure, il existe en France deux gauches inconciliables : une gauche universaliste, humaniste, démocratique, laïque et pro-européenne, et une gauche « radicale », « décoloniale », isolationniste, communautariste incarnée par LFI et ses satellites.

Quel que soit le résultat des élections, l’urgence aujourd’hui est de (re)construire une social-démocratie ouverte, pluraliste, en prise avec la réalité, rompant à la fois avec le PS de Hollande et avec l’extrême gauche, et décidée à conduire la mutation écologique et sociale dont la France a besoin.


(1) Allant de Poutou à Hollande, le « Nouveau Front Populaire » est une alliance à somme nulle.


(2) Même s’il est indispensable d’augmenter les bas salaires, le « Nouveau Front Populaire » ne s’est pas trop préoccupé de l’impact économique de son programme.

Rétablir par exemple l’indexation des salaires sur l’inflation serait assez irresponsable : ce n’est pas par cruauté que Pierre Mauroy l’a supprimée en 1983 !

Parler par ailleurs d’un retour à la retraite à 60 ans est irréaliste, au vu de la situation démographique de la France et du contexte européen. Il vaudrait mieux faire ce que réclamait la CFDT en 2023 : régler d’abord le problème de la prise en compte de la pénibilité, supprimer « la double peine » de l’age minimal de départ à la retraite (en conservant le principe des annuités) et voir ensuite comment assurer l’équilibre général du régime des retraites.


(3) c.f. le fameux tweet de Sophia Chikirou : « il y a du Doriot dans Roussel ». La formule rappelle furieusement les années 50, quand l’Humanité traitait de fascistes ceux qui à gauche dénonçaient le goulag stalinien ; que l’insulte soit retournée aujourd’hui contre le responsable du parti communiste rend la chose d’autant plus savoureuse.

Le propos est grotesque, mais loin d’être gratuit. Jean-Luc Mélenchon n’a jamais pardonné à Fabien Roussel de lui avoir « volé » les 400 000 voix qui lui ont manqué en 2017 pour figurer au 2ème tour de l’élection présidentielle.

La référence à Doriot est très intéressante, car elle ne parle à personne. Rares sont ceux – même à gauche – qui connaissaient le nom de ce dirigeant communiste des années 30 devenu un des piliers de la Collaboration : c’est dire à quel point Mélenchon et sa garde rapprochée sont hors sol.

Le mythe de la 6ème République

Analyse du volet institutionnel du programme de Jean-Luc Mélenchon (chapitre 1 de son livre-programme « L’avenir en commun »)


En préambule de son programme, Jean-Luc Mélenchon fait un bilan sévère – mais fondé – de l’état de la démocratie en France : abstention massive aux élections, perte de confiance des français dans les institutions, exercice solitaire du pouvoir par un président-monarque, poids des lobbys, impuissance du Parlement … (ce à quoi il aurait pu ajouter : incapacité de la classe politique à réformer le pays en profondeur).

Il impute tous ces maux au caractère présidentiel de la 5ème République et à l’usage pervers que fait Emmanuel Macron des institutions. La panacée selon lui : changer de république pour mettre en place un régime parlementaire.

Son projet de 6ème République appelle trois remarques :

– Un changement de régime « à froid » ne peut pas être réalisé sans un fort consensus politique. On voit mal un parti aussi clivant et controversé que LFI mener à bien une modification radicale de nos institutions. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon qui se pique d’histoire le sait parfaitement : les changements de constitution se sont toujours faits en France sous la contrainte, suite à un drame national : la défaite de 1870, l’Occupation, la guerre d’Algérie. Il n’est pas sûr que l’arrivée de LFI au pouvoir soit une catastrophe suffisante à cet égard.

– Le processus imaginé par Jean-Luc Mélenchon est long et incertain (enchaînement d’un référendum, d’une élection constituante, puis d’élections législatives, le tout sur plus de deux ans) ; il engagerait le pays dans une campagne électorale interminable. Compte tenu du contexte international (guerre en Ukraine ; crise économique et écologique) La France a peut-être mieux à faire.

– Ce scénario n’est pas réalisable, sauf à faire un coup d’état juridique. Jean-Luc Mélenchon veut organiser son referendum constitutionnel en s’appuyant sur l’article 11 de la Constitution, qui n’est pas applicable dans ce cas précis. Il faudrait passer par l’article 89, qui exige l’accord des deux chambres. Même si demain la gauche était majoritaire à l’Assemblée, elle aurait le Sénat contre elle (1).

En conséquence, la 6eme République de Mélenchon, c’est du vent.

Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon propose des mesures démagogiques (le droit de vote à 16 ans) ou carrément irréalistes (la révocation des élus par referendum – un phantasme datant de la Commune), mais il fait aussi des propositions pertinentes :

– élection des députés au scrutin proportionnel départemental,

– reconnaissance du vote blanc,

– recours à des assemblées de citoyens pour élaborer la loi dans certains domaines avec l’aide d’experts (cf la convention citoyenne pour le climat) – ces projets de lois étant bien sûr ensuite repris et votés par le Parlement,

– instauration d’une procédure de parrainages citoyens pour l’élection présidentielle,

– instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) (2).

La plupart de ces mesures ne nécessiteraient pas de modifier la constitution ou pourraient être réalisées avec l’appui d’autres forces politiques ; nul besoin donc de se lancer dans un projet pharaonique de changement de république pour restaurer la démocratie en France (3).


(1) Comme par hasard, Marine Le Pen veut elle aussi passer par l’article 11 pour inscrire ses dispositifs anti-immigrés dans la constitution.


(2) Un « petit » bémol concernant le RIC : comme le RN, LFI voudrait pouvoir modifier directement la constitution par ce moyen. Chez Marine Le Pen, il s’agit d’une stratégie subtile pour contourner les garde-fous constitutionnels afin de faire évoluer le régime vers un système à la hongroise. Mélenchon lui bien sûr ne fait pas ce genre de calcul …


(3) Deux mesures – non citées par Jean-Luc Mélenchon – pourraient contribuer aussi à re-dynamiser la vie politique tout en restant dans le cadre de la 5ème République :

– le retour à un mandat présidentiel de 7 ans – non renouvelable, qui permettrait au président de conduire des projets dans la durée sans se préoccuper de sa réélection.

– l’inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle : cela éviterait que le seul enjeu des législatives soit de fournir une majorité parlementaire au Président.

L’Ukraine selon Mélenchon


Jean-Luc Mélenchon a appelé « chaque conscience de gauche progressiste, humaniste » à le soutenir : c’est audacieux, considérant son alignement sur Moscou dans le conflit ukrainien.

Déjà en 2014, il traitait les manifestants pro-européens de la place Maïdan de fascistes (c.f. son Blog du 25 février 2014) ; Poutine ne fait rien d’autre aujourd’hui quand il parle de « dénazifier » l’Ukraine.

La révolution de 2014 (qualifiée de « coup d’état » par Mélenchon) s’est traduite par l’éviction du président pro-russe Ianoukovytch, provoquant en retour l’occupation de la Crimée par la Russie. Ce n’est pas un problème pour Mélenchon, car « la Crimée est russe » (il l’a réaffirmé récemment dans un entretien avec le Monde le 17 janvier 2022) : propos étonnant pour un adepte de la gouvernance mondiale, sachant que l’intangibilité des frontières est un des principes fondamentaux de l’ONU.

Fin 2021 – début 2022, les Russes mobilisent à la frontière ukrainienne : « qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil (l’Ukraine), un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » déclare Jean-Luc Mélenchon au Monde le 17 janvier 2022.

Manque de chance, ce sont les russes qui attaquent. Mais si Mélenchon s’est trompé, ce n’est pas de sa faute : « Je me suis référé à ce que disaient les plus hautes autorités de mon pays. J’ai eu tort de les croire » (samedi 26 février, meeting à Saint Denis de la Réunion) : pour une fois qu’il fait confiance à Macron ….

Dans un premier temps, il ne parle que « d’escalade insupportable » on l’a connu plus virulent pour dénoncer une agression impérialiste. Il demande « un cessez-le-feu immédiat et un retrait de toutes les troupes étrangères d’Ukraine », comme s’il y avait en Ukraine d’autres troupes que russes … (le 24 février, à la Réunion).

Mélenchon ne dénonce clairement l’agression russe que début mars : « quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine, rien ne peut l’excuser ni la relativiser » (déclaration à l’Assemblée Nationale, le 1er mars 2022) ; « stop à la guerre, stop à l’invasion de l’Ukraine, à bas l’armée qui envahit l’Ukraine » (meeting du 6 mars à Lyon).

Paradoxalement, il regrette que l’Europe soit « hors jeu » et il la qualifie de « ridicule, nulle et qui ne vaut rien » (Jeudi 10 mars sur RMC) alors qu’elle a fait preuve (pour une fois) d’unité et de fermeté. Il n’a pas non plus de mot assez dur pour Emmanuel Macron (« un garçon avec ses arcs et ses flèches » – La Réunion, samedi 26 fevrier), alors que celui ci semble « faire le job » du propre point de vue de Mélenchon, en maintenant ouvert un canal de communication avec Poutine.

Que propose-t-il donc, pour obtenir un cessez-le-feu ?

« Frapper au centre du processus », c’est à dire sur les oligarques russes. S’il était président, il aurait pris l’initiative « de réquisitionner les villas et les yachts des milliardaires russes » (déclaration le jeudi 10 mars sur RMC) : on imagine Poutine arrêtant de bombarder Marioupol pour sauver les vacances de ses amis sur la Côte d’Azur ….

Jean-Luc Mélenchon prône une solution diplomatique dans le cadre de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), car « notre plus grande force c’est la politique, la capacité des ukrainiens à résister et la capacité du peuple russe à s’opposer à la guerre » (Jeudi 10 mars sur RMC).

« Notre force », c’est surtout la volonté de résistance des ukrainiens ; les russes sont sous le contrôle étroit du pouvoir et ceux qui manifestent le font à leurs risques et périls.

Mais pas question pour autant d’aider les ukrainiens : « Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations ? » (La Réunion, samedi 26 fevrier). Mélenchon s’oppose aussi aux sanctions économiques contre la Russie : « l’embargo sur le gaz russe, ce serait une aberration ». « Les seuls qui seraient frappés par ça, c’est nous » (marche pour le climat, le 12 mars).

En clair, Mélenchon propose d’organiser une grande négociation internationale … après avoir laissé Poutine gagner la guerre.

A aucun moment depuis le 24 février, il n’a eu un mot de soutien ou de sympathie pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky (attend-il sa liquidation par Poutine pour se manifester ?)

Concernant la sécurité de la France, Mélenchon a livré sa pensée le 26 février à la Réunion :

Il prône un « non-alignement » sur les Américains et les Russes et une sortie de l’Otan : « nous n’avons rien à faire dans un équipage pareil », car « l’Otan abandonne les gens en cours de route »… C’est la raison pour laquelle la Suède et la Finlande se préparent à y adhérer.

Mélenchon préfère s’adresser directement aux Russes pour leur demander « le retrait de tous les matériels offensifs en état de frapper la France, s’ils les installaient sur les territoires conquis ». Poutine doit être ému par autant de candeur.

Le maître du Kremlin traverse aujourd’hui des moments difficiles : son armée piétine devant Kiev. Espérons que son service de presse lui traduit régulièrement les discours du leader des insoumis, pour mettre un peu de gaité dans sa vie.

Le Lenine de la Canebière

De la posture à l’imposture …

Jean-Luc Mélenchon, à peine élu député en 2017, n’a eu de cesse de retrouver le siège de Jaurès à l’Assemblée Nationale… pour s’assoir dessus. Le symbole est fort.

Jean-Luc Mélenchon ose tout, c’est à ça qu’on le reconnait : politicien professionnel, ancien apparatchik du PS, il prône le « dégagisme ». Admirateur des derniers avatars du stalinisme, il veut « ré-enchanter » le socialisme. Chef d’une secte politique verrouillée par une poignée de fidèles, il fait l’apologie de la démocratie directe.

Sa mégalomanie et son égotisme font rire.

Il serait cependant injuste de ne voir en lui qu’un histrion. C’est un acteur majeur de la scène politique française. Il participe à la neutralisation de la gauche en l’enfermant dans un bolchévisme d’estrade. Jean-Luc Mélenchon, c’est l’assurance réélection de Macron.