Misère de l’altermondialisme : le Monde diplomatique serait-il poutinien ?

Sous le chapeau « le piège du grand réarmement », le Monde diplomatique d’avril 2025 feint de s’interroger : « y a-t-il une menace russe ? »

Bien sûr que non : à part la Pologne en 1919 et en 1939, la Finlande en 1939, la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968, l’Afghanistan en 1980, la Tchétchénie en 1994 et en 1999, la Géorgie en 2008, la Syrie en 2013, l’Ukraine en 1920 et en 2014, la Russie n’a jamais agressé personne.

La Russie est la grande victime de l’Histoire. Si ses troupes ont franchi la frontière ukrainienne en 2022, c’était contraintes et forcées, pour prévenir une attaque imminente des « nazis» de Kiev sur ordre de l’OTAN, de l’Union Européenne et des médias occidentaux.

Comment vendre cette fable à une clientèle qui, même si elle n’écoute pas France Info, a entendu parler des charniers de Boutcha et de Marioupol ? En présentant la guerre coloniale menée par la Russie en Ukraine comme un conflit géopolitique mondial…

Cette approche a trois avantages : elle permet de renvoyer la responsabilité de l’agression russe sur les occidentaux, « d’enjamber » le peuple ukrainien qui devient l’objet d’un conflit qui le dépasse (et qui doit être réglé entre gens raisonnables), et enfin de taire la nature et les motivations du régime russe. Depuis 2014, le Monde Diplomatique relaie la thèse du complot occidental contre la Russie en reprenant méthodiquement les éléments de langage du Kremlin.

Ainsi donc, dès la chute de l’URSS, les États-Unis auraient décidé d’étrangler la Russie en étendant l’OTAN vers l’Est… Peu importe si en réalité les anciens pays communistes sont entrés dans l’OTAN par crainte du « pacifisme » de leur voisin russe. Il est facile de réécrire l’Histoire une fois que l’on en a déterminé le sens : la révolution de Maïdan ? Un coup d’état fomenté par les occidentaux pour chasser du pouvoir le président « neutre » (c’est à dire pro-russe) Ianoukovitch (car il ne peut y avoir de révolution en dehors de la zone d’influence des États-Unis) ; la violation des accords de Minsk ? Du fait des seuls ukrainiens, sur ordre des américains. Le Monde Diplomatique va jusqu’à reprendre le bobard d’un « accord sur le point d’être conclu » en 2022 entre Zelenski et Poutine auquel auraient renoncé les ukrainiens à la demande des occidentaux.

S’il se réfère à un pseudo-accord, le Monde Diplomatique oublie par contre d’évoquer un vrai traité, celui signé en 1994 par l’Ukraine et la Russie dans lequel la Russie s’engage à respecter les frontières de l’Ukraine en échange de son renoncement à l’arme atomique.

Faisons de la géopolitique, puisque le Monde Diplomatique se pique d’en faire. Même les auditeurs de FIP le savent : depuis quinze ans, l’ennemi existentiel des États-Unis n’est pas la Russie (qui a le poids économique de l’Italie), mais la Chine. Biden en son temps n’a pas osé l’avouer aux européens, mais vu de Washington, le conflit ukrainien est surtout un frein au redéploiement des États-Unis vers l’espace indo-pacifique.

La géopolitique a ceci de bon qu’elle permet de s’affranchir de la réalité du terrain : elle permet de taire les massacres de civils, la torture systématique des prisonniers, la déportation de milliers d’enfants et la russification forcée des populations ; et quand le Monde Diplomatique parle du viol comme arme de guerre, c’est pour dénoncer les insuffisances de la justice ukrainienne (1).

D’ailleurs, existe-t-il vraiment, ce peuple ukrainien, dont les médias occidentaux nous rebattent les oreilles ? Vu d’en haut, c’est à dire depuis Paris, l’Ukraine et la Biélorussie sont les glacis défensifs de la Russie. Les ukrainiens devraient se satisfaire du statut de « petits russes » que leur accordent leurs grands frères slaves : il ne faut pas vouloir fuir l’amour des siens.

Les ukrainiens devraient surtout se trouver de nouveaux dirigeants, car leur président actuel refuse la reddition de son pays, ce qui constituerait pourtant un premier pas vers une paix équitable. Du coup, le Monde Diplomatique s’est interrogé sur la possibilité d’organiser rapidement des élections en Ukraine, pour conclure que malgré tout Zelenski risquait d’être réélu. Ne pourrait-on pas confier l’organisation de ces élections à la Russie ? Elle a déjà fait ses preuves en Crimée.

La grande affaire pour le Monde Diplomatique reste cependant de rassurer ses lecteurs sur les intentions de Poutine. Il le fait avec son jésuitisme habituel et à grand renfort de considérations géopolitiques.

Les pays baltes n’intéresseraient pas vraiment la Russie, car à la différence de la Biélorussie et de l’Ukraine, ils ne représentent pas « le cœur national slave et orthodoxe de l’ancien empire tsariste ». Heureux baltes ! Mais il n’est pas dit pour autant que Poutine ne veuille pas aussi récupérer les pieds et les mains de l’empire de Nicolas II.

Par ailleurs, « attaquer les états baltes reviendrait (pour la Russie) à engager la confrontation avec une coalition otanienne comprenant potentiellement une trentaine de pays européens, sans compter les États-Unis ». Tous le monde sait que les États-Unis n’interviendront pas en cas de conflit en Europe, ce qui rendra du coup l’OTAN inopérant.

Enfin, si la Russie s’arme massivement, c’est « après avoir observé les développements militaires à ses frontières ». Cela tient de la peur du vide : même la France, première puissance militaire de l’UE, est incapable de déployer plus de 15 000 hommes dans les états baltes.

Quoi qu’il en soit, selon le Monde Diplomatique, les chars russes ne sont pas prêts à entrer dans Paris… On peut même l’affirmer : ils n’y entreront jamais. Poutine n’a pas envie de devoir gérer le problème des retraites. La France cependant entretient plusieurs centaines de soldats dans les pays baltes dans le cadre de ses engagements européens, ce qui la rapproche dangereusement de la Russie.

Le réarmement européen – très virtuel pour l’instant – est sensé dissuader la Russie de poursuivre son offensive. Certains doutent de sa réalité, mais pas le Monde Diplomatique, car il connait sa véritable raison : « faire la guerre pour faire l’Europe ». Les dirigeants européens rechercheraient cyniquement l’affrontement avec la Russie pour fédérer leurs peuples autour du projet européen. (« Quand (ils) gonflent en chœur la baudruche de la menace russe, ils préparent surtout un conflit qu’ils disent vouloir prévenir »). On savait que Macron dormait peu, on sait maintenant à quoi il passe ses nuits.

Ces cinquante dernières années, le Monde Diplomatique a exploré toutes les impasses de l’altermondialisme : il a fait tour à tour la promotion du « socialisme » cubain, du foquisme, de la « révolution » algérienne, du maoïsme (et de son variant khmer rouge), du panarabisme, de l’islamisme, du chavisme et bien sûr de tous les nationalismes tiers-mondistes … Il aura au moins prouvé une chose : on peut se tromper tout le temps.

Si l’on s’en tient à cette considération historique, l’acharnement qu’il met aujourd’hui à défendre la Russie est plutôt rassurant : il vaut certificat d’imposture. (le Monde Diplomatique va jusqu’à reprocher aux européens, en inversant les rôles, de vouloir mener une « guerre de civilisation  » contre la Russie … Quelle civilisation incarne donc Poutine ?).

On pourrait s’étonner qu’à la faveur du conflit ukrainien un journal « de gauche » se retrouve dans le camps de l’extrême-droite : pas d’amalgame hâtif ! A la différence d’un Mariani ou d’une Marion Marechal le Pen, qui ont leur rond de serviette à Moscou, le Monde Diplomatique soutient le pouvoir russe de façon totalement désintéressée : c’est dire combien il est naïf, sous sa prétention de vouloir expliquer le Monde.


(1) c.f. « Manière de voir » numéro d’avril – mai 2023 : « Ukraine, jusqu’où l’escalade ».

Délit de blasphème à France Inter

« Netanyahou … une sorte de nazi, mais sans prépuce. »

Cette « plaisanterie » a valu à Guillaume Meurice un avertissement de Sibyle Veil, la patronne de Radio France, et une poursuite devant le tribunal de Nanterre par l’Organisation Juive Européenne pour « provocation à la violence et à la haine antisémite ».

Le 18 avril, la plainte a été classée sans suite par le parquet. Fin avril, Guillaume Meurice a réitéré son propos, considérant que la Justice l’autorisait à le faire. Mal lui en a pris ! La direction de Radio France l’a exclu de l’antenne le 2 mai et l’a convoqué devant une commission disciplinaire en vue de son licenciement.

La phrase incriminée n’est pas en soi antisémite. Guillaume Meurice ne parle pas des juifs en général, mais de l’homme qui depuis six mois accumule les morts à Gaza. Il dit simplement en filigrane que la Shoah ne peut servir à légitimer les crimes d’Israël.

Le propos est polémique, mais n’a rien à voir avec les « boutades » d’un Le Pen ou d’un Dieudonné. Il n’est pas si excessif que ça d’ailleurs : le 20 mai, le procureur de la Cour pénale internationale a demandé un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou : mais quand l’humoriste montre le crime, l’imbécile regarde le doigt …

Le seul reproche que l’on puisse faire à Guillaume Meurice, ainsi qu’à sa complice Charline Vanhoenacker, c’est le caractère partisan de leur humour : considérer qu’il n’y a de bêtise qu’à droite, c’est aussi une forme de bêtise. Personne cependant n’est obligé d’assister à leur meeting hebdomadaire le dimanche sur France Inter.

Il n’y a pas de problème Meurice à Radio France : il y a un problème Veil. Quand on confie une émission « d’humour » à Charline Vanhoenacker, pour des raisons d’audimat ou pour avoir une caution de gauche, on assume les conséquences de son choix. Au-delà du psychodrame médiatique, l’affaire Meurice montre combien les responsables de l’audiovisuel public sont conformistes et … lâches.



Fin du sketch …

Guillaume Meurice a été licencié par Radio France le 11 juin … Il l’a annoncé lui-même sur X (ex Twitter) en adressant le message « Cette victoire, c’est avant tout la vôtre ! » à plusieurs personnalités d’extrême-droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Pascal Praud…), ainsi qu’à la rabbine Delphine Horvilleur. Pourquoi elle ? Parce qu’elle est juive ? Il est temps que Guillaume Meurice passe à autre chose.

Réseaux sociaux : le bal des tartuffes

Après l’envahissement du Capitole le 6 janvier, Facebook et Twitter ont pris une décision qui a sidéré le monde : ils ont exclu le président des Etats-Unis de leurs plates-formes numériques, comme un vulgaire trublion.

Ce geste spectaculaire a mis en lumière un paradoxe : les réseaux sociaux sont perçus comme des services publics, du fait de leur universalité et de leur gratuité, alors qu’ils n’ont qu’une vocation commerciale et qu’ils n’offrent aucune garantie en matière de liberté d’expression.

Les responsables de cette situation sont les pouvoirs publics qui ont livré internet à des sociétés privées sans contre-partie, au nom du libéralisme économique, considérant que l’information n’était qu’une simple marchandise. Ils ont beau jeu aujourd’hui d’exiger des GAFA qu’ils respectent une éthique dont ils ne se sont jamais souciés jusqu’à présent.

Au delà du discours, vouloir réguler les réseaux sociaux existants relève du vœu pieux.

Matériellement, il est impossible de modérer les échanges en temps réel sur les plates-formes numériques, compte tenu du volume d’informations à traiter. Cela reviendrait par ailleurs à instaurer une censure, ce qui est inacceptable dans les pays démocratiques.

Les réseaux sociaux ne peuvent être régulés qu’a posteriori, sur la base des conditions générales d’utilisation (CGU) soumises à leurs utilisateurs.

On peut demander aux exploitants d’édicter toutes les règles de bonne conduite que l’on veut : ils ne les feront pas respecter, en raison de la complexité des procédures à mettre en oeuvre et du coût que cela représente.

Hormis les Etats-Unis, les états disposent par ailleurs de peu de moyens de pression sur les GAFA, car ceux-ci n’ont de compte à rendre qu’à la justice américaine.

Enfin, même quand les exploitants des réseaux sociaux jouent le jeu, les contrevenants sont difficilement sanctionnables en raison de l’anonymat d’internet.


La régulation des échanges n’est pas le seul problème posé par les réseaux sociaux. Les GAFA collectent et commercialisent les données de leurs utilisateurs en contrepartie de la gratuité de leurs services. Cette exploitation des données personnelles constitue une violation de la vie privée des internautes. Il est impossible d’interdire cette pratique, car cela reviendrait à exiger des GAFA qu’ils changent de modèle économique.


Dans ces conditions, il serait plus efficace, pour instaurer un véritable espace de liberté sur internet, de créer de nouvelles plates-formes numériques alternatives, non marchandes.

Ces plates-formes devraient être financées et contrôlées par les pouvoirs publics pour offrir toutes les garanties en matière de liberté d’expression et de protection des données. Il va de soi que l’anonymat devrait être levé sur ces réseaux, au moins lors de l’inscription, afin d’en permettre un contrôle efficace.

L’Union Européenne serait légitime pour porter un tel projet. Elle en a les moyens financiers et juridiques. Elle pourrait ainsi conforter son pouvoir d’influence dans le Monde (son soft power) et s’imposer comme un acteur majeur du numérique ; mais il faudrait pour cela que ses dirigeants acceptent de défendre les valeurs qu’ils professent.


Le terme GAFA est un acronyme construit à partir du nom des 4 géants du net : Google, Apple, Facebook, Amazon. Il est souvent utilisé dans un sens plus large, pour désigner les acteurs majeurs du numérique (outre les 4 déjà cités : Microsoft, Netflix, Airbnb, Tesla, Uber, Twitter, Alibaba … ). Dans cet article, il désigne plus particulièrement les sociétés exploitant des réseaux sociaux.