La Macronie est généreuse : elle vient d’offrir 89 députés au Rassemblement National, au prix de 37 000 euros le député. Chaque voix rapportant par ailleurs 1,64 euros, le RN va toucher au total 10,3 millions d’euros par an : les Le Pen devraient donc pouvoir vivre confortablement sans avoir à escroquer la République …
… Nous sommes bien loin de ce mois d’octobre 72 où Jean-Marie fonde le Front National avec quelques comparses. Il s’agit surtout à l’époque d’offrir un refuge aux amateurs de ratonnade : même si l’argent est le nerf de la guerre, c’est le nerf de boeuf qui motive ce petit monde. Tout juste se soucie-t-on dans ce cénacle du trésor perdu de l’OAS (1) : ah, folle jeunesse !
En 1976, Jean-Marie découvre qu’il peut gagner de l’argent grâce à la politique : il hérite du cimentier Hubert Lambert – un admirateur inconditionnel du leader d’extrême-droite – et se retrouve à la tête de plusieurs millions d’euros (2). Dorénavant à l’abri du besoin, il peut faire de la politique comme il l’entend : il transforme le FN en PME familiale et installe le siège du parti dans son château de Montretout.
En 1988, la loi sur le financement des partis politiques change la donne : la politique devient une activité rentable. Jean-Marie s’emploie à faire prospérer le cheptel des électeurs d’extrême droite, non sans risque : en 2002, il est contraint de participer au deuxième tour de l’élection présidentielle suite à la défaillance de Jospin.
En 2011, il lève le pied : sa fille Marine lui succède à la tête de l’entreprise familiale, bien décidée à changer de méthodes : il est vrai, le FN se livre alors à des arnaques assez indigentes, comme faire financer par l’Europe des permanents déguisés en assistants parlementaires (cela vaudra à Marine une mise en examen en 2017 pour abus de confiance et détournements de fonds publics).
Dès 2012, Marine passe à la vitesse supérieure : à l’occasion des élections législatives, elle met en place un montage financier audacieux avec l’aide de son ami Chatillon, ex gudard rencontré sur les bancs de la fac d’Assas et fondateur de la société de communication « Riwal ». Marine oblige les candidats du FN à acheter leur kit de campagne à son micro parti « Jeanne », distinct du FN. Ces kits sont fournis à « Jeanne » par « Riwal » au prix (largement surévalué) de 16 650 euros. Afin d’aider les candidats à acquérir ces kits, « Jeanne » leur consent un prêt à 6,5%. Le tout (kit + intérêts) est payé au final par l’Etat dans le cadre du remboursement des frais de campagne. Ce petit montage très sarkozien permet à Marine de se constituer un trésor de guerre et à Chatillon de rouler en Harley aux frais de « Riwal », ce que les juges qualifient mesquinement en 2020 d’abus de biens sociaux. Le RN écope pour sa part d’une amende de 250 000 euros et « Jeanne » d’un redressement fiscal de 1,8 million d’euros (pour non paiement de la TVA et de l’impôt sur les sociétés : condamnation prononcée en appel en mars 2023).
Vivre de la politique n’est pas une sinécure. Tout au long de leur carrière, les Le Pen ont dû neutraliser (3) nombre de malfaisants tentés de s’emparer de leur fond de commerce : Mégret en 1998, le quarteron Martinez / Lang / Lehideux / Bild en 2008, Philippot en 2017, Zemmour en 2022.
La principale motivation des Le Pen, c’est le grisbi (4). Aujourd’hui, le salaire d’opposant n°1 ne leur suffit pas. Ils veulent refaire le coup de « la casa de papel » : investir l’Etat pour mettre la main sur la planche à billets.
(1) La volatilisation du trésor de guerre de l’OAS semble être à l’origine de celle de l’ex trésorier de l’organisation – Raymond Gorel – en 1963 : à l’extrême droite, on ne plaisante pas avec la responsabilité personnelle des comptables … Jean-Jacques Susini (ancien dirigeant de l’OAS) a été accusé en 1972 d’avoir commandité la disparition de Gorel ; il a été acquitté en 1974.
(2) L’héritage Lambert est constitué d’avoirs financiers et bancaires et de biens immobiliers, comprenant le fameux château de Montretout à Saint Cloud et une maison de famille.
En 2016, dans leur déclaration patrimoniale, les Le Pen ont évalué leur château à 1,8 million d’euros (ce montant a été réévalué à 3,6 millions par le fisc). Ils s’en partagent la propriété via une société immobilière dont Jean-Marie détient 75% des parts.
Côté financier, le montant de l’héritable Lambert dépasserait les 4,5 millions d’euros. Le Monde a publié en 2016 une enquête dans le cadre de l’affaire des Panama Pepers révélant l’existence de comptes offshore détenus par des proches des Le Pen dans les iles Vierges britanniques, à Guernesey et en Suisse de plusieurs millions d’euros.
(3) le mot « neutraliser » ne doit pas être pris ici dans son acception militaire : Dieu merci, nous ne sommes plus à l’époque de Duprat ( c.f. Wikipedia : « Le samedi 18 mars 1978, à 8 heures 40, François Duprat meurt dans l’explosion de sa Citroën GS piégée, près de Caudebec-en-Caux. Il achevait un livre sur le financement des partis politiques de droite et d’extrême droite intitulé Argent et politique … » )
Pour mémoire : François Duprat, ancien dirigeant d’Ordre Nouveau, était membre du bureau politique du FN. Son assassinat n’a jamais été élucidé : il n’est pas dû forcément à sa connaissance fine des réseaux de financement de l’extrême droite : Duprat cumulait les pathologies : antisémite, antisioniste virulent, en contact avec le Fatah et le FPLP, il était soupçonné d’entretenir des relations avec des services secrets, voire même d’être un indicateur de police.
(4) c.f. Lorrain de Saint Affrique (proche conseiller de Jean-Marie Le Pen) : « Ne jamais oublier que le fil rouge de (Jean-Marie) Le Pen, c’est l’argent » (propos rapporté par Pascale Nivelle dans l’article « Elle n’a rien d’une blonde » publié dans Libération le 15 janvier 2011).