La faillite de l’Occident

Pour ceux qui aiment les références historiques, nous sommes en train de revivre simultanément deux évènements majeurs du vingtième siècle : les accords de Munich de 1938 et le pacte germano-soviétique de 1939 : dans un saisissant renversement d’alliance, les États-Unis ont entrepris de livrer l’Ukraine à la Russie avec l’intention assumée de participer à son dépeçage.

Avant même l’ouverture de négociations, Trump a repris à son compte le narratif de Poutine (« c’est l’Ukraine qui est responsable de la guerre ») et a souscrit à toutes ses exigences : l’annexion des territoires que la Russie a conquis militairement (le Donbass et la Crimée, soit 20% du territoire ukrainien), la « denazification » du pays (c’est-à-dire le retour à la situation politique antérieure à la révolution de Maïdan), la neutralisation de l’armée ukrainienne et l’interdiction faite à l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et l’Union Européenne.

Pour Trump, une fois la défaite de l’Ukraine acquise, les raisons de la guerre disparaitront d’elles-mêmes et les négociations de paix ne seront plus qu’une formalité. Les seules négociations qui comptent pour lui sont celles portant sur le remboursement des sommes investies par l’administration Biden dans la défense de l’Ukraine (Trump oublie au passage que 80% de ces sommes ont servi à acheter des armes américaines ; en aidant l’Ukraine, les États-Unis ont surtout financé leur industrie militaire). Là réside le hiatus entre les positions européennes et américaines : quand les européens demandent des garanties de sécurité, Trump parle business.

Il est cependant difficilement concevable que Trump ait pris le parti de Poutine uniquement par mercantilisme. Depuis son premier mandat, un soupçon pèse sur sa relation avec Poutine. Trump a fait des affaires en Russie dans le passé : compte tenu de la moralité du personnage, il ne serait pas surprenant que le Kremlin dispose de quelque «  kompromat » le concernant. La « Grande Amérique » dirigée par un agent russe, voilà qui serait savoureux …

Si l’Ukraine perd la guerre, ce sera bien sûr à cause du lâchage américain, mais aussi en raison de l’insuffisance du soutien occidental depuis le début du conflit.

Les occidentaux ont attendu 2024 pour livrer à l’Ukraine les armes puissantes dont elle avait besoin : des missiles à longue portée, des chars lourds ou des avions de combat – en le faisant chaque fois au compte-goutte. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas autorisé l’Ukraine à utiliser les missiles à longue portée contre le territoire russe.

En trois ans de guerre, les occidentaux n’ont pas réussi à doter l’Ukraine d’un système de défense antiaérienne efficace, alors qu’en même temps les États-Unis fournissait à Israël des missiles antiaériens derniers cris.

Combien de civils et de soldats ukrainiens sont morts à cause des lignes rouges que se sont imposés les occidentaux ?

L’Europe vient d’annoncer un nouveau train de sanctions économiques contre la Russie. Pourquoi a-t-elle attendu 2025 pour les mettre en œuvre ?

Il y a quelques mois, ARTE a diffusé une enquête instructive sur le commerce entre les pays européens et la Russie, via la Turquie et les anciens états soviétiques d’Asie centrale. Les pays du Nord de l’Europe sont en train de fortifier leurs frontières en prévision d’une éventuelle offensive russe. Pendant ce temps, des camions franchissent quotidiennement ces mêmes frontières à destination de la Russie… Les ukrainiens trouvent régulièrement des composants occidentaux dans les missiles et drones qu’ils abattent. Que font les occidentaux contre les entreprises qui alimentent l’industrie militaire russe ?

Les états européens – à l’exception de la Pologne et des pays baltes – semblent découvrir aujourd’hui que la Russie constitue une menace existentielle pour eux. Pourtant Poutine affirme depuis 2014 sa haine de l’Occident, de ses valeurs, de son système politique : il a commandité contre l’Europe de nombreux sabotages, cyberattaques et actions de désinformation. L’Europe est la cible d’une guerre hybride depuis 2014, mais feint de l’ignorer.

Non dirigeants sont sidérés par le changement d’alliance brutal opéré par Trump, mais celui-ci n’a jamais fait mystère de ses intentions. Ils ne se sont pas préparé à son arrivée au pouvoir quand celle-ci est devenue probable. Ils ont préféré croire jusqu’au bout que Kamala Harris allait gagner les élections présidentielles : c’était tellement confortable !

En 2023, après l’échec de son offensive, la Russie est passée en économie de guerre. Elle a mobilisé ses ressources, sa population, son industrie pour mettre en œuvre la seule stratégie qu’elle connaisse, celle du rouleau compresseur. Qu’ont fait les européens depuis deux ans pour contrebalancer la puissance militaire russe ? Seule la Pologne a investi massivement dans sa défense en portant son budget militaire à 5% de son PIB (celui de la France plafonne à 2%).

L’absence de vision et de courage politique des dirigeants européens est sidérante. Macron, pour ne parler que de lui, a multiplié ces trois dernières années les initiatives a contre temps, à contre sens, les promesses non tenues et les discours creux, avec pour seul objectif d’occuper l’espace médiatique.

Sa prestation lors de sa rencontre avec Trump le 24 février a été pathétique : il a cru pouvoir amener le président américain sur le terrain des préoccupations européennes avec quelques flatteries. Son communiqué à l’issue de la réunion faisant état de soi-disant « avancées » est grotesque : il n’a même pas dénoncé le racket dont l’Ukraine faisait l’objet.

Faute d’avoir réarmé à temps, nos dirigeants ont créé en Europe un appel d’air encore plus dangereux que la volonté expansionniste de Poutine. Ils vont probablement lâcher l’Ukraine à leur tour, en espérant que l’ogre russe sera rassasié et s’arrêtera là : ils vont seulement lui permettre de prendre un nouvel élan (1).


(1) Premier signe du fléchissement du soutien européen ? Le 24 février, lors d’un vote au Conseil de Sécurité de l’ONU, la France et l’Angleterre ont préféré s’abstenir plutôt que d’utiliser leur droit de veto contre une résolution russo-américaine hostile à l’Ukraine.