Divorce à la catalane

La crise politique en Catalogne, avec en point d’orgue le référendum sur l’indépendance du 1er octobre 2017, aura au moins permis aux européens de découvrir l’existence des catalans.

En France, la poussée de fièvre indépendantiste a dérouté les analystes politiques : beaucoup y ont vu une manifestation de populisme à l’italienne, alors que les indépendantistes catalans sont majoritairement de gauche, pro-européens et, à la différence de la police espagnole, non-violents (1).

Pour qui a déjà mis les pieds à Barcelone, le sentiment national catalan est une évidence. Quelle que soit leur opinion politique, qu’ils soient pour ou contre l’indépendance, les catalans ont le sentiment de constituer une nation, d’avoir une langue, une culture et un destin communs.

Ce sentiment n’est pas dicté par un simple égoïsme fiscal ; disons pour faire simple qu’il est le résultat de l’histoire.

Jusqu’à un passé récent, les idées indépendantistes étaient marginales au sein de la société catalane. Elles se sont développées à partir de 2010, en raison du blocage des négociations avec Madrid concernant l’évolution du statut d’autonomie. Face à l’intransigeance de Rajoy (qui, entre autre, a refusé aux catalans les dispositions fiscales accordées aux basques), les partis catalanistes se sont livrés à une surenchère qui a abouti à l’organisation du référendum du 1er octobre 2017.

Ce faisant, ils se sont piégés eux-mêmes …

La constitution espagnole ne prévoit pas la possibilité de sécession d’une région ; le référendum sur l’indépendance étant de ce fait illégal, il n’a pas de valeur juridique. Si les indépendantistes voulaient quitter l’Espagne de façon démocratique, ils auraient dû obtenir d’abord une modification de la constitution espagnole.

De plus, du fait de son déroulement, ce référendum n’a pas beaucoup de valeur : outre son sabotage par le pouvoir central, il a été organisé à la va-vite ; les opposants à l’indépendance n’ont pas pu s’exprimer et ont boycotté majoritairement le scrutin.

Ce référendum est surtout une faute politique majeure de la part des indépendantistes ; il a fracturé profondément la société catalane et compromis les chances d’une évolution du statut d’autonomie « en douceur ».

Pire, peut-être : en se livrant ainsi à une gesticulation politicienne (de leur propre aveu), les indépendantistes ont réveillé « la Bête ». les néo-franquistes de Vox ont fait une percée aux dernières élections et une alliance entre la droite et l’extrême-droite se dessine à Madrid.

L’indépendance risque bientôt de ne plus être le problème majeur des catalans.


(1) Cela n’empêche pas le gouvernement espagnol de garder en prison depuis 2017 une quinzaine de responsables indépendantistes catalans, en violation avec les principes de l’Union Européenne.

L’histoire de la Catalogne en 14 dates

801 : prise de Barcelone par Charlemagne.

878 : le comte goth Wilfred (dit le Velu) prend la tête des comtés de la marche d’Espagne. Ses successeurs s’affranchissent rapidement de la tutelle carolingienne.

1134 : union du royaume d’Aragon et des comtés catalans.

1213 : mort du roi d’Aragon Pierre II à la bataille de Muret (près de Toulouse). Cette défaite met fin aux ambitions du royaume d’Aragon au nord des Pyrénées. Au XIII et XIV siècle, les catalans se lancent dans une politique d’expansion en Méditerranée (conquête des Baléares, du royaume de Valence, de la Sicile et de la Sardaigne).

1412 : suite à l’extinction de la dynastie catalane d’Aragon, la Catalogne est rattachée à la Castille, mais garde sa langue, son droit et ses coutumes. A compter de cette date les catalans n’auront de cesse de préserver leur autonomie au sein du royaume espagnol.

1640 : révolte des catalans (guerre des faucheurs) ; ils refusent de participer à l’effort de guerre du royaume espagnol contre la France et font appel à Louis XIII. Le conflit s’achève par la conquête du nord de la Catalogne par la France et la reconnaissance des droits et institutions catalanes par le roi d’Espagne.

1714 : siège et prise de Barcelone par les français lors de la guerre de succession d’Espagne (les catalans ayant pris parti contre les Bourbons soutenus par la France). Les catalans perdent leur prérogatives (la date de la réédition de Barcelone , le 11 septembre, deviendra par la suite le jour de la fête nationale catalane).

1931 : A la chute du roi Alphonse XIII, proclamation de la République Catalane ; elle intègre la République Espagnole en contrepartie de la mise en place d’un gouvernement autonome, la Generalitat.

1936 : insurrection nationaliste et début de la guerre civile. La Catalogne se range dans le camp républicain.

1939 : victoire de Franco. De nombreux catalans prennent le chemin de l’exil. La Catalogne perd son statut d’autonomie, la langue catalane est interdite.

1975 : mort de Franco. Rétablissement de la démocratie en Espagne.

1978 : La constitution espagnole accorde une large autonomie politique à la Catalogne, rétablit la Generalitat et le Parlement catalan.

2010 : Le 3eme statut d’autonomie de la Catalogne négocié entre le gouvernement espagnol et le parlement catalan est retoqué par la Cour Constitutionnelle espagnole.

1er octobre 2017 : organisation d’un referendum sur l’indépendance de la Catalogne par la Generalitat. Le referendum est déclaré illégal par le gouvernement espagnol, qui tente d’empêcher sa tenue. Emprisonnement des principaux leaders indépendantistes pour « rébellion » ; les partis indépendantistes gardent cependant la majorité au parlement catalan lors des élections de mai 2018.

Pour aller plus loin …

Le labyrinthe catalan de Benoît Pellistrandi (2019, Desclées de Brouwer)

Cet essai, œuvre d’un historien, propose des pistes de réflexion intéressantes sur la crise catalane, malgré son parti-pris anti indépendantistes. L’auteur décrit les jeux politiques subtils entre Madrid et Barcelone qui ont conduit selon lui à la crise de 2017, fait la généalogie du nationalisme catalan et donne son analyse de la situation politique espagnole actuelle.