L’Ukraine selon Mélenchon


Jean-Luc Mélenchon a appelé « chaque conscience de gauche progressiste, humaniste » à le soutenir : c’est audacieux, considérant son alignement sur Moscou dans le conflit ukrainien.

Déjà en 2014, il traitait les manifestants pro-européens de la place Maïdan de fascistes (c.f. son Blog du 25 février 2014) ; Poutine ne fait rien d’autre aujourd’hui quand il parle de « dénazifier » l’Ukraine.

La révolution de 2014 (qualifiée de « coup d’état » par Mélenchon) s’est traduite par l’éviction du président pro-russe Ianoukovytch, provoquant en retour l’occupation de la Crimée par la Russie. Ce n’est pas un problème pour Mélenchon, car « la Crimée est russe » (il l’a réaffirmé récemment dans un entretien avec le Monde le 17 janvier 2022) : propos étonnant pour un adepte de la gouvernance mondiale, sachant que l’intangibilité des frontières est un des principes fondamentaux de l’ONU.

Fin 2021 – début 2022, les Russes mobilisent à la frontière ukrainienne : « qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil (l’Ukraine), un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? » déclare Jean-Luc Mélenchon au Monde le 17 janvier 2022.

Manque de chance, ce sont les russes qui attaquent. Mais si Mélenchon s’est trompé, ce n’est pas de sa faute : « Je me suis référé à ce que disaient les plus hautes autorités de mon pays. J’ai eu tort de les croire » (samedi 26 février, meeting à Saint Denis de la Réunion) : pour une fois qu’il fait confiance à Macron ….

Dans un premier temps, il ne parle que « d’escalade insupportable » on l’a connu plus virulent pour dénoncer une agression impérialiste. Il demande « un cessez-le-feu immédiat et un retrait de toutes les troupes étrangères d’Ukraine », comme s’il y avait en Ukraine d’autres troupes que russes … (le 24 février, à la Réunion).

Mélenchon ne dénonce clairement l’agression russe que début mars : « quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine, rien ne peut l’excuser ni la relativiser » (déclaration à l’Assemblée Nationale, le 1er mars 2022) ; « stop à la guerre, stop à l’invasion de l’Ukraine, à bas l’armée qui envahit l’Ukraine » (meeting du 6 mars à Lyon).

Paradoxalement, il regrette que l’Europe soit « hors jeu » et il la qualifie de « ridicule, nulle et qui ne vaut rien » (Jeudi 10 mars sur RMC) alors qu’elle a fait preuve (pour une fois) d’unité et de fermeté. Il n’a pas non plus de mot assez dur pour Emmanuel Macron (« un garçon avec ses arcs et ses flèches » – La Réunion, samedi 26 fevrier), alors que celui ci semble « faire le job » du propre point de vue de Mélenchon, en maintenant ouvert un canal de communication avec Poutine.

Que propose-t-il donc, pour obtenir un cessez-le-feu ?

« Frapper au centre du processus », c’est à dire sur les oligarques russes. S’il était président, il aurait pris l’initiative « de réquisitionner les villas et les yachts des milliardaires russes » (déclaration le jeudi 10 mars sur RMC) : on imagine Poutine arrêtant de bombarder Marioupol pour sauver les vacances de ses amis sur la Côte d’Azur ….

Jean-Luc Mélenchon prône une solution diplomatique dans le cadre de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), car « notre plus grande force c’est la politique, la capacité des ukrainiens à résister et la capacité du peuple russe à s’opposer à la guerre » (Jeudi 10 mars sur RMC).

« Notre force », c’est surtout la volonté de résistance des ukrainiens ; les russes sont sous le contrôle étroit du pouvoir et ceux qui manifestent le font à leurs risques et périls.

Mais pas question pour autant d’aider les ukrainiens : « Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations ? » (La Réunion, samedi 26 fevrier). Mélenchon s’oppose aussi aux sanctions économiques contre la Russie : « l’embargo sur le gaz russe, ce serait une aberration ». « Les seuls qui seraient frappés par ça, c’est nous » (marche pour le climat, le 12 mars).

En clair, Mélenchon propose d’organiser une grande négociation internationale … après avoir laissé Poutine gagner la guerre.

A aucun moment depuis le 24 février, il n’a eu un mot de soutien ou de sympathie pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky (attend-il sa liquidation par Poutine pour se manifester ?)

Concernant la sécurité de la France, Mélenchon a livré sa pensée le 26 février à la Réunion :

Il prône un « non-alignement » sur les Américains et les Russes et une sortie de l’Otan : « nous n’avons rien à faire dans un équipage pareil », car « l’Otan abandonne les gens en cours de route »… C’est la raison pour laquelle la Suède et la Finlande se préparent à y adhérer.

Mélenchon préfère s’adresser directement aux Russes pour leur demander « le retrait de tous les matériels offensifs en état de frapper la France, s’ils les installaient sur les territoires conquis ». Poutine doit être ému par autant de candeur.

Le maître du Kremlin traverse aujourd’hui des moments difficiles : son armée piétine devant Kiev. Espérons que son service de presse lui traduit régulièrement les discours du leader des insoumis, pour mettre un peu de gaité dans sa vie.