Français : le formatage inclusif

L’écriture inclusive fait débat en France depuis une dizaine d’années : elle est sensée « assurer l’égalité de représentation des femmes et des hommes », car la langue française « véhiculerait une vision masculine du monde » …

Tout est dans la formule : comment une langue (mot féminin qui plus est !) peut-elle être « masculiniste » ? Les partisans de l’écriture inclusive justifient leur théorie par un tour de passe-passe : l’assimilation du genre grammatical au genre biologique.

Dans la fameuse règle stipulant que « le masculin l’emporte sur le féminin », « masculin » et « féminin » renvoient aux genres grammaticaux, et non aux sexes ; la règle ne dit pas que l’homme est supérieur à la femme, mais seulement que le genre grammatical masculin prime sur le genre féminin dans les accords.

Le français ne dispose pas du genre neutre : les substantifs sont donc aléatoirement masculins ou féminins. le mot « chaise » est féminin, le mot « tabouret » est masculin : le français ne considère pas pour autant que le tabouret est plus noble que la chaise.

Un substantif utilisé sans plus de précision est générique au singulier et inclusif au pluriel. Les mots « girafe » (féminin) et « lion » (masculin) désignent respectivement, au singulier l’ espèce « girafe » et l’espèce « lion », et au pluriel l’ensemble des girafes et des lions, mâles et femelles confondus ( du coup les girafes mâles sont désignés par un nom féminin – ce qui ne les dérange d’ailleurs pas plus que ça).

En français, si l’on veut préciser le sexe, il faut le citer explicitement (« girafe mâle » ou « girafe femelle » dans notre exemple). Quand le générique est masculin, le français propose cependant un substantif spécifique pour désigner la population féminine (exemple : lionne). Dans ce cas, effectivement, le genre grammatical correspond au genre biologique.

Tout ceci pour dire que genre grammatical et genre biologique sont deux notions distinctes, même si elles se recoupent en partie. Je veux bien que « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 soit sexiste, mais en raison de son contenu, pas parce qu’elle utilise le masculin générique dans son titre.

Les partisans de l’écriture inclusive oublient par ailleurs qu’une langue ne se pilote pas à partir de l’écrit. C’est l’oral qui dicte les évolutions des langues, en allant toujours vers plus de simplicité … or en matière de simplicité, l’écriture inclusive se pose un peu là !

Pour imposer la parité sexuelle dans les expressions, ou pour neutraliser les termes « masculinisés », l’écriture inclusive préconise une série de procédés qui s’avèrent très lourds à l’usage.

On a déjà beaucoup glosé sur le point médian : utilisé systématiquement, il rend vite les textes illisibles (les salarié.e.s français.e.s sont moins bien payé.e.s que leurs collègues allemand.e.s) : on imagine l’ahurissement des étrangers qui découvrent le français.

Les adeptes du point médian déconseillent d’ailleurs son utilisation quand le résultat est particulièrement rébarbatif (les agriculteurs.trices). Ils préconisent dans ce cas de recourir à d’autres procédés, comme la double flexion, qui consiste à citer explicitement les deux sexes (le fameux « françaises, français … » des discours présidentiels). Mais ce procédé ne peut pas non plus être utilisé de façon systématique, compte tenu de sa lourdeur (ah, heureux roi des belges !).

A défaut, ils préconisent de rechercher la neutralité sexuelle :

– en utilisant des mots ou des expressions épicènes (dont la forme ne varie pas selon le genre). Plutôt que d’employer la formule « les agriculteurs.trices » on parlera des « personnes travaillant dans l’agriculture »,

– en adoptant une approche globalisante (« le monde agricole … ») ou en recourant à la forme indirecte (« dans l’agriculture … »).

Ces procédés utilisés par pur formalisme peuvent dénaturer le propos (le terme « monde agricole » n’englobe pas que les seuls agriculteurs), et le recours massif aux périphrases relève de la langue de bois : ainsi traité, n’importe quel texte ressemble à une motion de synthèse du Parti Socialiste.

L’écriture inclusive fait bien sûr le délice des bureaucrates. Ce n’est pas un hasard si elle est tant prisée par les apparatchiks des partis et syndicats de gauche : elle leur parle !

En brouillant leur discours, elle leur permet de masquer leur impuissance. Ce faisant, personne n’est dupe : avant, on ne les écoutait pas ; aujourd’hui on ne les lit même plus.

L’écriture inclusive part du principe qu’il suffit de rééduquer le langage pour changer la société. Eliane Viennot (1), la papesse du genre, l’affirme dans une tribune publiée dans le Monde le 27 avril 2021 : « on ne peut d’un côté accepter l’écriture inclusive et de l’autre tolérer les agissements sexistes ».

Du coup, dans l’esprit de nombreux militants de gauche, écrire en inclusif constitue un gage de féminisme (mais cela semble ne pas avoir suffit dans le cas de Julien Bayou).

En définitive, l’écriture inclusive n’est qu’un marqueur de bien-pensance. Elle relève du Spectacle, au sens situationniste du terme : à défaut de pouvoir / vouloir changer le Monde, les incluseurs.euses se contentent d’en corriger la représentation.


(1) professeur émérite de littérature française de la Renaissance à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne (abusivement qualifiée de « linguiste » dans « Le Monde »).


« La langue française est un système qui n’est pas plus sexiste que l’allemand, l’anglais, l’arabe ou le coréen … Alors que, partout, l’oppression des femmes est une réalité à laquelle s’affrontent des milliers de luttes, il y aurait des langues plus « féministes » que d’autres ? C’est le sort fait aux femmes et l’usage de la langue qui peuvent être sexistes, et non les langues en elles-mêmes » (Danièle Manesse, interview au « Monde », 31 mai 2019).